Parmi les nombreux intervenants lors de cette conférence de l’AMIC, les mots de Luc Rigouzzo, co-fondateur de l’entreprise de capital risque française Améthis ont mis le doigt sur des éléments clés de la rencontre. Le capital risqueur y pointait le paradoxe entre stabilité économique marocaine – propice au développement du capital risque – et retard du secteur par rapport à ses voisins africains. Pour rappel, le capital-risque (private equity en anglais, NDLR) est une pratique permettant d’apporter des fonds ainsi que des conseils de gouvernance et de stratégie à une entreprise en échange d’une partie de son capital et de ses dividendes.
Le paradoxe marocain
« Le Maroc a démarré dans le domaine du private equity au début des années 90. C’était le pionnier africain avec l’Afrique du Sud et le Nigéria, » rappelle Luc Rigouzzo lors de la conférence. Pourtant, le pays est toujours doté d’assez peu d’opérateurs, par rapport à ses capacités financières et à la maturité du secteur, pointe le spécialiste. Casablanca occupe aujourd’hui la 4e position des bourses les plus importantes du continent, derrière l’Afrique du sud, l’Égypte et le Nigéria. Cependant, dans le Royaume, l’industrie ne représente que « 0.04% du PIB contre 0.16% en moyenne pour le continent » comme l’annonçait le président de l’AMIC Adil Rzal.
« Il y a un gros paradoxe, qui est très intéressant à analyser : être un des pionniers pour finalement ne pas se trouver comme leader aujourd’hui en terme de volume… Pourquoi ? Pourtant, tous les feux sont au vert. La volatilité de la monnaie, la stabilité politique, la diversité de l’économie… Très peu de pays en Afrique offrent les mêmes conditions que le Maroc, » pointe le co-fondateur d’Améthis. Le royaume rassemblerait donc tous les éléments pour être une des terres promises pour le développement du capital risque et pourtant…
Les raisons de la timidité
Plusieurs raisons expliquent que la situation soit timorée au Maroc. La première tient à la structure des entreprises marocaines. « Le capital risque, c’est investir avec des chefs d’entreprises. Or, au Maroc, il y a des difficultés car les entreprises sont souvent familiales, réticentes aux capitaux extérieurs, » relève Luc Rigouzzo lors de son intervention. A l’inverse, le domaine du « private equity » est un système de financement profondément entrepreneurial et qui comporte intrinsèquement des risques.
Cette fermeture à l’investissement extérieur représente une barrière conséquente et structurelle à l’arrivée de nouveaux leviers financiers. Cependant, le co-fondateur du fonds d’investissement rassure en annonçant que « la situation est également générationnelle et sera amenée à changer dans le court-moyen terme pour plus d’ouverture et d’opportunité. Aujourd’hui, je pense que c’est un très bon timing pour investir au Maroc et récolter les fruits dans 5, 10 ou 15 ans ».
Contacté par TelQuel, Adil Rzal, président de l’AMIC soulève deux autres freins majeurs. Dans un premier temps, « la solidité de notre secteur bancaire nuit au capital investissement. Au Maroc, le coût de la dette est assez faible, de l’ordre de 5%, contre 10% sur le reste du continent. Il est donc assez facile et pratique de se financer auprès d’institutions bancaires, » nous explique-t-il.
Dans un second temps, le directeur de l’AMIC relève que « la principale difficulté du secteur vient du manque d’apports financiers pour les fonds d’investissement eux-mêmes. Il y a encore trop peu de fonds d’investissements sur le marché. Les investisseurs institutionnels n’ont pas encore confiance dans la gouvernance des entreprises marocaines ».
En effet, les fonds de capital-investissement, destinés à financer des entreprises et les soutenir dans leur stratégie, doivent également lever des fonds auprès d’institutionnels comme les caisses de dépôts ou caisses de retraites pour se constituer des portefeuilles de plusieurs dizaines de millions de dirhams. Lors de la naissance des premiers fonds d’investissements au Maroc, « les retours étaient assez décevants, » se souvient Adil Rzal. D’où la frilosité de ces acteurs de réinvestir. « Ils décidaient d’investir en bourse, sur des produits plus liquides, » poursuit-il. Cependant, aujourd’hui, la donne change.
Nouveau paradigme
« Au Maroc, les institutionnels ont beaucoup d’argent et veulent désormais le placer auprès d’acteurs du capital investissement pour avoir des rendements plus intéressants (10 à 12%) que les placements classiques (bons du trésor, immobilier), dans lesquels ils investissent habituellement avec des retours de 3 à 4%. Avec la baisse des taux d’intérêts, ils vont de plus en plus vers le private equity, malgré qu’ils l’aient longtemps boudé, » observe le président de l’association.
C’est particulièrement le cas dans les écosystèmes innovants, notamment des startups du monde de la « tech », où les fonds de private equity deviennent indispensables. Ce sont eux qui accompagnent la croissance des entreprises et leur permettent de lever des fonds, d’alimenter leur projets et poursuivre leur développement. Toutefois, « au Maroc, ce secteur reste encore embryonnaire, notamment à cause du cadre réglementaire autour des investissements et des prises de capitaux ce qui enrayent fortement l’essor du secteur, » explique Tarik El Malki, directeur de l’ISCAE Rabat.
« Ce retard dans le développement du private equity est principalement causé par un manque de structure. Il y a eu des fonds qui ont très bien fonctionné – Saham, la CDG par exemple -, mais ils s’agissait d’initiatives isolées pour tester le marché. Pour que les choses soient structurées, l’Etat marocain a lancé Innov Invest, qui soutient quatre fonds gérant un milliard de dirhams destinés aux startups, » nous rappelle le président de l’AMIC. Cette initiative permet le renforcement du financement « d’amorçage » à destination des petites structures et qui est considéré comme « un maillon défectueux dans la chaîne de financement, » selon Adil Rzal. Cette initiative vient compléter l’annonce de la création d’un Startup-Act marocain, très attendu par les entrepreneurs du pays.