Le football est un business juteux. Gabriel Hicham Guedira l’a bien compris : cet homme d’affaires et féru de football est aujourd’hui à la tête de Foot Angels. Cette structure lui a permis de décliner au Maroc le modèle de formation de trois prestigieux clubs européens, à savoir l’Arsenal, le FC Barcelone, et depuis le mois de juillet, la Juventus. Un parcours atypique pour un passionné de ballon rond qui a débuté sa carrière professionnelle en tant qu’expert-comptable.
Des terrains du FUS au banc de Grenoble
Le frisson d’une complicité sur le terrain, d’un ballon intercepté et relancé en quelques dixièmes de seconde, Gabriel Hicham Guedira le connaît bien. Lorsqu’il évoque ses émotions et souvenirs sur le terrain, l’homme s’adresse à tous les passionnés du sport. Un sujet dont Gabriel Hicham Guedira peut en effet parler en connaissance de cause. Ce natif de Rabat, tombé très jeune dans la marmite du football, a fait ses premiers pas dans le sport du ballon rond au sein du FUS. Une étape qui marque le début de sa carrière, qui s’annonce « brillante » pour ses formateurs de l’époque.
Après son bac en poche, obtenu au Lycée Descartes de Rabat, le franco-marocain s’envole pour la France. Là-bas, le jeune homme poursuit ses études en gestion des entreprises et administration et effectue un parcours en Commissariat aux comptes, expertise comptable dans une grande école de commerce.
Même loin de chez lui et la tête dans plongée dans les bouquins de finances, Gabriel Hicham Guedira n’a jamais abandonné le football. « J’ai continué de jouer avec une équipe à Aix-en-Provence et j’ai failli rejoindre le club de Châteauroux en ligue 2. Cela ne s’est pas fait, puisque je tenais à poursuivre mon parcours académique », confie le jeune homme.
Les études d’abord. Tel est le crédo de Gabriel Hicham Guedira qui, une fois ses études supérieures terminées, intègre le cabinet d’audit Mazars en France. Sa carrière dans le consulting ne durera pas longtemps. Sa passion débordante pour le football le rattrape rapidement : en parallèle de sa carrière de consultant, le jeune homme suit des études spécialisées pour devenir préparateur physique à l’Université Claude Bernard de Lyon.
Puis, ce mordu de ballon troque définitivement le col blanc pour les crampons et les shorts lorsqu’il obtient un diplôme d’entraîneur de la fédération anglaise ainsi que ses diplômes UEFA C et UEFA B qui lui permettent notamment de coacher des équipes jeunes.
L’initiation à Arsenal
En tant que préparateur physique, Gabriel Hicham Guedira fait ses armes au sein de l’équipe première du club Grenoble Foot 38, qui évoluait alors à cette époque en Ligue 1 (première division du championnat français). En 2008, il débarque à Londres pour officier au sein du prestigieux club d’Arsenal, comme préparateur physique, entraîneur et chargé des écoles de football. «Le club avait un grand projet sur la zone MENA », explique Guedira.
Le nom de Guedira, qui parle arabe, français et anglais, est inscrit dans la shortlist des responsables appelés à gérer les écoles de football que le club londonien cherche à lancer dans la région. «Comme les Gunners (surnom d’Arsenal, ndrl) est un grand club formateur, j’ai saisi l’opportunité de participer au développement des antennes d’Arsenal dans cette zone géographique», poursuit-il.
Deux ans plus tard, l’Arsenal Soccer School voit le jour au Maroc, à Bouskoura plus précisément. «L’aventure a commencé en septembre 2010, avec Samir Benmakhlouf, ancien directeur général de Microsoft Maroc, pionnier des écoles de football au Maroc, avec qui j’étais tour à tour entraîneur, responsable technique puis partenaire. C’est ainsi que je me suis retrouvé à diriger l’école», se souvient-il, sourire aux lèvres.
Malgré des débuts prometteurs, tout ne se passe pas comme prévu la structure. «L’école de football d’Arsenal était une vraie réussite», se défend pourtant Gabriel Hicham qui explique que « le souci majeur est l’attente du public avec l’objectif de l’école de football. Il s’agit d’une incompréhension de ce que sont les écoles de football des grands clubs internationaux. Elles n’ont pas pour vocation de livrer des joueurs au plus haut niveau».
En effet, la formation d’un footballeur comprend une phase d’initiation et d’apprentissage (4-12 ans), une autre de préformation (jusqu’à 15 ans), avant la phase de formation et de pré-pro. Le patron de Foot Angels explique que les écoles de football interviennent uniquement sur la première tranche : «Elles opèrent également dans le football-loisir à 15 ans et à 18 ans, en donnant l’occasion à des joueurs qui souhaitent faire du sport dans un cadre organisé et avec un staff qualifié».
«Entre 4 et 12 ans, les écoles de football initient, donnent les outils de base, et orientent vers les centres de formation, ou les clubs», insiste Gabriel Hicham Guedira. Il admet néanmoins que les entités qu’il gère ont d’autres fonctions à remplir : «Ce sont des outils marketing pour les clubs, un développement de leur fan base à travers le monde qui leur permet d’être considérés comme des institutions spécialisées dans l’éducation».
Un litige avec le Barça
Fin 2014, Gabriel Hicham Guedira se lance dans une nouvelle aventure avec le FC Barcelone (FCB). Mais, l’expérience tourne vite au vinaigre. « On a signé en 2014 un contrat avec le club, en vertu duquel le club devait absolument mettre à disposition de Foot Angels son savoir-faire au Maroc », précise-t-il. Si plusieurs clauses du contrat ont été respectées par les deux parties, d’autres ne l’ont pas été », regrette-t-il.
L’affaire est portée en justice en 2017. Guedira se refuse à donner de manière claire les pourtours de cette histoire. «Nous n’étions pas vraiment satisfaits des services rendus par le FC Barcelone. Nous cherchions l’intérêt du joueur marocain, qui évolue à l’académie et nous nous questionnions sur la continuité du projet à long terme», déplore le patron de Foot Angels.
La justice ne s’est pas encore prononcée sur l’affaire. Depuis, la FCB Escola (entité créée au Maroc) n’entretient plus aucune liaison directe avec les Blaugrana. Une situation tendue qui n’a toutefois pas empêché le patron de Foot Angels d’inviter l’ancien joueur du club catalan, Ludovic Giuly, en septembre 2017 pour une rencontre avec les jeunes joueurs de l’académie marocaine.
«L’école de football existe toujours. Elle est passée néanmoins d’une école internationale affiliée au FC Barcelone à une Barcelona Football Academy, avec des coachs catalans à Casablanca», avoue celui qui se targue d’être formé à la méthodologie du club catalan et son modèle de fonctionnement.
Accompagner la « Vieille Dame » au Maroc
Après les Gunners et les Blaugranas, Gabriel Hicham Guedira se tourne cette fois-ci vers les Bianconeri. Nous sommes alors en mai 2018, et ce choix est justifié par le «développement de la Juventus de Turin d’un point de vue business et formation. Il s’agit également d’un développement en termes d’équipe première, mais surtout en termes d’image et brand».
La forte liaison du club turinois avec le Maroc, la communauté marocaine en Italie, ou encore le nombre de followers marocains sur les réseaux sociaux de la Juventus sont autant d’éléments qui ont poussé le patron de Foot Angels à accepter l’offre de la Vecchia Signora (la Vieille Dame).
«Contrairement au FC Barcelone et à l’Arsenal, que nous avions approché, la demande était cette fois-ci du côté italien. La Juventus a aujourd’hui une envie d’élargir sa fan base sur le continent africain et la région MENA. D’ailleurs, des académies et des écoles de football ont ouvert récemment au Bahreïn, à Oman, au Koweït. Celle en Tunisie existe depuis trois années déjà», indique le franco-marocain avant de s’attarder sur l’engouement suscité par le capitaine des Lions de l’Atlas, Medhi Benatia, et l’arrivée du Portugais Cristiano Ronaldo.
