A Dakhla, la jeunesse africaine pense l'Afrique de demain

À la veille du lancement officiel du Crans Montana de Dakhla, les 16 et 17 mars, un évènement parallèle a fait la part belle aux jeunes du continent. Au menu des discussions centrée sur la jeunesse, la paix et la sécurité, la volonté de tendre vers une plus grande inclusion de cette couche de population, qui représente l'un des enjeux clés de l'Afrique de demain.

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MAP

L’adage n’a jamais autant collé à la peau d’une jeunesse qui en veut : Tout et tout de suite. De manière tranchée mais réfléchie, en marge du Forum Crans Montana à Dakhla, la jeunesse africaine a voulu cristalliser les débats de cet évènement tourné sur les liens Sud-Sud autour de l’imminence de sa situation. “La jeunesse est notre moteur”, avance Souleymane Satigui Sidibé en ouverture de cette session parallèle au forum centrée sur la jeunesse, la paix et la sécurité en Afrique. Ce Secrétaire général de l’Union panafricaine de la jeunesse (UPJ) se veut moins optimiste au moment de parler des faits. Pour lui, la machine est enrayée : Elle [la jeunesse, ndlr] est aussi le coupable et la victime de toutes ces questions de paix et de sécurité dans nos différents pays, tranche ce Malien, impliqué dans le paysage politique de son pays. Ce ne sont pas les cinquantenaires ou septuagénaires qui détiennent les armes dans les différents groupes terroristes ou de bande criminels organisées, ce sont nos jeunes qui deviennent le bras armé de la terreur. Et la plupart de ces victimes sont ces mêmes jeunes”.

Les débats fusent

La jeunesse africaine ne peut plus s’inscrire dans un lointain horizon. Elle en est le présent beaucoup plus que l’avenir. “La jeunesse africaine représente 79% de la population du continent, avance Pierre-Emmanuel Quirin, en ouverture de cette session parallèle au forum centrée sur la jeunesse, la paix et la sécurité en Afrique. Pour le président du Crans Montana, cette organisation non-gouvernementale suisse basée en Principauté de Monaco, la question de la jeunesse ne peut plus être ignorée. “Si celle-ci ne participe pas au conseil de la paix, on ne peut plus réellement parler de paix et sécurité ici en Afrique”, disert le président du forum.

La question est épineuse et au fil de la matinée, les débats, eux, fusent. Billes en tête, plusieurs intervenants issus de cette Afrique mosaïque prennent la parole et évoquent, selon eux, les grands défis de la jeunesse. La sécurité, la paix, mais surtout l’inclusion de la jeunesse dans le processus de mue que doit absolument entamer le continent. La population juvénile du continent représente 580 millions de personnes âgées de 15 à 24 ans. D’ici 2030, l’UNICEF l’estime à 750 millions d’âmes.

Son avenir constitue l’un des enjeux majeurs du siècle tant elle est prise en tenaille par le phénomène migratoire, la précarité voire la catastrophe écologique.“Nous sommes le continent le plus jeune au monde et sa jeunesse peut participer à sa construction ou à sa destruction”, explique Betania Berhanu. Double diplômé d’ingénierie et d’économie, cette jeune Éthiopienne détonne par son allocution.

Ci et là, elle propose de repenser la migration – souvent définie comme un mal qui ronge le continent – comme une force, avec la volonté de “profiter de la diaspora comme béquille de connaissance et pont d’investissement vers l’étranger”. Elle évoque une initiative lancée au Maroc, il y a quelques mois, sur le monde numérique impliquant des jeunes volontaires dans l’entreprendrait. Enfin, celle qui voit des modèles d’avancées concrets en Ethiopie, au Maroc et au Rwanda dans ces domaines,  avance “l’urgence de recentrer les gouvernances sur les jeunes et les femmes”, deux des pans très larges qui composent l’Afrique d’aujourd’hui.

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Les logiques politiciennes, elles, sont au coeur des critiques. “Les raisons pour lesquelles nous n’arrivons pas à mettre un terme à nos problèmes, c’est l’injustice sociale, économique et politique. Tant que nous n’arriverons pas à vivre dans une société équitable, notre jeunesse en paiera le prix”, pointe ce militant nigérian. “Les gouvernants doivent renverser cette tendance là”, appelle, vivement, un sénégalais. Un mantra qui revient dans la bouche de nombreux jeunes concernés. Pour Souleymane Satigui Sidibé, les tracas du quotidien “restent intimement liées à la question politique et géopolitique”. “Nos dirigeants ont endettés nos pays, ont mis la société civile dans la difficulté, comment laisser un tel héritage au jeune pour qu’ils puissent avancer ?”, nous explique-t-il.

