Du "dirty diesel" exporté par des géants pétroliers vers l'Afrique de l'Ouest

La police hollandaise de l'environnement alerte sur la composition de carburants exportés sur le marché ouest-africain. Le 9 juillet, l'Inspection pour l'environnement et les transports des Pays-Bas a rendu public un rapport dénonçant la pratique de producteurs et vendeurs européens de produits pétroliers. En cause : la nocivité des ingrédients utilisés pour leur fabrication.

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Les Pays-Bas confirment le modèle d’affaires toxique de négociants suisses

Substances cancérigènes, dosage de soufre très élevé… L’Afrique de l’Ouest serait intoxiquée par des produits pétroliers nocifs en provenance d’Europe. C’est le constat alarmant que dresse l’Inspection pour l’environnement et les transports des Pays-Bas (ILT). Dans un volumineux rapport, rendu public le 9 juillet, la police hollandaise de l’environnement accuse des géants du pétrole (des sociétés suisses en majorité) d’exporter en grande quantité du carburant toxique en Afrique de l’Ouest. Remis le même jour au Parlement, le texte insiste sur la nocivité des ingrédients utilisés pour la fabrication de ces produits et dénonce le manque de transparence dans le processus de leur élaboration.

Cette enquête, réalisée sur les cargaisons de quarante-quatre tankers en partance pour l’Afrique de l’Ouest, révèle que les carburants transportés sont élaborés à partir de mélanges (« blending ») de substances chimiques non conformes aux normes européennes. Après analyse d’échantillons, l’ILT a décelé un taux de soufre particulièrement élevé (jusqu’à 378 fois plus que la teneur autorisée en Europe). Utilisée en trop grande quantité, cette molécule peut provoquer cancers et maladies et respiratoires, et favoriser la pollution de l’air, alerte le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE).

Les Pays-Bas « assument », la Suisse esquive

Le rapport de l’ILT, fait écho à celui de l’ONG suisse Public Eye, intitulé « Dirty fuel« . Diffusé en septembre 2016, ce texte révélait comment des négociants – majoritairement suisses – en matière première (tel que Vitole et Trafigura) produisaient et exportaient ce carburant nocif sur le marché ouest-africain, cela en « profitant des faibles standards en Afrique pour produire, livrer et vendre des carburants toxiques ».

Rapport de l’état néerlandais sur les carburants en Afrique de l’Ouest by TelQuelOfficiel on Scribd

Après une investigation de trois ans (de 2015 à 2017) et l’analyse de produits pétroliers dans huit pays africains (l’Angola, le Bénin, le Congo-Brazzaville, le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Sénégal et la Zambie ), Public Eye tirait alors la sonnette d’alarme. A l’époque, l’ONG pointait notamment du doigt les Pays-Bas et la Belgique « comme les principaux exportateurs ». En 2017, suite au rapport de l’ONG et sur pression du Parlement, la Chambre des députés hollandaise avait « promis qu’elle avait pris connaissance de celui-ci (du rapport de public Eye, ndlr) ». Un an plus tard, les autorités environnementales des Pays-Bas rajoutent donc une couche sur le scandale du « Dirty diesel ».

Dans un communiqué datant du 10 juillet, Public Eye se range naturellement du côté de l’ILT et reconnaît : « En publiant cette enquête fouillée, les Pays-Bas assument leur responsabilité en tant que centre de production et d’exportation de carburants nocifs ». Toutefois, l’ONG pointe du doigt l’inertie des sociétés suisses et du Conseil fédéral. Suite à la révélation de cette affaire, les autorités suisses auraient jugé, en effet, qu’il n’était pas « opportun de réagir officiellement ».

Violation des normes européennes et garde-fous

Alors que, depuis 2007, la réglementation européenne se renforce sur le contrôle et le traçage de présence de substances chimiques dans les produits pétroliers, l’enquête néerlandaise dénonce le manque de transparence et la violation de la législature de la part des producteurs et vendeurs de carburants.

Selon le règlement de l’European chemical agency (ECHA), le fabriquant doit indiquer toute utilisation de substances chimiques. Si le taux de ladite substance est jugé non conforme aux normes de l’ECHA, le producteur doit fournir durant le processus de fabrication une fiche technique de sécurité (SDS) attestant la conformité du produit et que celui-ci ne porte pas atteinte à « la santé de la population et de l’environnement« . Or, cette procédure n’a, selon l’Inspectorat hollandais, pas été suffisamment – ou rigoureusement – respectée par les sociétés pointées dans son rapport.

Afin de veiller au respect de la réglementation en la matière, l’ILT prévoit de procéder à davantage d’investigations pour s’assurer à ce que les raffineries et les entreprises chimiques agissent en conformité avec les normes européennes imposées par l’ECHA. Le cas échéant, l’agence de contrôle sanitaire pourra alors informer le pays destinataire afin qu’il puisse déterminer s’il accepte ledit carburant.

Cocktails molotov et pollution de l’air

Si ces préparations illégales représentent une manne pour les négociants en pétrole, elles s’avèrent avoir des conséquences dévastatrices pour la santé et l’environnement. En effet, dans ce carburant à la « qualité africaine », telle que la nomment les traders, la trop haute teneur en soufre est reconnue par les Nations Unies comme une cause majeure de la pollution de l’air. Se basant sur les études de Public Eye, l’ILT confirme que des polluants classés cancérogènes sont également « utilisés à grande échelle » dans ces mélanges. Ces hydrocarbures aromatiques polycycliques (benzène ou de de l’isoprène) particulièrement dosés rendre « le produit plus cancérigène et entraîne davantage d’émissions de particules lors de la combustion dans un moteur diesel ». La présence de manganèse, »à hauteur de 30 fois la limite maximale autorisée en Europe, a également été décelée.

Face à ce scandale, Public Eye informe que le Point de contact national « examine, sur instruction ministérielle, si les firmes impliquées violent les lignes directrices de l’OCDE en matière de respect des droits de l’homme et de l’environnement ». De son côté, le Programme des Nations Unies pour l’environnement clame que « la vente de ce cocktail toxique doit cesser immédiatement ». Et à son directeur de défendre : « Les produits de mauvaise qualité ne doivent pas être vendus, même s’ils sont conformes aux standards nationaux. »

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