M'dina Bus vs Casablanca, un combat à 4 milliards de dirhams

La société de transport casablancaise M'dina Bus réclame 4 milliards de dirhams à la ville de Casablanca. M'dina Bus, qui s'appuie sur une série d'audits, argue que la commune n'a pas respecté sa part du contrat.

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La flotte de 700 nouveaux bus est prévue pour 2021. Crédit: DR

Le torchon brûle entre la société délégataire de transport M’dina Bus et la ville de Casablanca, à l’image de ce bus en flammes en plein Boulevard d’Anfa le 15 janvier, sidérant les citadins qui sont 77% à juger le parc de véhicules de plus en plus vétustes. Depuis l’été 2018, M’dina Bus et Casablanca échangent à base d’attaques à répétition et d’actions en justice. Alerté par l’état de vétusté des bus et leur dégradation constante à Casablanca, le Conseil de la ville, présidé par Abdelaziz El Omari, avait commandé des audits en 2017.

La métropole reproche à la société délégataire de ne pas avoir suffisamment investi (248 millions de dirhams au lieu des 772 promis sur la période 2009-2014) et de ne pas avoir constitué un parc de bus suffisant pour couvrir les besoins de la population de l’agglomération. 1.700 bus seraient nécessaires au lieu des 800 actuellement en circulation. Si les résultats des audits confirment le sentiment des usagers, ils mettent aussi en lumière des fautes incombant à la ville. Ainsi, le Conseil n’aurait pas respecté certains termes du contrat le liant à M’dina Bus. Des études évaluent le préjudice pour M’dina Bus à plus de 4 milliards de dirhams, soit le budget annuel de la ville de Casablanca. C’est ce que M’dina Bus réclame en justice.

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L’arroseur arrosé

A l’origine de la discorde, un audit du cabinet de conseil KPMG datant de 2017. Ce dernier, diligenté par la ville de Casablanca elle-même, et sélectionné par le ministère de l’Intérieur, devait permettre d’évaluer la situation des transports en commun dans la capitale économique.

Mais au-delà du simple constat de la vétusté des bus, l’analyse a aussi relevé des manquements de la part de la ville de Casablanca. Aussitôt les premiers échos de l’audit arrivés à ses oreilles, le Conseil de la Ville avait annoncé l’annulation pure et simple de la mission d’audit. En effet, le rapport en question reproche à la ville de ne pas avoir cherché de solution pour remédier à la « concurrence déloyale des taxis » et de ne pas avoir aménagé, comme le stipulait le contrat, des couloirs dédiés à la circulation des bus. L’étude estime les dommages pour M’dina Bus à pas moins de 4 milliards de dirhams.

Contacté par TelQuel, Fouad Lahgazi, président de KPMG Maroc, a déclaré « que le cabinet ne souhaitait pas s’exprimer ». De son côté, El Houcine Nasrallah, élu Istiqlal au conseil de la ville, nous affirme que « d’autres audits avaient été effectués et ils arrivaient à la même conclusion que ceux de KPMG ».

Le rapport de KPMG a néanmoins été bouclé et remis à M’dina Bus, qui a entamé dans la foulée une procédure en justice pour réclamer ces fameux 4 milliards de dirhams de dommages et intérêts à la municipalité. La justice n’a pas encore tranché sur ce point, mais la société de transports a d’ores et déjà obtenu du tribunal administratif de Rabat la suspension de l’appel d’offres pour trouver son successeur à Casablanca.

Coup de frein judiciaire

Cet appel d’offres avait été lancé en 2017. Al-Beida, l’établissement de coopération intercommunal (ECI) qui rassemble les 18 communes du Grand Casablanca, avait alors mandaté la société de développement local (SDL) Casa-Transports pour assurer la contractualisation avec le ou les futurs successeurs de l’exploitant actuel. Le contrat qui lie M’dina Bus à Casablanca arrive en effet à échéance en novembre 2019. Début 2019, le tribunal administratif de Rabat a annulé l’appel d’offres en cours, jugeant que la SDL Casa Transport était inapte à lancer des appels d’offres au nom de l’ECI.

Selon El Houcine Nasrallah, « il y a une grande confusion en ce qui concerne le statut des SDL. Ce sont des entreprises de droits privés, aux statuts de sociétés anonymes et possédant des capitaux publics. Cela ne signifie en aucun cas qu’elles peuvent agir au nom de la commune de Casablanca en lançant des appels d’offres ». La décision du tribunal rbati pourrait même faire jurisprudence et « s’appliquer éventuellement au reste des SDL de la commune de Casablanca. Ce vice de forme pourrait être reprochés par d’autres sociétés délégataires », craint l’élu

Outre cette mesure suspensive, le tribunal a également demandé une expertise des audits qui avaient été menés par différents organismes, dont KPMG, sur la situation des transports publics à Casablanca.

Conséquence de cette décision de justice : M’dina Bus peut donc continuer ses activités jusqu’à nouvel ordre. « Le conseil de la ville est bloqué. Je l’avais dit au président : ‘Il ne faut pas faire d’audit’, » affirme l’élu, déjà conscient que la Ville n’avait pas respecté toute sa part du contrat. « C’est devenu un bras de fer entre les deux et c’est M’dina Bus qui gagne pour l’instant », conclut-il.