Tétouan, ville la plus ibérique du Maroc, a jusqu’à la fin du protectorat vu l’ancêtre du Moghreb Athletic de Tétouan évoluer sous la bannière du championnat espagnol. Au point d’être poussée à la tentation du pastiche ? Dans son édition numérique du 3 janvier, le site espagnol El Confidencial indique qu’un architecte espagnol de renom dénonce le plagiat et l’usurpation de son projet pour le Grand stade de Tétouan.
Un plagiat qui remonterait à 2014, selon la même source, et dont Estudia Lamela, un cabinet d’architecture basé à Madrid s’estime lésé. Après un long silence, Carlos Lamela accuse Nawfal Bakhat, un architecte marocain d’usurpation. L’espagnol affirme qu’ils ont signé un accord, il y a cinq ans, pour répondre à l’appel d’offres et participer ensemble à la construction de la nouvelle enceinte sportive de Tanger. Or, si le concours public a été remporté par le binôme, Carlos Lamela n’en sera jamais tenu au courant et le découvrira lors de l’inauguration des travaux par Mohammed VI. Une affaire qui pourrait mettre à mal, d’après El Confidencial, le souhait d’une prochaine candidature tripartite entre le Maroc et ses voisins ibériques, l’Espagne et le Portugal, pour l’organisation de la Coupe du monde 2030.
Un projet à 700 millions de dirhams
Carlos Lamela n’a pourtant rien du pedigree d’un novice. L’homme s’est forgé une solide réputation à l’international de par ses réalisations. Surnommé « l’architecte du Real Madrid », d’après El Confidencial, il est à l’origine du Santiago Bernabéu, antre du club merengue, voire aussi de la Ciudad Real Madrid à Valdebebas, un ensemble d’installations sportives propriété du club phare madrilène et situé au nord de la capitale espagnole. Son cabinet a également été à l’origine des tours Colón de Madrid, ou du terminal 4 de l’aéroport de Barajas.
Des réalisations qui lui ont valu un certain nombre de distinctions. Une aubaine pour Tétouan, à l’heure où en 2014 un concours public était lancé pour la construction du futur grand stade de la ville en remplacement de l’enceinte historique Saniat Rmel. Montant du projet ? 700 millions de dirhams.
Un accord est alors signé, le 4 juillet 2014, entre Carlos Lamela et Nawfal Bakhat. D’après El Confidencial qui a eu accès au document, certifié conforme par le bureau municipal de Tanger : « Il y est envisagé que le bureau d’architecture de Nawfal Bakhat ait eu recours à Lamela pour la ‘gestion de projets en collaboration’ qui comprenait des travaux de consultation, de conseil et de sous-traitance pour ‘réaliser une offre et les services résultants’ », étaye le site espagnol. Il y était alors mentionné que lors d’une première phase d’étude, Lamela serait responsable de 32% des travaux, contre 18% pour le marocain. En phase de développement, le contrôle de l’exécution et la réception finale serait à l’oeuvre de Bakhat, soit 32%, contre 18% pour le cabinet Estudia Lamela.
Plus de deux mois après l’accord, le 13 octobre 2014, l’architecte marocain fait part à son homologue de « la nécessité urgente de tenir une réunion avec le wali (de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima, Mohammed El Yaacoubi, ndlr) au motif que le concours émanait de lui et qu’il serait le client. » Naît alors une crainte de se retrouver évincé du projet. Des soupçons qui grandissent le mois suivant, quand on lui fait « part de l’échec du concours », indique El Confidencial.
Côté Maroc, silence radio
À l’été 2015, lorsque les supporters du Maghreb de Tétouan publient, sur leur page Facebook, les clichés du projet gagnant, Lamela commence à avoir des doutes. Plus tard, il verra même son ex-associé aux côtés du roi Mohammed VI pour l’inauguration officielle de l’enceinte. De quoi dénoncer le plagiat d’un projet dont il détenait 50% sur le contrat et pour lequel il ne sera nullement rémunéré. Pourtant, il se dit encore en possession des factures présentées à son ex-associé et « s’élevant à 230 000 euros ».
Il déplore alors « le plagiat et l’usurpation » du projet, et ce, « devant les administrations publiques marocaines ». L’architecte espagnol explique avoir tenté de plaider son droit auprès du ministère des Affaires étrangères, de l’ambassade espagnole au Maroc, des autorités marocaines voire des associations d’architectes de Tanger et Tétouan. En vain.
Et Nawfal Bakhat dans tout ça ? Après publication de l’enquête d’El Confidencial, l’architecte marocain a tenu à réagir auprès du média. S’il parle d’une campagne de « diffamation » et de « chantage », Nawfal nie la participation du groupe Lamela « au développement technique du concept du Grand stade de Tétouan ». Selon lui, le cabinet espagnol devait intervenir dans une première phase, mais s’est vite heurté au « prétendu refus du bureau de Madrid d’assumer une série de modifications et de propositions faites par les autorités marocaines”, relaye El Confidencial. Avant d’ajouter : “Le Marocain, quant à lui, affirme avoir offert 8.640 euros à Lamela en paiement de la collaboration technique au cours de la phase préliminaire susmentionnée du concours. » Paiement refusé par le cabinet espagnol, qui demande 230.000 euros pour l’utilisation de ses plans.
Tâche en vue d’une organisation conjointe du Mondial ?
« Cette situation pourrait poser les premiers problèmes de la candidature hypothétique que le royaume alaouite espère présenter avec l’Espagne et le Portugal, pour accueillir la Coupe du monde de football en 2030 », juge le titre ibérique. Et pour cause : « Pour défendre son prestige, Lamela n’exclut pas de porter cette question à la FIFA, qui tiendra son premier Comité exécutif en 2019 à Marrakech à la mi-janvier dans le but d’évaluer les aspirations marocaines. »
La livraison du Grand stade, quant à elle, est prévue pour 2022. D’une capacité d’accueil de 45.600 personnes, et en construction depuis octobre 2015 aux normes imposées par la FIFA, cet écrin était prévu pour la candidature, perdue, du Maroc à l’organisation de la Coupe du monde 2026. D’autant qu’en mars 2018, il a été annoncé que 90 millions de dirhams devaient être débloqués à l’horizon 2019 pour la construction de l’enceinte, mais aussi d’autres équipements sportifs à l’image d’une piscine et d’une salle omnisports à Tétouan.