La patronne de l'OIF veut empêcher la jeunesse africaine de "se jeter dans la Méditerranée"

Fraîchement élue aux commandes de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), Louise Mushikiwabo avait reçu le soutien du Maroc, d’Emmanuel Macron et de l’Union africaine. La candidature de la ministre rwandaise des Affaires étrangères avait d'abord surpris, puis dérangé. Que contient le programme de la nouvelle secrétaire générale de l'OIF ?

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L'ancienne ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Louise Mushikiwabo, élue secrétaire générale de l'OIF. Crédit: Ludovic MARIN / AFP

Le 12 octobre à Erevan, en Arménie, la diplomate canadienne d’origine haïtienne Michaëlle Jean laisse sa place de secrétaire générale de la Francophonie à sa concurrente. C’est la diplomate rwandaise Louise Mushikiwabo qui, à l’issue du Sommet des chefs d’Etat des pays membres de l’OIF, reprend le flambeau. Elle devient ainsi la deuxième femme à occuper ce poste.

Élue par consensus, et à huis clos, l’ancienne ministre rwandaise de l’Information puis des Affaires étrangères n’a pas manqué de faire parler d’elle alors qu’elle briguait le titre de secrétaire général du club des 84.

En cause notamment : sa promiscuité avec le président rwandais Paul Kagamé – critiqué pour ses atteintes au respect des droits de l’homme – mais aussi en raison de ses considérations francophiles jugées trop faibles (au Rwanda l’enseignement en français a été abandonné en 2010 en faveur de l’anglais).

Mais, forte de ses soutiens – la France, l’Union africaine et le Maroc notamment – la candidature de Louise Mushikiwabo a été donnée favorite. Quelle est la feuille de route de la tout fraîchement élue secrétaire générale de la plus grande organisation francophone du monde ?

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« La jeunesse, c’est l’avenir »

« Le thème de la jeunesse et de son plein emploi est un thème qui me tient particulièrement à cœur […] ‘La Jeunesse, c’est l’avenir’, ce n’est pas un slogan, mais bien une réalité concrète à laquelle il faut prêter une attention particulière. » Par ces mots de présentation publiés sur son site de candidature, Louise Mushikiwabo fait explicitement part de son intérêt pour les jeunes. « La jeunesse sera au centre de mon action », déclarait-elle également dans ce sens au Monde Afrique à quelques jours du XVIIe Sommet de la francophonie à Erevan.

Dans une interview accordée en août dernier à l’AFP, la ministre rwandaise des Affaires étrangères exprimait déjà sa préoccupation concernant l’accès des jeunes du monde francophone à l’emploi et son inquiétude quant au taux de chômage élevé chez la jeunesse africaine. Considérant que la question de « l’emploi des jeunes touche automatiquement à la question de la migration et à la problématique de la radicalisation », Louise Mushikiwabo assure sur son portail qu’en tant que secrétaire générale de l’OIF elle utilisera son « carnet d’adresses », ainsi que ses « réseaux et relations de près de dix ans dans la diplomatie, pour mobiliser les États et gouvernements membres et solliciter leur soutien, à la fois politique, moral et financier ». 

Afin d’éviter que cette jeunesse « désespérée » et en proie à l’inactivité ne tombe dans la « radicalisation », ou « qu’elle en arrive à se jeter dans la Méditerranée », la nouvelle secrétaire générale de la Francophonie compte tabler sur l’éducation et la création d’emploi. Le but : lutter contre la pauvreté et l’exclusion. Plus concrètement, dans sa feuille de route, Louise Mushikiwabo dit vouloir renforcer « l’accès des jeunes aux activités visant à faire de l’innovation technologique, ainsi qu’aux nouvelles technologies de l’information et de la communication » et s’engage à « accompagner tous les pays qui le souhaitent à renforcer leur politique en matière de formation professionnelle et technique ». 

Faire rayonner la langue française

Alors que, depuis 2010, au Rwanda les cours ne sont plus enseignés en français, mais en anglais, Louise Mushikiwabo estime que la visibilité de la langue française sur la scène internationale a encore du chemin à faire. Tout en admettant à l’AFP que « la Francophonie, c’est également le français dans sa cohabitation avec d’autres langues », et que, à l’instar du Rwanda beaucoup de pays membres de l’OIF sont multilingues, la diplomate parie sur l’institution pour « apporter un vent de renouveau à la Francophonie » et à la langue française.

Convaincue que la prépondérance de l’anglais n’entre pas en contradiction avec l’usage du français, « l’anglais est aujourd’hui la langue de la Silicon Valley, de la technologie, de la recherche, des réseaux sociaux… C’est une réalité, » déclarait-elle au Monde, Louise Mushikiwabo ambitionne de faire « valoir les avantages et les atouts » du français à l’international.

Pour concrétiser ses aspirations, la nouvelle secrétaire générale de l’OIF entend « accroître les actions et les initiatives visant l’enseignement et l’usage du français » au sein des pays membres. Sans toutefois préciser la nature de ces actions, Louise Mushikiwabo déclare dans sa fiche de candidature vouloir faire du français « une langue utile, attractive et crédible sur le plan de l’éducation, des sciences, de la diplomatie, de la communication, des affaires, du droit et des réseaux sociaux. »

Un « face lift » pour l’OIF

« Relever le niveau de cette organisation sur l‘échiquier mondial », est une des autres priorités de la nouvelle cheffe de l’OIF. Jugeant que l’organisation « pourrait faire beaucoup plus » pour peser sur la scène internationale, Louise Mushikiwabo confiait en mai dernier à Jeune Afrique que l’institution avait « besoin d’un face lift ».

Face aux détracteurs qui remettent en cause le rôle et la légitimité de la Francophonie, durant sa campagne la ministre rwandaise des Affaires étrangères n’a eu cesse de défendre la pertinence du cercle des 84. De par son poids quantitatif, « elle (l’OIF, ndlr) est aujourd’hui devenue l’institution internationale à vocation généraliste ayant le plus grand nombre de membres, après les Nations unies », et de par son pouvoir d’influence « fondé sur une langue et des valeurs partagées », l’institution est aux yeux de sa nouvelle secrétaire générale vouée à être « présente, visible et écoutée ». 

Sauf que, derrière son apparente notoriété l’OIF aurait besoin d’être « refondée » estime Louise Mushikiwabo dans les grandes lignes de sa feuille de route. Une perspective qu’elle explique plus en détail en ces mots : « La Francophonie doit se réaliser en tant qu’Organisation bien définie, pertinente, jouant son rôle de catalyseur. Cela ne sera pas possible sans une bonne gouvernance et une transparence exemplaire. »

En août dernier, la diplomate s’exprimait déjà à ce sujet à l’AFP et ne pouvait être on ne peut plus claire. À la question de son regard sur le bilan de Michaelle Jean – secrétaire générale sortante de l’OIF – critiquée pour son train de vie (importantes dépenses engagées pour la rénovation de son appartement de fonction, activité financée à même le fonds de réserve de l’OIF…), Louise Mushikiwabo répondait : « Notre organisation n’est pas vraiment où elle devrait être. Pour moi, la transparence dans la gestion n’est même pas une question qui se pose. Je suis au gouvernement rwandais et pour nous, c’est ça la culture : la culture de la transparence, la gestion saine. Ce que je peux vous dire, c’est qu’avec moi à la tête de l’OIF, il y aura la transparence, il y aura une bonne gestion. »

Dans l’optique de relifter l’OIF, tout en lui assurant une gouvernance « bonne » et « transparente », la candidate s’engageait à faire la part belle aux volets de la communication et de la collaboration. Ainsi peut-ton lire à ce sujet : « Mettre en place une interaction permanente et continue entre les membres et le Secrétariat général », « renforcer le magistère d’influence et l’accompagnement des pays membres de l’OIF dans le domaine de la bonne gouvernance politique, économique, administrative, sociale et culturelle », « l’OIF peut, et doit, se tenir aux côtés de ses pays, parler à leurs dirigeants, leur donner l’occasion de s’exprimer, et tenir auprès d’eux un rôle de conseiller »…  

Echanges de « bonnes pratiques »

Une dynamique d’interactivités qui aura vocation à avoir « un effet gagnant-gagnant, au profit des populations francophones », développe la femme politique dans son programme. Et d’étayer : « Il faut impérativement mettre sur pied des systèmes d’échanges de cadres entre les pays, et ce dans tous les domaines. Dans les systèmes fiscaux, dans le domaine de la réconciliation nationale, dans la lutte contre la corruption, dans le développement des différentes industries, etc. C’est un champ ouvert ! »

Alors que le Rwanda est actuellement critiqué pour son respect des droits de l’homme (autocensure médiatique, détentions arbitraires, mauvais traitements, selon le dernier rapport de Human Rights Watch) Louise Mushikiwabo considère que pour gérer au mieux « sa mission par rapport à la démocratie et aux libertés », l’OIF doit se tenir « tout près des États, de leur donner conseil, quelques fois même de les aider ». Et de conclure que « l’objectif n’est pas de donner des leçons, ou de comparer des systèmes par rapport à d’autres ». 

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