L'avocat Emmanuel Daoud alerte sur le respect des droits des mineurs marocains isolés à Paris

En juin, un accord entre Paris et Rabat a été signé pour envoyer dans la capitale française une équipe de policiers marocains. Le but de cette intervention sécuritaire : identifier et éventuellement expulser les mineurs marocains non accompagnés qui errent depuis plus d'un an dans le 18e arrondissement.

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Emmanuel Daoud au Palais de Justice de Lyon en novembre 2012. Crédit: AFP PHOTO / JEFF PACHOUD

Le phénomène des jeunes migrants marocains isolés rôdant dans le quartier parisien de la Goutte d’Or, ne se tasse pas. Âgés de 9 et 17 ans, drogués et livrés à eux-mêmes, ces enfants marocains passés par l’Espagne pour atteindre l’Europe, inquiètent les ministères français et marocains de l’Intérieur. Malgré les 700.000 € débloqués par la municipalité parisienne, les efforts des associations et du Parquet, le phénomène continue de s’aggraver.

Alors débordée, la France a fait, cet été, appel au Maroc. Selon les informations du Desk.ma et de l’Obs, révélées en juillet dernier, entre quatre et six agents de la DGSN ont été dépêchés à Paris en vertu d’un « arrangement administratif relatif au renforcement de la coopération policière opérationnelle ». En « procédant à des identifications » en vue de « leur retour au Maroc », cet accord sécuritaire entend bien endiguer la situation.

Maître Daoud, avocat pénaliste spécialisé dans les droits des enfants migrants,membre du conseil de l’Ordre de Paris ainsi que du groupe d’action judiciaire de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), nous éclaire sur les tenants et les aboutissants de cette entente franco-marocaine. Interview.

TelQuel : En tant qu’avocat pénaliste de formation et spécialiste des droits des enfants mineurs, quel est votre avis sur cet accord sécuritaire ?

Emmanuel Daoud : L’entente entre Rabat et Paris peut se justifier au sens d’un renforcement de la coopération entre les polices françaises et marocaines à ce sujet. De ce point de vue là, je n’y vois pas de problèmes. En revanche, ce sont les modalités de mise en œuvre de cette intervention de policiers marocains sur le territoire français qui ne vont pas. Cet accord a été formalisé pour permettre aux agents marocains d’exercer leurs fonctions sporadiquement sur le territoire français. En l’occurrence d’essayer de retracer le parcours familial et individuel de ces jeunes mineurs marocains faisant l’objet d’interpellations dans le quartier de la Goutte d’Or. Le vrai problème, c’est que ces auditions, qui ont pour objectif de vérifier si ces mineurs marocains sont désireux de rentrer au Maroc, se sont réalisées – ou se réaliseraient – hors de la présence d’avocats.

En quoi, légalement notamment, cette procédure pose-t-elle problème ?

On n’auditionne pas des enfants sans la présence d’avocats. Dans ce sens, on peut s’interroger sur la garantie lors de ces interrogatoires du respect de « l’intérêt supérieur de l’enfant » – introduite par la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant de 1989.

Aussi, leur demander s’ils seraient prêts à rentrer au Maroc est un non-sens, puisqu’on sait bien que la majorité d’entre eux ont fui le Maroc en raison de violences interfamiliales, et ont quitté délibérément leur pays pour essayer de trouver des jours meilleurs. Alors qu’ils sont en situation de rupture avec leur famille comment vérifier la réalité de leur volonté ? Il faut aussi prendre en compte le fait que ces gamins sont complètement défoncés, psychologiquement dans une situation épouvantable et dorment dans la rue. Ils ont avant tout besoin d’être pris en charge par des services spécialisés. Avec toutes ces conditions réunies, comment imaginer qu’on puisse procéder à des auditions de qualités ? C’est du grand n’importe quoi. Surtout lorsque les choses sont faites en catimini.

En catimini, c’est-à-dire ?