L’ancien monde veille

La matinée suit son cours. Une réponse de l’ancien monde ? “C’est la responsabilité de nos États qui posent problème aujourd’hui. Pourquoi empêcher les jeunes d’être là où ils doivent être pour mieux influer sur les centres de décision ?” s’enquiert Simon Compaoré, burkinabé et aucun lien de famille avec l’ancien président, Blaise. Pour le ministre de la Sécurité du Burkina Faso, qui a commencé une carrière politique en tant que directeur du cabinet de Blaise Campaoré, “tous les gouvernants des pays africains savent que pour réussir dans leur mission, il faut compter sur deux couches : les femmes et la jeunesse”. S’en suit un appel à ce que l’avenir de la jeunesse africaine soit politique. “Dans mon pays, un homme [Blaise Campaoré, ndlr] ne voulait pas lâcher son pouvoir. Il y a eu une insurrection pour qu’il le quitte (celle-ci a commencé en 2014 avant d’aboutir à sa démission, trois ans plus tard, en octobre 2017, ndlr) et désormais, le gouvernement arrivé par la suite est composée de près de 80% de jeunes”, explique-t-il, prenant l’exemple du pays des hommes intègres.

Encore en poste dans le gouvernement au pouvoir, l’homme de 66 ans annonce vouloir faire place à la jeunesse. “Il faut des changements et nous, hommes politiques, devons en être à l’origine. Ainsi, j’ai décidé de partir l’année prochaine et laisser des jeunes faire avancer les choses. Je demande juste à cette jeunesse africaine de s’organiser et prendre leur place au soleil”, explique-t-il avant d’être couvert d’applaudissements de l’assemblée.

Dans l’assemblée, en cette veille de l’inauguration officielle du forum, ils sont beaucoup de ces moins jeunes à observer avec attention les attentes de l’Afrique montante.  “C’est une bonne chose que la jeunesse s’exprime et fasse part de ce qui la préoccupe”, explique un responsable de la Guinée équatoriale. C’est aux politiques de trouver les solutions pour donner le cadre nécessaire à ce qu’ils puissent s’exprimer et offrir un nouveau visage au continent”.

 

Des intentions et un réveil

Malgré cette bonne volonté, les jeunes africains sont-ils pour autant impliqués ? Pour Souleymane Satigui Sidibé, l’implication dans la jeunesse africaine dans les affaires de leurs pays ne fait aucun doute. “Nous sommes devenus tellement politiciens dans notre façon d’appréhender la chose  que l’on en devient trop pressé et peu conscient de notre manque de formation et d’information”. Lui veut d’abord une “conscientisation” afin de mieux appréhender les maux de la population.

Tchoungui Fréderik, jeune camerounais, lui, ne cache pas sa langue dans la poche. “Je m’excuse d’avance si mes propos ne sont pas politiquement corrects”, prévient-il d’emblée. “Nous ne pouvons pas parler de paix et de sécurité alors que des jeunes vivent dans la misère”. Doctorant à l’Université Lyon 2, il dit avoir occupé des fonctions pour la campagne d’Hillary Clinton aux États-Unis et s’active actuellement dans un cercle de jeunes entrepreneurs issus de divers endroits du monde.

Lui, veut lancer au Cameroun une opération “une ruche, un enfant”. Objectif : Donner dès l’âge de six ans, une ruche à un jeune qu’il entretiendra, et grâce au miel récolter et vendu, financer ses études. Apprendre la valeur d’un sou dès le plus jeune âge. ”Les jeunes sont concernés par un gros problème : comment vais-je manger demain, comment vais-je financer mes études, dit-il. Avant le géopolitique, il faut voir les problèmes de bases des jeunes africains. Je regrette que la plénière d’aujourd’hui n’ai pas inclut l’entreprenariat car je pense que c’est l’avenir de l’Afrique.

Centré sur les conditions de prospérité et de sécurité, le panel en a oublié d’évoquer le nerf de la guerre, à savoir les financements et l’économie. Pareillement pour la crise écologique, qui touche le continent et provoque les phénomènes migratoires. Mais l’essentiel est ailleurs. Le salut passera par le réveil de la société civile, comme l’explique Betania Berhanu. “Elle est importante pour mettre en place des programmes et donner aux jeunes les compétences nécessaires pour s’insérer dans le monde du travail. Ce que l’on veut c’est la sécurité, la paix et la prospérité à l’échelle continentale et mondiale. Il faut allier nos efforts.” Vaste programme. En fin de journée, une déclaration sera proclamée. Une manière de sensibiliser les gouvernants, mais surtout acter un changement auprès des principaux concernés. À Dakhla, c’est devenu “Tout, tout de suite”, en attendant demain.