«Il y a une adaptation du club à l’international pour les projets des écoles de football, c’est-à-dire qu’on ne vient pas pour imposer une manière de voir, mais pour la partager. On essaie ensuite de l’adapter au pays d’accueil. C’est un partage de connaissance, une intégration entre le pays, le projet local et le projet international du club», explique Gabriel Hicham Guedira.
Même si la Juventus a fait le premier pas pour installer une antenne au Maroc, l’homme d’affaires a quand même dû casser sa tirelire pour obtenir une reconnaissance officielle de son nouveau centre par la Vieille Dame.
Il se refuse toutefois à évoquer le montant de ce ticket d’entrée au sein de l’institution Juventus avec laquelle il a signé un contrat l’autorisant à utiliser l’image du club, «mais surtout le savoir-faire et la méthodologie pour former des joueurs et leur inculquer les valeurs de la Juve».
Une pépinière de talents
Si les grandes écuries de la planète foot se développent dans les quatre coins du monde, c’est aussi pour garder un œil sur les talents locaux. La Juventus de Turin n’échappe pas à la règle, assure Gabriel Hicham Guedira. «Il y a aussi des événements qui sont organisés à l’international, notamment sur les installations de la Juve, où les meilleurs joueurs des académies sont invités à participer à des tournois comme la Coupe du monde des académies Juventus, qui se déroule chaque année, au mois de juin, dans le centre d’entraînement du club à Turin. Une occasion pour les éducateurs et recruteurs de dénicher les talents», développe-t-il.
Afin de former les joueurs marocains, la Juventus Academy Maroc s’est dotée de coachs et formateurs italiens envoyés par la Juventus et des éducateurs marocains. « Des area managers nous rendront constamment visite pour former nos coachs locaux au savoir-faire de la Juventus. Il s’agit ici d’un mix, une opportunité pour le staff marocain pour renforcer ses capacités», souligne Guedira.
L’académie est installée au Paradise Club à Ain Diab. « Nous sommes partenaires, ce qui nous a épargné d’investir dans les infrastructures. C’est le business model de Foot Angels. Nous sommes comme des softwares qui font fonctionner les infrastructures», dit-il fièrement.
Pour intégrer le programme de formation, il faut compter à partir de 490 dirhams mensuels pour les frais d’adhésion. S’ajoutent ensuite les frais liés à l’assurance annuelle et aux équipements sportifs (tenue officielle de la Juventus, incluant t-shirt, short et chaussettes, plus un protège tibia et un sac à dos).
«Un programme social est également prévu : pour la première saison, 21 joueurs seront intégrés à l’académie gratuitement sur des critères sociaux et sportifs. Ce sont des joueurs qu’on va regarder dans un premier temps, inviter aux séances d’entraînement avant de décider de leur octroyer des bourses (équipements sportifs, frais de formations, assurance annuelle)», nuance Gabriel Hicham Guedira, tablant sur un nombre de 400 joueurs (bénéficiaires du programme social inclus) pour la première saison.
Une star de la Juve à l’inauguration
Même si la Juventus Academy accueillera ses premiers pensionnaires dès septembre, l’inauguration officielle est prévue aux alentours de novembre. Y seront conviés les dirigeants du club et des responsables de la direction des académies de football de la Juventus. «Une star de l’équipe première sera présente lors de l’ouverture officielle pour visiter les installations et échanger avec les jeunes», confie l’homme d’affaires, sans pour autant révéler de nom.
A 33 ans seulement, Gabriel Hicham Guedira travaille sur un projet d’extension de la Juventus Academy dans d’autres villes marocaines. Le patron de Foot Angels ambitionne aussi de s’ouvrir à d’autres disciplines que le football. Il a ainsi récemment ouvert la Chicago Basket Academy à Casablanca.
Et l’aventure n’est pas près de s’arrêter. « On a reçu plusieurs demandes, notamment de la Côte d’Ivoire et du Sénégal. Nous étudions actuellement la possibilité de dupliquer ce qui a été déjà fait au Maroc en Afrique», déclare-t-il, confiant. Plus que du sport, c’est tout un business !
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