Je suis très content. Ce n’était pas facile ». Abdelghafour Sadik, actuellement en poste à La Mamounia, est le nouveau meilleur sommelier du Maroc, après Zakaria Wahby en 2017. L’établissement emblématique de Marrakech a été d’ailleurs parmi les premiers à féliciter son collaborateur, après son élection le 10 septembre dernier : « Bravo à notre sommelier Abdelghafour Sadik qui remporte haut la main la deuxième édition du concours ». Initiée par l’Association des sommeliers du Maroc (ASMA), la compétition a été abritée cette fois par le domaine du Château Roslane, au cœur du vignoble de la toute première AOC du Maroc, les Coteaux de l’Atlas.
Située au pied de l’Atlas, à une trentaine de kilomètres de Meknès, cette propriété appartenant à la famille Zniber compte près de 2000 hectares de vignes, une cave de 70.000 hectolitres, mais aussi des cours de tennis, des potagers bio et un boutique-hôtel de luxe.
C’est dans ce cadre privilégié que les premières épreuves théoriques et pratiques du concours du meilleur sommelier du Maroc ont démarré le 10 septembre au matin. Neuf candidats candidats s’y affrontent, tous passionnés de vin : Rabii Ahsina du Fairmont Royal Palm Marrakech, El Moktar Alia du Royal Mansour Marrakech, Mouhcine Bassou du Palace Marrakech, Imame Benrahhou de la Secret Gallery Casablanca, Younes Chafik du Riad des Vignes de Benslimane, Nabil Dakni, de la Villa Diyafa de Rabat, Kamil Essbai du Sofitel Marrakech, Sabrina Rahmani du restaurant Iloli Casablanca, et enfin Abdelghafour Sadek de La Mamounia.
Trois finalistes
Pour atteindre la finale, les candidats doivent d’abord déguster deux vins à l’aveugle et les commenter par écrit. Oui, à 9 heures du matin. Ils ont ensuite été amenés à identifier plusieurs spiritueux (un whisky Jack Daniels, un armagnac Sempé Drambuie, un rhum Bacardi et un gin Bombay original), avant de passer à un questionnaire sur la viticulture du Maroc et d’ailleurs. « Le questionnaire composé de 44 questions portait sur le vignoble du Maroc bien sûr, ses différents cépages, ses vins, mais également sur des connaissances sur la vinification et les vignobles du monde entier. Il y avait un petit peu de tout, sur les eaux, les spiritueux, les bières, tout ce qui touche au métier de sommelier », nous explique Michèle Aström Chantôme, fondatrice du concours, présidente de l’ASMA et secrétaire générale de l’Association de la sommellerie internationale (ASI).
« A l’issue des épreuves du matin, on a additionné tous les points et on en a gardé 30% pour les reporter sur les points de la finale. La partie théorique nous a semblé très importante, on ne peut pas juger un bon sommelier uniquement sur la pratique. Il y avait donc des de la pratique ce matin, mais également des tests sur les connaissances de base que tout sommelier doit avoir », poursuit-t-elle.
Trois des candidats passent ainsi en finale. Il s’agit de Kamil Essbai, Abdelghafour Sadik et El Mokhtar Ali, tous en poste à Marrakech. Après la pause-déjeuner, les trois prétendants au titre de meilleur sommelier repassent chacun à leur tour devant le jury pour des épreuves pratiques. « Le cœur du métier de sommelier, c’est le service. Ce n’est pas uniquement la dégustation. On a jugé bien évidemment leurs talents et leur aisance au niveau du service, avec le service d’une bouteille de vin effervescent (Perle du Sud), ensuite avec l’aération d’un vin rosé (Première de Baccari). Ce n’est pas très courant d’aérer un vin rosé, mais celui-ci en avait besoin parce qu’il est très récent. Les arômes n’ont pas eu le temps de se développer. Il fallait donc le passer en carafe », souligne Michèle Chantôme. Selon elle, c’est la prestance de chaque candidat qui fait la différence.
Les trois finalistes doivent ensuite établir des accords mets-vins d’après un menu choisi par le jury (voir encadré). « Le candidat a été noté non seulement sur le choix du vin, mais sur l’argumentation, l’explication du pourquoi. On juge aussi la progression logique tout au long du repas. C’est-à-dire que s’il avait commencé par un vin hyper puissant pour terminer avec un vin un peu faiblard, ça ne pouvait pas coller. On a tenu compte de tous ces points-là », poursuit la présidente de l’ASMA.
