Après Human Rights Watch, c’est au tour d’Amnesty International d’inviter la justice marocaine à garantir un procès en appel équitable pour les détenus du Hirak à Casablanca. Dans un long document rendu public le lundi 17 décembre, l’ONG internationale a dressé un bilan du procès en première instance des 53 militants du « groupe de Casablanca », dont 39 continuent à purger leurs peines allant jusqu’à 20 ans de réclusion ferme pour le noyau dur du mouvement, tels que Nasser Zafzafi et Nabil Ahamjik.
Pour Amnesty International, les droits des détenus ont été violés avant même l’ouverture du procès, par le biais d’arrestations arbitraires. « Plusieurs accusés ont dit à la cour qu’aucun mandat d’arrêt ne leur avait été présenté au moment de leur arrestation, ajoutant que les policiers ne s’étaient pas identifiés et ne leur avaient pas donné les raisons de leur arrestation, ni indiqué les faits qui leur étaient reprochés », rapporte le document, ajoutant que « dans de nombreux cas, les agents des forces de l’ordre ont eu recours à une force injustifiée ou excessive au moment de l’arrestation ou pendant la détention ».
L’ONG s’est également penchée sur les soupçons « d’aveux forcés » et de « torture » qu’auraient subi les militants lors de leurs gardes à vue et pendant l’enquête préliminaire effectuée par la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ). « Les détenus ont dit devant la cour que lorsque les interrogatoires ont commencé, la BNPJ de Casablanca ne les a pas informés des charges retenues contre eux, ni de leur droit de garder le silence et de ne pas être forcés de témoigner contre eux-mêmes. La police et les autorités judiciaires n’ont pas autorisé les avocats de la défense à être présents pendant l’interrogatoire des 54 accusés », écrit Amnesty, affirmant que « la police a forcé les accusés à signer le procès-verbal de leur interrogatoire, qui contenait des ‘aveux’ qui, dans certains cas, avaient été extorqués sous la torture ou au moyen d’autres mauvais traitements, d’après les accusés ».
Au sujet des conditions d’incarcération, Amnesty signale que « depuis le début de leur détention en mai et juin 2017 à la prison d’Oukacha, les accusés se sont régulièrement élevés contre leurs conditions de détention déplorables et inhumaines. Certains détenus ont notamment été placés en détention à l’isolement prolongé, pour une durée indéterminée ». Elle cite notamment les cas de Nasser Zefzafi, Nabil Ahamjik, Mohamed Jelloul, Rabie Lablak, Mohamed El Asrihi, Mohamed El Mijaoui, Achraf El Yakhloufi ainsi que du journaliste Hamid El Mahdaoui. « D’après quatre avocats avec lesquels Amnesty International s’est entretenue, les autorités pénitentiaires marocaines utilisent la détention à l’isolement comme mesure disciplinaire contre les accusés du Hirak », peut-on lire dans le texte.
Le rapport mentionne également les « violations de droits pendant le procès ». Amnesty fait référence au « box à hautes parois vitrées, qui ont été teintées lors de la deuxième audience, dans lequel les accusés étaient placés ». Une pratique « dégradante qui nuit à la présomption d’innocence », juge les auteurs du texte. Il est également question de l’accès à la salle d’audience qui « était largement entravé par des mesures de sécurité strictes à trois points d’entrée différents ». Il était également « impossible de se connecter à un réseau Internet ou téléphonique ». Pour Amnesty, « en plus de protéger les droits des accusés, ce droit (à une audience publique) incarne et protège le droit du public à savoir comment la justice est appliquée et à surveiller cette application, ainsi qu’à connaître les décisions prises par le système judiciaire ».
Amnesty revient également sur la décision de la Cour de « ne pas écarter les procès-verbaux d’interrogatoire contenant des aveux soupçonnés d’avoir été obtenus sous la torture », ainsi que sa décision de « ne pas entendre les témoignages de plus de 50 témoins de la défense ». L’ONG prend l’exemple de l’accusé et meneur du Hirak Achraf El Yakhloufi, condamné à 10 ans de prison qui « n’a pas été autorisé à faire témoigner cinq personnes, sans recevoir d’explication ».
Elle fustige également des condamnations pour des chefs d’accusation disproportionnés et inappropriés. « Le ministère public a par exemple accusé Nasser Zefzafi d’avoir porté atteinte à la sûreté intérieure de l’État » et d’avoir incité « à un acte de violence contre des agents de la force publique » lorsqu’ils ont tenté de l’arrêter le 26 mai. L’action en question, selon le ministère public, se réfère au moment où Nasser Zefzafi a pointé du doigt les forces de sécurité, les qualifiant de « forces répressives » et a prié à voix haute, « prenant le Tout-Puissant à témoin de [son] martyre ». « Ces mots et ces actions ne s’apparentent pas à une incitation à la violence et on peut douter de leur capacité à porter atteinte à la sûreté intérieure », estime Amnesty International.
Le 4 décembre dernier, le Maroc a réagi au rapport de Human Rights Watch, par le biais d’un communiqué de la Délégation inter-ministérielle aux droits de l’Homme (DIDH), dans lequel celle-ci déplore « la publication par l’organisation Human Rights Watch (HRW) d’un document dans lequel elle évoque une affaire qui est encore devant la justice ». La DIDH avait dénoncé le « caractère sélectif » du rapport, notant que l’ONG « n’a assisté qu’à 17 des 86 audiences du procès et a basé ses conclusions sur des documents relayés par la presse concernant des allégations de mauvais traitements et sur les avis d’une partie seulement de la défense de la partie civile».