Huit ans après la révolution du Jasmin, la Tunisie connait de nouvelles tensions sociales. Dans la soirée du 25 décembre, de nouveaux heurts ont éclatés entre manifestants et forces de l’ordre, au centre-ville de Kasserine, où un journaliste est décédé lundi après s’être immolé par le feu en signe de protestation contre la précarité dans la région, considérée parmi les plus pauvres du pays.
Dans une vidéo publiée sur son Facebook avant son passage à l’acte, Abderazzek Zorgui, 32 ans, avait appelé ses concitoyens à se révolter. « Je vais initier une révolution seul (…). Ça fait huit ans que je cherche du travail, mais année après année rien n’a marché (pour moi)», avait-il prévenu, quelques minutes avant de se donner la mort. « Pour les habitants de Kasserine qui n’ont pas de moyens de subsistance, aujourd’hui, je vais commencer une révolution, je vais m’immoler par le feu« , avait-il déclaré.
Si des affrontements ont d’abord eu lieu dans la région de Kasserine dans la nuit de lundi, des heurts ont toutefois eu lieu à Tebourba, dans le nord du pays et à Jbenian à l’est a fait savoir le ministère de l’Intérieur tunisien ce 26 décembre. « Des unités de la sûreté sont intervenues le mardi 25 décembre 2018 pour rétablir les conditions dans certains quartiers de Kasserine, Jbeniana et Tebourba, suite à des émeutes au cours desquels des roues ont été brulées, des routes fermées et des pierres jetées, sans causer de blessures. Le calme est progressivement revenu dans ces zones où des unités de sûreté sont toujours en poste sur place pour surveiller la situation », indique le département de l’Intérieur tunisien dans un communiqué.
Arrestations annoncées
Un policier a été blessé à Jbeniana et cinq personnes au moins ont été interpellées à Tebourba, a par ailleurs déclaré à l’AFP le porte-parole de la sûreté nationale, Walid Hkima. De son côté le ministère de l’Intérieur a annoncé l’arrestation d’une personne âgée de 18 ans pour son implication présumée dans la mort de Abderazzek Zorgui. Il a été placé en garde à vue pour les besoins de l’enquête ouverte par les autorités pour déterminer les circonstances de sa mort.
Lundi, après les premiers affrontements survenus à Kasserine, le ministère de l’Intérieur tunisien avait indiqué que neuf personnes ont été arrêtées et qu’au moins six membres des forces de sécurité ont été légèrement blessés.
« Les recherches se poursuivent pour faire la lumière sur toutes les circonstances de l’immolation par le feu et pour prendre les mesures légales nécessaires à l’encontre de toutes les personnes impliquées dans l’affaire« , a indiqué Achref Youssfi, porte-parole du tribunal de première instance de Kasserine, à l’agence de presse tunisienne TAP. Selon lui, les recherches préliminaires menées par la police judiciaire dans la région « ont montré qu’il existait des présomptions de meurtre dans la mort du cameraman ».
Appel à une grève nationale
Pour le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), le journaliste s’est immolé par le feu pour dénoncer « des conditions sociales sévères, un horizon bloqué et l’absence d’espoir ». Le « syndicat fait porter la responsabilité (de sa mort) à l’État, qui a contribué à faire du secteur de la presse un foyer d’argent corrompu et suspect, servant des intérêts étroits et ce, sans vérifier que les institutions médiatiques respectent le droit du travail et de la réglementation en vigueur », déplore le SNJT dans un communiqué.
Le syndicat a ainsi appelé à une grève nationale de la « dignité » le 14 janvier prochain, jour du huitième anniversaire de la révolution de 2011. « Nous souffrons encore de graves problèmes sociaux et économiques qui touchent un grand nombre de Tunisiens, en particulier les journalistes. Bien que la révolution tunisienne ait permis d’acquérir une liberté de presse et d’expression, ce gain est aujourd’hui menacé et ne peut prospérer dans un climat de corruption, d’appauvrissement, de marginalisation », soutient le SNJT.
L’immolation par le feu du journaliste tunisien intervient, par ailleurs, au moment où un ressortissant ivoirien a été poignardé à mort dans la nuit du dimanche 23 au lundi 24 décembre, dans la banlieue nord de Tunis. Selon les autorités locales, Falikou Coulibaly, président de l’Association des Ivoiriens en Tunisie, a été tué lorsque deux hommes ont tenté de lui voler son téléphone portable. Le meurtre a provoqué l’indignation des Ivoiriens installés dans le pays qui ont manifesté pour dénoncer le racisme dont ils sont victimes, rapporte l’AFP.
Le suspect, âgé de 20 ans, a été arrêté le jour même et a reconnu les faits. Le ministre tunisien chargé des Droits humains et des relations avec les instances constitutionnelles et la société civile, Mohamed Fadhel Mahfoudh, a reçu lundi des membres de la famille de la victime.