Le menu de l’épreuve d’accord mets-vins
Entrées
Foie gras sur crumble de pain d’épices, lit de pommes
ou
Salade périgourdine du chef
Plats
Poisson, selon arrivage, purée de chou rave à la réglisse, légumes de notre jardin
ou
Ballottine de Poulet farcie aux légumes, écrasée de pommes de terre au pesto
Fromage
Déclinaison de fromages bleus, pain aux noix grillé
Desserts
Royal au chocolat
ou
Crème brûlée au chocolat et éclats de noisettes
Enfin, les finalistes se livrent à une dégustation classique avec un vin rouge et un vin blanc, à la correction d’une carte de vins dans laquelle une dizaine d’erreurs se sont glissées, ainsi qu’un « test commercial » pendant lequel le candidat doit convaincre son patron d’inclure un nouveau vin, sur la carte de son établissement.
Après deux heures de délibérations, le jury – composé de Serge Dubs, meilleur sommelier du monde en 1989, Mikaël Rodriguez, secrétaire général de l’ASMA, Stéphane Remacle, secrétaire général adjoint de l’ASMA, Thierry Collard, Trésorier de l’ASMA et Michèle Aström Chantôme – fait son choix. « Cette journée était très spéciale pour moi. C’était difficile et j’ai stressé énormément. La veille du concours, j’ai eu du mal à dormir. Je me suis couché à 2h et me suis réveillé à 5h pour réviser. Chaque fois qu’on fournit des efforts, on récolte les résultats », se félicite le gagnant, Abdelghafour Sadik.
« Mon père n’était pas d’accord »
Diplômé en hôtellerie, Abdelghafour a débuté sa carrière en 2011 à La Mamounia, en tant que commis en salle. Trois ans après, il devient sommelier au sein du palace, avant d’être promu en 2018, chef de rang sommelier. « Il faut être passionné, ce métier n’est pas donné à tout le monde. Au Maroc, il n’y pas d’instituts de sommellerie ou de formations spécialisées. Si tu veux apprendre le métier, tu es obligé de fournir un effort personnel. En Europe, les études pour devenir sommelier durent trois ans, voire cinq ans pour devenir sommelier-œnologue », regrette-t-il. Mais cela ne l’a pas découragé dans son travail.
« J’ai de la chance parce que je travaille à La Mamounia. C’est le meilleur endroit pour apprendre ce métier et puis j’ai un chef sommelier qui était professeur à Bordeaux. C’est Mikaël Rodriguez, c’est quelqu’un du métier, qui connait très bien le vin et qui a une très bonne mémoire, qui peut capter tout », raconte-t-il.
S’il a rencontré des difficultés, au début, pour convaincre son entourage, il est aujourd’hui plus que jamais sûr de la voie qu’il veut emprunter pour sa carrière professionnelle. « Comme vous le savez, l’alcool est mal perçu par la société marocaine. Je suis quelqu’un qui aime le vin, le raisin et la nature. Je me suis trouvé dans ce métier. Mon père avant, il n’était pas d’accord. J’ai essayé de le convaincre avec mes arguments. A présent, je pense qu’il a bien compris que je ne peux plus reculer », confie-t-il. Et d’ajouter, philosophe : « Après, il y aura toujours des gens qui ne seront pas d’accord avec ce que je fais ».
Après le concours du Meilleur sommelier du Maroc, Abdelghafour et ses deux dauphins doivent à présent se préparer pour une autre étape. Avec les trois finalistes de l’éditions 2017, ils participeront le 14 janvier prochain, à une sélection spéciale qui doit se tenir au Sofitel de Marrakech. L’un des six sera choisi à l’issue de l’épreuve pour représenter le Maroc au Concours du meilleur sommelier du monde 2019, prévue à Anvers, du 10 au 15
mars prochain. Une lourde tache, puisqu’il s’agira de la première participation marocaine à ce concours. « Aujourd’hui, j’ai une autre responsabilité. Je dois tout faire pour représenter le Maroc à ce concours. Cette victoire à Meknès me donne en tout cas l’envie de partir loin dans ce métier et de représenter le Maroc le mieux possible », conclut le nouveau meilleur sommelier du Maroc.
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous
Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer