Fuite de données sur les retards à l'ONCF, Khlie en ligne de mire

Des données de l'ONCF jusqu'ici confidentielles ont été anonymement publiées le 18 octobre. Elles indiquent que 60% à 80% des trains qui circulent dans le Royaume accusent des retards. 

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Rabie Khlie. Crédit: AIC Presse
Rabie Khlie. Crédit: AIC Presse

Le drame de Bouknadel, survenu le mardi 16 octobre, jette une lumière crue sur les dysfonctionnements de l’ONCF. Dans la soirée du 18 octobre, un site a été mis en ligne de manière anonyme et permet d’éplucher les retards des trains sur l’ensemble du réseau ferroviaire national. Une version bêta, simpliste au premier abord, mais dont les données sont riches d’enseignement.

« Ce que j’ai trouvé fait froid dans le dos », explique une vidéo anonyme postée le même jour sur YouTube. Dans cette séquence, une personne explique en arabe, avec une voix trafiquée par ordinateur, avoir « découvert une faille dans le système informatique de l’ONCF », depuis plusieurs mois. « En un peu plus de sept mois, j’ai pu rassembler plus de 370.000 données indiquant des retards sur les trajets », poursuit l’interlocuteur.

Entre 60% et 80% des trains accusent un retard conséquent

A la façon du collectif « hacktiviste » des Anonymous, cette personne explique avoir réussi à extraire des données internes à la compagnie ferroviaire, et cela « en toute discrétion ». Il s’agissait pourtant d’un système sécurisé « de très haute technologie, comme l’on peut en trouver au Japon », et qui calcule les retards à la seconde près. Selon un connaisseur en la matière, la nature des données publiées suggère que la faille pourrait provenir de l’aspiration à partir de l’API (l’interface de programmation, NDLR) de l’application mobile ONCF Trafic. La compilation de ces données met en tout cas le doigt sur le point noir de l’ONCF : les retards de train, régulièrement pointés par les usagers de la compagnie.

Graphique sur la période du 10 mars 2018 au jeudi 18 octobre. Chiffres encadrés concernant cette dernière journée.Crédit: Capture d'écran Oncf.tk

« Entre 60% et 80% des trains arrivent avec un retard conséquent », poursuit-il. Avant de résumer : « Pour chaque train qui arrive à l’heure, ce sont deux autres qui sont en retard ». L’interface du site internet permet d’avoir accès aux différents retards en gares, horaires et dates que l’on souhaite. Une courbe permet également de voir dans le temps l’évolution des taux de retard moyens sur plusieurs mois. 

À titre d’exemple, nous avons pris la journée du 18 octobre afin d’analyser le déroulement du trafic ferroviaire. Il en ressort que sur 1.361 trains en circulation, 845 d’entre eux ont connu un retard au départ. Soit un taux de retard de 62,09% comme le montre le site. En regardant dans le détail, on peut ainsi constater que de nombreux trains aux départs, entre midi et 14 heures, accusent des retards plus ou moins conséquents allant de deux minutes à un report de plus de deux heures. 

Données sur les retards de train au cours de la journée du 18 octobre 2018.Crédit: Capture d'écran Oncf.tk

Appel à la reddition de Mohamed Rabie Khlie

Dans sa vidéo intitulée « #BARAKA ONCF » (« L’ONCF, ça suffit »), l’auteur anonyme pointe également du doigt l’attitude de la compagnie ferroviaire. « L’ONCF n’écoute pas les problèmes de ses usagers », explique-t-il en préambule de sa vidéo. Celle-ci se compose d’une succession d’images et d’extraits vidéo filmés avec des smartphones, lors de mouvements d’humeur des usagers. L’auteur de la vidéo rappelle ainsi la récurrence des manifestations, et des sit-in dans les gares ou sur les quais, contre les retards ou les dysfonctionnements. « Les gens ont arrêté des gares pour se faire entendre et la seule réponse qu’on leur a apportée c’est la police », déplore-t-il.

Pour le hacker, une personne cristallise tous ces dysfonctionnements : Mohammed Rabie Khlie, directeur général de l’ONCF. « A-t-il été à ce point aveuglé par le projet du TGV (entre Rabat et Casablanca, ndlr) ? N’a-t-il jamais entendu les plaintes des usagers ? », s’interroge-t-il dans sa vidéo. Avant d’ouvertement appeler à la responsabilité du haut-fonctionnaire en se demandant : « Que signifie la responsabilité ? ».

En guise de réponse, l’internaute diffuse un extrait du discours de Mohammed VI, prononcé le 29 juillet 2017, dans lequel le roi s’était montré critique à l’égard des responsables de la fonction publique. « N’ont-ils pas honte, ces responsables qui n’accomplissent pas leur devoir alors qu’ils ont prêté serment devant Dieu, la Patrie et le Roi ? […] Ne conviendrait-il pas de destituer tout responsable à chaque fois qu’on établit une négligence ou un manquement de sa part dans l’exercice de ses fonctions ? », soulignait-il à l’occasion de la fête du Trône.

Mohammed VI mettait ici l’accent sur la nécessité « d’une application stricte des dispositions de l’alinéa 2 de l’article premier de la Constitution ». Un alinéa qui établit une corrélation entre responsabilité et reddition des comptes. « Tout comme la loi s’applique à tous les Marocains », poursuivait le Roi. Avant de conclure : « Elle doit s’imposer en premier lieu à tous les responsables, sans exception ni distinction, à l’échelle de tout le Royaume ». 

Contactée à plusieurs reprises par nos soins, l’ONCF n’a pas donné suite à nos questions sur cette supposée fuite de données.

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