Entre vide juridique et absence de sensibilisation parentale, les enfants marocains exposés aux dangers du web

Au Maroc, dans plus d'un ménage sur deux (56%) les enfants de moins de 15 ans utilisent Internet, estime l'ANRT dans son dernier rapport sur l'utilisation du digital. Pour autant, la régulation et le contrôle de l'usage du Net par les jeunes  restent insuffisants, voire quasi inexistants.

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Au Maroc, dans plus d'un ménage sur deux (56%) les enfants de moins de 15 ans utilisent Internet. Crédit: Wikicommons

L’Etat doit être le principal responsable de la protection des mineurs sur Internet ». Abderrahman Bounnaim, militant et responsable communication de l’association Bayti, qui agit en faveur de la protection des enfants sur le web, tire la sonnette d’alarme quant à l’absence d’un cadre légal renforcé et d’outils de surveillance spécialisés pour réguler l’usage du Net par les mineurs.

Selon une étude menée par Freedom House – ONG américaine qui étudie l’étendue de la démocratie dans le monde – intitulée « Freedom on the net 2017, Morocco », en 2017 le taux de pénétration d’Internet atteignait 58,13% au Maroc (contre 42% en 2013), celui de Facebook s’élevait, lui, à 29%. Et, parmi les millions d’internautes marocains, dans plus d’un ménage sur deux les enfants de moins de 15 ans surfent sur la Toile indique la dernière enquête menée durant le 1er trimestre 2018 par l’Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT).

Source : ANRTCrédit: Agence nationale de réglementation des télécommunications

Ce rapport, élaboré en collaboration avec le ministère de l’Industrie, de l’Investissement et de l’Economie Numérique ainsi qu’avec la Haute autorité de la communication audiovisuelle, le conseil Economique, Social et Environnemental et le Haut-Commissariat au Plan (HCP), considère également que plus de 7 parents sur 10 déclarent ne pas être outillés pour accompagner et orienter l’usage de leurs enfants sur Internet.

Face à cette utilisation exponentielle – et sans filets – des TIC (technologies de l’information et de la communication) par les jeunes, Abderrahman Bounnaim juge qu’il est alors «  aujourd’hui nécessaire que le gouvernement s’active et mette en place des mesures concrètes pour protéger les moins de dix-huit ans des nombreux risques qu’ils encourent en naviguant sur Internet ». Et au militant de lister ces « dangers du web » susceptibles d’atteindre les mineurs, qui sont « particulièrement vulnérables » : « Pornographie, sites extrémistes et d’incitation à la haine, addiction aux jeux en ligne, radicalisation, harcèlement ou encore suicide… Autant de contenus critiques en total libre accès. »

Un cadre législatif caduc, des parents dépassés

Au Maroc, l’arsenal juridique en matière de lutte contre la cybercriminalité envers les mineurs et en faveur de la protection de leurs données personnelles avance à petits pas. Trop lentement pour le membre de l’association. « Les mesures entreprises par les différents ministères concernés par cette problématique sont clairement négligeables, voire inexistantes », fustige-t-il. Et de déplorer : « Il ne suffit pas d’écrire sur le papier, il faut agir ».

L’Etat a pourtant tenté de s’atteler à la tâche. Mais, sans réels résultats notables à ce jour. En 2013, le ministère de l’Industrie, du Commerce et des Nouvelles Technologies propose un projet de Code du numérique, ambitionnant d’instaurer un cadre législatif renforcé en matière de protection des données personnelles et en termes de sensibilisation des utilisateurs à la sécurité des systèmes d’information. Un volet est aussi spécialement prévu pour la « protection des mineurs en ligne ». Mais, le projet suscite un tollé et est rapidement avorté. En cause notamment : des dispositions jugées trop « liberticides » (peines de prison fermes dans certains cas).

Début 2017, une autre tentative du gouvernement est entreprise : le lancement du programme « e-Salama ». Lancé par le ministère de la Famille, de la Solidarité, de l’Égalité et du Développement social, ce programme vise à « protéger l’enfant des dangers liés à l’utilisation d’Internet, d’autonomiser son épanouissement sur le web et à renforcer son droit à l’accès aux technologies de l’information et de la communication », annonçait le département de Bassima Hakkaoui à cette occasionPlus d’un an après la présentation de « e-Salama », « le problème est le même. Les mineurs sont toujours exposés aux mêmes risques et les parents sont toujours aussi démunis quand il s’agit de les contrôler », estime Abderrahman Bounnaim.

Selon l’étude de l’ANRT, publiée en septembre dernier, « seuls 28% des parents ont les compétences nécessaires pour orienter l’usage d’Internet par leurs enfants ». Et à l’Agence nationale d’estimer que « plus le niveau d’instruction des parents est élevé, plus ces derniers sont en mesure d’orienter et d’accompagner leurs enfants pour utiliser Internet ».

Source : rapport ANRT.

Démunis face à la complexité du monde digital et trop peu informés sur le sujet, nombre de parents, « dont beaucoup d’entre eux sont analphabètes ou tout simplement non-usagers », ne parviennent pas à contrôler les pratiques de leurs enfants sur la Toile. Ainsi, l’ANRT évalue à 41% les parents estimant que « leurs enfants doivent être éduqués à l’usage d’Internet à l’école ».

Sensibiliser, éduquer, agir

Quels garde-fous est-il alors possible de mettre en oeuvre pour tenir à l’écart les mineurs des risques présents sur Net ? Une question à laquelle le militant donne quelques pistes de réponses, en estimant toutefois qu »il reste très difficile de surveiller entièrement leur navigation ». Puisque, de fait, aujourd’hui « tout le monde peut dire et partager n’importe quoi sur Internet ». La sensibilisation régulière et l’éducation sont, aux yeux de l’association, deux des leviers principaux permettant de préserver les plus jeunes des malveillances du web.

C’est notamment dans ce sens, qu’en 2016, un plan national de mise en oeuvre de la Politique intégrée de protection de l’enfance au Maroc (2015-2020) avait été établi par le ministère de Bassima Hakkaoui avec l’appui de l’UNICEF. Un volet y prévoit, entre autres, l’introduction de modules dans les programmes scolaires au sujet des « droits des mineurs et des dangers auxquels ils sont exposés […] en particulier ceux liés à l’usage d’Internet et des données personnelles. »

Dans la continuité de ce programme, une série de cinq guides (dont trois sont destinés aux moins de dix-huit ans et deux aux parents, tuteurs est instituteurs) est en cours d’élaboration par différents partenaires, dont l’association Bayti et le Centre marocain de recherches polytechniques et d’innovation (Cmrpi) font partie. « Méfie-toi sur Internet« , le premier ouvrage adressé aux moins de 12 ans vient d’être publié.

Des initiatives qui reste toutefois insuffisantes aux yeux de Abderrahman Bounnaim, lequel préconise que le Maroc « aille plus loin dans cette démarche » et s’inspire des « législations en application dans les pays développés ». À l’image du Règlement européen sur le droit digital et de son article 38 qui prévoit « une autorisation parentale préalable et obligatoire pour les moins de 13 ans ».

En attendant des propositions plus fortes émanant gouvernement, l’association Bayti continue d’organiser des séances de sensibilisation auprès du jeune public, mais aussi auprès des parents. « La société civile, les associations et les instituteurs sont aussi directement concernés. Il faut que tous les acteurs agissent ensemble pour éviter, surtout, que d’autres drames, à l’image du suicide du jeune Reda il y a un an à cause d’un jeu web, ne se reproduisent« , conclut Abderrahman Bounnaim.

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