La liberté du photojournaliste égyptien Shawkan sur le fil du rasoir

Après plus de cinq ans de détention provisoire et encore des mois d’attente après le jugement du tribunal prononcé en septembre 2018, le processus de libération du photojournaliste égyptien Shawkan entamé le 16 février est encore loin d'être terminé.

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Une brèche vers la liberté s’est ouverte le 16 février pour le photojournaliste égyptien Mahmoud Abou Zeid, plus connu sous le pseudonyme de Shawkan. Il a été transféré de la prison où il est détenu depuis plus de cinq ans vers le commissariat et les autorités pénitentiaires ont entamé les procédures de libération. Mais elles n’ont pas encore abouties à ce jour et prennent plus longtemps que prévu…

Le 14 aout 2013, le sort de Shawkan, alors âgé de 26 ans, a basculé. C’est ce jour qu’a éclaté la fameuse manifestation de la place Rabaa Al-Adaweya au Caire, souvent désignée aussi comme « le massacre de Rabaa ». Environ 800 personnes y ont été tuées et beaucoup d’autres arrêtées. La révolte était menée par les partisans des Frères musulmans, à la suite du coup d’Etat de l’actuel président égyptien, le général Abdel Fattah al-Sissi.

« Avant que la situation n’explose, nous explique Karim Abdelrady, avocat de Shawkan et activiste pour les droits humains en Egypte, le ministère de l’Intérieur avait appelé à suivre l’événement. Shawkan s’était alors rendu sur place avec sa caméra pour faire son travail. Il pensait que suivre l’événement depuis le coté de la police aurait été moins dangereux pour lui. Mais, sans qu’il s’y attende, ils l’ont arrêté alors qu’il n’y a rien dans la loi égyptienne qui permet aux forces de sécurité d’empêcher les journalistes de faire leur travail. Son arrestation était illégale ».

Avec pas moins de 12 chefs d’accusations à son encontre, Shawkan a notamment été accusé de meurtre ainsi que d’avoir pris part à un groupe terroriste, même si, d’après son avocat « il n’y a pas de preuve, ni de témoignages ou de vidéos contre lui. C’est juste la parole de la police contre la sienne ». L’ONG Amnesty International a notamment qualifié Shawkan de « prisonnier d’opinion ». Pour son avocat, il a été arrêté pour le simple fait « d’avoir une caméra et de l’avoir utilisée ».

Depuis son arrestation en 2013, Shawkan a attendu cinq ans en détention provisoire que son procès s’ouvre le 8 septembre 2018. « Il a attendu tout ce temps parce que son cas est un cas politique, et le plus grand de l’histoire moderne de l’Egypte. Mais si le juge a le droit de prendre du temps, il ne peut pas dépasser deux ans de détention provisoire. Shawkan a passé plus de cinq ans en prison avant son procès et cela est à nouveau illégal, » commente son avocat.

À la durée arbitraire de sa détention s’ajoutent des tortures, des abus et des manque de soins médicaux, selon les lettres que celui qui est atteint d’hépatite C envoie à sa famille. «Il a dû subir des tortures plusieurs fois, mais la plus grave a été lorsqu’il a été battu après son arrestation à la station de police, » raconte Me Abdelrady. « Il a par ailleurs été battu après l’obtention du Prix mondial de la liberté de la presse Unesco en avril 2018, » affirme-t-il. Dès 2015, Shawkan écrivait ne plus croire en la « justice » dans son pays et être envahi par un fort sentiment de « désespoir».

Enfin jugé en septembre 2018, le photojournaliste a été condamné à cinq ans de prison, et devait donc être libéré, puisque sa période de détention provisoire couvrait la durée de la peine. Mais malgré l’enthousiasme de ses défenseurs, Shawkan est encore resté en prison pendant six mois pour ne pas avoir payé une amende « dont le montant nous était inconnu » nous dit son avocat.

Et si depuis le 16 février, les procédures semblent avoir été entamées pour que Shawkan soit officiellement libérés, « les autorités continuent à prendre du temps sans aucune raison légale » poursuit-il. L’attente n’est donc pas finie ni pour lui, qui se trouve d’après son avocat dans une « horrible cellule », ni pour sa famille qui ne connait pas les raisons de ce retard, ni pour tous ceux qui le soutiennent en Egypte et dans le monde. Sa liberté sera par ailleurs toute relative, puisque sa peine a été assortie de cinq ans de surveillance avec interdiction de quitter le pays.

« Nous avons un gouvernement qui hait le journalisme et qui veut contrôler tous les médias du pays » conclut l’avocat. Selon lui, Shawkan a payé le prix de ce qu’il définit comme « la pire période que j’ai jamais vue en termes de liberté d’expression. Ils veulent nous faire vivre dans le noir, mais la caméra, comme celle de Shawkan, est notre lumière ».