Nul ne peut nier l’impact négatif des retards de paiement sur le tissu économique marocain. Pour traiter cette problématique « épineuse », la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) a organisé le 19 février à Rabat, en partenariat avec le ministère de l’Intérieur et celui de l’Economie et des Finances, une conférence sur « La réduction des délais de paiement, une responsabilité collective ».
Mezouar en lanceur d’alerte
En présence de Mohamed Benchaâboun, ministre de l’Économie et des Finances et ses collègues Moulay Hafid Elalamy, ministre de l’Industrie, et Noureddine Boutayeb, ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur, Salaheddine Mezouar a donné le coup d’envoi de la rencontre avec un constat alarmant. « La croissance économique d’un pays est consubstantielle à la rapidité avec laquelle le flux d’argent s’opère. Au Maroc, ce flux devient lourd, lent et handicape en partie le bon fonctionnement de l’entreprise et de l’économie », a affirmé le patron des patrons. Pour Salaheddine Mezouar, ces retards ont « vicié les circuits de l’argent et ont contaminé les transactions interentreprises du secteur privé ».
Résultat ? « 40% des défaillances des entreprises, et particulièrement, des TPE sont liées aux délais et aux retards de paiement », en plus « le crédit interentreprises atteint aujourd’hui près de 400 milliards de dirhams, dépasse les crédits bancaires à court terme, et pèse 40% du PIB », s’alarme le chef du patronat. Mezouar conclut néanmoins son intervention sur une note positive en affirmant que « les actions menées par les différents partenaires en vue de réduire les délais de paiement ont permis beaucoup de progrès ».
Impulsion royale
Le constat du président de la CGEM est largement partagé par les représentants de l’Exécutif, qui se sont focalisés, quant à eux, sur les actions entreprises par le gouvernement pour résoudre la problématique des délais de paiement. Le ministre des Finances reconnait d’ailleurs que cette problématique « porte préjudice à une saine gestion publique, à l’entreprise et à la vitalité de l’économie nationale ».
Pour lui, le discours royal du 20 août 2018 a créé « une véritable dynamique autour de la question ». Il a ainsi permis de sensibiliser les différentes parties prenantes et de mobiliser l’ensemble des acteurs à « entreprendre des actions concrètes et des mesures pratiques à même de dépasser cette situation ». Mohamed Benchaâboun a cité à titre d’exemple, la mise en place en début mai, d’un dispositif de dépôt électronique des factures, ainsi que la mise en ligne en octobre dernier de la plateforme électronique « Ajal » dédiée à la réception et au traitement des réclamations des fournisseurs.
Il a souligné également l’accélération des déblocages des dotations budgétaires et des actions d’apurement du crédit de TVA. Cette mesure a concerné certains établissements et entreprises publics (EEP), notamment l’OCP, l’ONEE, l’ONCF et la RAM, ainsi que des opérateurs du secteur privé. Elle a permis de « ramener le solde du crédit TVA de plus de 40 milliards de dirhams en 2017, à moins de 10 milliards en 2018 », s’est félicité le ministre des Finances. Il a ensuite expliqué que la condition associée à ce remboursement était « d’honorer ses engagements vis-à-vis de ses fournisseurs ».
L’Intérieur supervise
De son côté, le ministère de l’Intérieur a créé des comités régionaux en charge du suivi des délais de paiement, « sous la supervision d’un comité central composé des représentants du ministère de l’Économie et des Finances, celui de l’Intérieur et de la CGEM », explique Noureddine Boutayeb, le ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur. « Le ministère de l’Intérieur suit avec beaucoup de rigueur les plaintes qu’il reçoit de la part des entreprises liées par des contrats avec les collectivités territoriales et incite les ordonnateurs à respecter leurs engagements vis-vis de ces entités », a-t-il ajouté.
Ces actions ont eu pour résultats une baisse notable des délais de paiement. Cette baisse est de 19 jours pour les services de l’État (de 58 jours en 2017 à 39 jours en 2018), 14 jours pour les collectivités locales (de 58 à 44 jours), et 14 jours pour les établissements et entreprises publics (de 78 à 64 jours), a annoncé Mohamed Benchaâboun.
Vers la consolidation des acquis
Pour maintenir cette dynamique, le ministère de l’Economie compte sur « la consolidation des mesures déjà entreprises » par le lancement et la finalisation de nouvelles actions en lien notamment avec la structuration des budgets des établissements et des entreprises publics. Parmi les mesures prévues, une réflexion autour de la dématérialisation du processus de passation de marchés et de règlement des fournisseurs.
Le département de Mohamed Benchaâboun a en outre conçu une feuille de route pour appuyer ces mesures. Elle porte, entre autres, sur la refonte en profondeur du modèle économique de certains EEP, le recentrage sur leurs corps de métier, ou encore l’orientation de l’investissement vers des filières à plus forte valeur ajoutée et porteuses d’un relèvement du potentiel de la commande publique.
Parallèlement à ces réformes, le ministère de l’Économie et des Finances s’est engagé à « accélérer les travaux de l’Observatoire des délais de paiement ». L’objectif est de permettre à ce dernier de jouer son rôle de « force de proposition et de forum d’échange et de concertation ». Cet observatoire se réunira à la mi-mars pour adopter un plan d’action pour la période 2019/2020, a annoncé le ministre de l’Économie.
Le secteur privé concerné
Les établissements étatiques et les EEP ne sont pas les seuls responsables du problème de dépassement des délais de paiement. Les acteurs du secteur privé sont ainsi appelés à « s’engager à concrétiser les actions entreprises par le gouvernement », a souligné l’Argentier du Royaume. Mophamed Benchaâboun a ajouté que ces actions « resteront limitées si elles ne sont pas conjuguées à un plan d’action intégré et déployé par les acteurs du secteur privé ».
L’appel du ministre de l’Économie et des Finances a trouvé un écho direct auprès du patronat. Hammad Kassal, président de la commission du financement et des délais de paiement de la CGEM, a ainsi affirmé que « la Confédération est sur le point de mettre en place un plan d’action pour couvrir le volet privé-privé de la problématique des délais de paiement ».
Conformément à ce plan, la CGEM sera amenée notamment à collecter les réclamations sur les retards de paiement à travers son site officiel, participer aux travaux des comités régionaux et du comité central des délais de paiement, sensibiliser les grandes entreprises structurées à l’importance du respect des délais de paiement, et proposer un service de médiation aux entreprises pour le règlement des litiges liés au non-respect des délais de paiement contractuels, détaille Hammad Kassal.
À l’issue de cette conférence, les intervenants se sont mis d’accord sur la nécessité, pour les différentes parties prenantes, de procéder à une auto-évaluation permanente des actions menées. L’objectif est de maintenir le train de la réforme en marche et donner un coup d’accélérateur à l’économie marocaine.