Des Marocains "trahis" par le Québec qui suspend 18.000 dossiers d'immigration

Après le dépôt d'un projet de loi au Québec qui vise à modifier les procédures d'immigration, des Marocains qui voient leurs « rêves brisés » ont manifesté devant l'ambassade du Canada à Rabat. La représentation diplomatique a même annulé de façon inopinée une session d’information sur la migration économique.

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CC0 / Pixabay

3 ans, j’ai l’âge du rêve de mes parents », dit la pancarte montrée par un enfant marocain devant l’Ambassade du Canada au Maroc. Aux côtés de ses parents, nombre de Marocains se sont rassemblés et ont manifesté le 14 février devant le bâtiment de la représentation diplomatique canadienne à Rabat. Depuis des années, ils avaient entamé les procédures d’immigration au Québec et attendaient une réponse pour concrétiser leur rêve. Un rêve qui est aujourd’hui « trahi », crie la pancarte portée par un autre enfant, par un projet de loi déposé le 7 février 2019 par Simon Jolin-Barrette, ministre québécois de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion.

Ce projet de loi n.9 vise à modifier les procédures de sélection et d’intégration des ressortissants étrangers dans la région canadienne. Le texte vise à « accroître la prospérité socio-économique du Québec et à répondre adéquatement aux besoins du marché du travail par une intégration réussie des personnes immigrantes ». Il annule également toute demande d’immigration déposée par des « travailleurs qualifiés » avant le 2 août 2018, et pour laquelle aucune décision finale n’a été rendue au jour du dépôt du projet de loi. Il s’agit de pas moins de 18.000 dossiers en attente de par le monde et prêts à se volatiliser.

Cette décision du gouvernement Legault au Québec a suscité une indignation diffuse. L’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration (AQAADI) a notamment déposé le 20 février à la Cour Supérieure de Montréal une demande d’injonction visant à faire revenir le gouvernement sur sa décision. Aux côtés de l’association, Seeun Park, infirmière d’origine sud-coréenne, qui a investi pendant des années son temps et son argent pour pouvoir émigrer au Québec avec son conjoint et ses deux enfants. Comme Mme Park, d’autres ont témoigné dans le but de s’opposer à un refus que l’AQAADI a qualifié non seulement de « dévastateur » pour ces milliers de demandeurs, dont une partie est déjà installée au Québec. L’association estime par ailleurs que ce revirement est « illégal », car découlant de l’application d’un projet de loi pas encore adopté par l’Assemblée nationale.

De leur côté, les Marocains, qui se dirigent depuis des années surtout vers la région francophone canadienne, ont réagi par des manifestations devant l’Ambassade du Canada à Rabat. Ils ont également soumis une lettre à l’ambassadeur canadien au Maroc destinée au Premier ministre Justin Trudeau.

Selon l’Institut de la statistique du Québec, entre 2012 et 2016 12.880 Marocains ont immigré au Québec, soit la sixième nationalité la plus représentée. En 2017, le Maroc est descendu à la 7e place avec 1.967 ressortissants en partance outre-Atlantique. Les Marocains sont la deuxième nationalité maghrébine la plus représentée, après les Algériens, parmi les nouveaux arrivants au Canada.

Ces chiffres récents témoignent d’une diaspora qui commence dans les années 1950, et qui concernait surtout à l’époque la communauté juive marocaine. C’est à partir de la fin des années 1990 qu’une nouvelle vague migratoire en provenance du Maroc a mis le cap vers le Québec et très souvent vers la ville de Montréal. Cette même région qui aujourd’hui veut refuser l’entrée à 18.000 personnes dans le monde.

Après les manifestations, l’Ambassade du Canada au Maroc n’a pas vraiment apaisé les tensions. Par un communiqué publié sur sa page Facebook, elle annonçait depuis des semaines la tenue, jeudi dernier à Rabat, d’une session d’information sur le système de sélection des migrants économiques appelé « Entrée Express ». Un processus de demande qui s’adresse aux immigrants qualifiés désirant s’établir de façon permanente au Canada. Sauf que, sans prévenir personne, la session censée se tenir à Rabat à 18h a été annulée. Ceux qui s’étaient inscrits pour y assister ont même trouvé l’ambassade fermée et personne capable de leur fournir des explications.

Sans un mot d’explication de la part de l’Ambassade, d’après un autre communiqué publié sur Facebook, la session a été reportée au 13 mars 2019 à Casablanca, date à laquelle une deuxième session était déjà prévue.

Précisions de l’ambassade du Canada à Rabat : 

“L’Ambassade du Canada a pris connaissance du contenu électronique de TelQuel daté du 26 février 2019 selon lequel des corrections s’imposent au meilleur service des lecteurs de TelQuel dont certains manifestent un intérêt pour le Canada. Votre contenu électronique a fait mention de l’annulation le jeudi 21 février 2019 de la session d’information sur le système canadien d’immigration « Entrée Express ».

Nous nous devons de rectifier cette information en insistant sur le fait que cette session a bien eu lieu à Rabat et qu’elle a accueilli un grand nombre de participants. La présence aux sessions s’effectue suite à une inscription en ligne suivie d’une invitation précisant le lieu et l’heure exacte de sorte à permettre une logistique fluide et un accueil des participants des plus adéquats.

Par ailleurs, nous aimerions vous signaler que la session prévue à Casablanca le 13 mars 2019 est bien maintenue. Les inscriptions sont toujours en cours à travers le lien figurant sur notre page Facebook officielle : Ambassade du Canada au Maroc et en Mauritanie.”