Human Rights Watch dénonce des verdicts "entachés par des soupçons de torture"

Pour Human Rights Watch, le tribunal qui juge en appel les détenus du Hirak à Casablanca, "devrait tenir compte d’éléments prouvant que la police avait torturé des accusés".

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Lors d'une manifestation à Al Hoceima, au printemps 2017 Crédit: Yassine Toumi / TelQuel

L’ONG internationale des Droits de l’Homme, Human Rights Watch (HRW), estime que la Cour d’appel de Casablanca, qui juge en appel depuis le 14 novembre dernier les militants du Hirak détenus à Casablanca « devrait tenir compte d’éléments prouvant que la police avait torturé des accusés« . Dans un rapport publié vendredi 30 novembre sur son site internet, HRW désapprouve sévèrement le déroulement du procès en première instance de Nasser Zafzafi et de ses compagnons, dont les verdicts sont, selon l’organisation, « entachés par des soupçons de torture« . Se basant sur le texte du jugement de 3 100 pages, HRW ajoute que « le tribunal n’a pas expliqué pourquoi il avait écarté des rapports médicaux suggérant qu’au moins une partie des accusés avaient subi des violences policières pendant ou après leurs arrestations« .

« Human Rights Watch a examiné les sections pertinentes du jugement du tribunal de première instance de Casablanca, ainsi que 41 rapports d’expertise médicale – dont 19 rédigés par les médecins mandatés par le CNDH et 22 par celui mandaté par le tribunal –, assisté à 17 des 86 audiences du procès, consulté 55 documents judiciaires du dossier Hirak, et interrogé dix avocats de la défense et six proches des activistes emprisonnés« , explique l’ONG, qui rappelle que « les 17 et 18 juin 2017, des médecins légistes mandatés par le Conseil national des droits de l’homme (CNDH), un organe étatique indépendant, ont ausculté 34 détenus du Hirak, dont 19 du groupe de Casablanca. Leurs rapports médicaux indiquent que les blessures subies par certains détenus présentaient un « degré de concordance élevé » ou « moyen » avec leurs allégations d’abus policiers« .

« Selon les procès-verbaux de leurs audiences devant le juge d’instruction chargé de l’affaire, 50 des 53 accusés ont déclaré que durant leurs interrogatoires au siège de la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ), à Casablanca, des policiers avaient fait pression sur eux, d’une façon ou d’une autre, afin de leur faire signer des aveux auto-incriminants sans même lire leur contenu« , dénombre Human Rights Watch. Pourtant, « tous se sont rétractés, que ce soit devant le juge d’instruction ou plus tard, pendant le procès« . 21 d’entre eux ont affirmé que « les policiers avaient menacé soit de les violer, soit de violer leurs épouses ou leurs filles mineures« . Dans une déclaration à HRW, l’avocat de la défense Bouchra Rouissi, a assuré que « 17 d’entre eux lui avaient confié avoir subi des violences physiques lors de leur interrogatoire — notamment qu’on les avait giflés, battus, qu’on leur avait donné des coups de poing au visage alors qu’ils étaient menottés, ou encore introduit des serpillères sales dans la bouche« .

Aux yeux de HRW, « les rapports de médecine légale commandés par le CNDH notent les récits des détenus sur ce qui leur est arrivé, y compris les mauvais traitements qu’ils disent avoir subis, et évaluent leur état psychologique de façon détaillée« . La même source rappelle également que « le manuel des Nations Unies pour enquêter sur la torture et ses conséquences, dit protocole d’Istanbul, exige ce type d’évaluations détaillées » et note que « les rapports du médecin légiste mandaté par le tribunal, en revanche, fournissent peu d’informations de ce type« . Ainsi, Jamal El Abbassi, le médecin légiste mandaté par le tribunal, « a bien constaté des marques de violence sur les corps de 3 détenus sur les 22 qu’il a auscultés, dont Nasser Zafzafi, le leader du Hirak« . Toutefois, « le médecin n’a pas établi de lien entre ces marques et les violences policières illégales que les trois hommes disent avoir subi« . Pour le tribunal, les blessures de Nasser Zafzafi résultent de « sa résistance violente contre les agents de police« . S’il ne s’est pas prononcé sur les blessures constatées par le médecin sur les deux autres hommes, le tribunal a tout de même refusé une motion de la défense pour invalider les aveux des trois accusés.

De leur côté, Hicham Benyaïch et Abdallah Dami, les deux médecins légistes mandatés par le CNDH, ont ausculté 34 prisonniers du Hirak. Parmi eux, 16 avaient également été examinés, 10 ou 11 jours auparavant, par le médecin légiste mandaté par le tribunal. « Sur ces 16, le Dr. Benyaïch et le Dr. Dami ont trouvé des traces de violence sur neuf hommes, qui selon eux concordaient à divers degrés avec les violences policières qu’ils ont déclaré avoir subi« , rapporte HRW, ajoutant que « les deux médecins ont également décrit le « stress aigu » et la « détresse psychologique » ressentis par beaucoup de ces détenus, et affirmé que « certaines allégations [de violence physique et psychologique en détention étaient] crédibles [parce que] corroborées par de nombreux témoignages concordants » ».