Ce qui est très important dans cette affaire, c’est que la procédure d’accord s’est déroulée sous l’égide de la préfecture de police de Paris, mais que s’il n’y avait pas eu d’indiscrétions médiatiques, les parties concernées n’auraient pas pu réagir en conséquence. Car avant que l’opinion publique, ainsi que le barreau de Paris,  n’en soient informés par le biais des médias, il n’y a eu aucune communication sur le sujet.

Si les intentions des signataires de l’accord étaient à ce point pertinentes et si elles avaient pour but avoué d’œuvrer de façon non expéditive et d’essayer de trouver la meilleure solution pour ces gamins, je ne comprends toujours pas pourquoi l’opération n’a pas été portée à la connaissance de l’ensemble des acteurs ? Pourquoi les choses nous ont été dissimulées ? Pourquoi les réunions se sont tenues en secret ? Et, pourquoi la chancellerie française a été écartée dans un premier temps ? On a vraiment eu le sentiment qu’on était en train de préparer un mauvais coup.

Qu’est-ce que cette opacité pourrait-elle traduire selon vous  ?

A la vue de ce mode de fonctionnement en effet très opaque, on eu l’impression, avec d’autres professionnels, que l’idée première ce n’était non pas de se préoccuper de l’intérêt des enfants, mais de régler le problème d’ordre public sans faire de bruit et de façon expéditive. Ce silence traduit donc d’après moi, que le ministère de l’Intérieur et la préfecture de police ont baissé les bras et ont voulu trouver une solution beaucoup plus simple pour identifier et auditionner ces gamins en se disant « on va les rapatrier rapidos ». Mais le problème que pose cette procédure, c’est qu’une fois dans leur pays, comment s’assurer qu’ils soient pris en charge correctement ?

En tant que militant quel regard portez-vous sur la proposition d’Edouard Philippe de replacer ces enfants auprès de leurs parents ou au sein d’ « une structure adaptée »?

C’est là où vraiment je trouve qu’on se moque de tout le monde. On sait très bien que quand on dit qu’il pourrait y avoir des structures d’accueil adaptées pour ces mineurs au Maroc, c’est un leurre. La situation en la matière au Maroc ne le permet pas. Il y a déjà ce phénomène d’enfants des rues dans les villes marocaines et un grand manque de structures sociales pour les prendre correctement en charge. C’est un fait, les conditions sur place ne sont pas réunies : il n’y pas le personnel suffisant, pas de formations adéquates, ni les financements qui vont avec.

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En vertu la loi n° 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Maroc, à l’émigration et à l’immigration irrégulières qui instaure notamment un délit d’émigration, ces enfants pourront-ils êtres sanctionné à leur retour ? 

Oui, c’est le risque. Comment s’assurer qu’ils ne seront pas victimes de violences une fois au Maroc ? Ou laisser à l’abandon et tomber de nouveau dans la délinquance ? Puisqu’une fois hors du territoire français ils ne dépendront plus du droit pays. En France, c’est le droit français qui doit s’appliquer pour tous les enfants. Et il impose que l’on prenne toutes les décisions pour les mineurs en danger en faisant prévaloir la notion fondamentale de « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Pour s’assurer du respect de cet intérêt, encore faut-il que l’enfant concerné soit en bonne santé. Mais, ces gamins ne sont pas soignés. Il faut d’abord qu’ils soient accompagnés d’éducateurs et d’avocats… Ce qui ne semble pas être le but de cette opération franco-marocaine.

Qu’elle peut-être alors la solution ?

Une entente était administrativement nécessaire pour encadrer la venue des policiers marocains, mais la traduction concrète de cet accord ne débouche sur rien. Même s’il n’y a pas de solution miracle, l’essentiel est de respecter les droits de l’enfance, et que même si les associations sont débordées, il y a quand même eu des cas où, avec de l’attention et la patience, certains de ces jeunes perdus s’en sont sortis.

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