Après le tollé provoqué par la vidéo montrant une jeune fille handicapée agressée sexuellement dans un bus de Casablanca en août 2017, six personnes dont cinq mineurs sont poursuivis en détention provisoire pour attentat à la pudeur, tentative de viol, complicité et non-dénonciation de crime. Mais les pouvoirs publics marocains sont restés silencieux sur la question du harcèlement et des agressions des femmes dans les transports publics, à l’exception d’une publication sur Facebook de la ministre de la Solidarité, de l’Egalité, de la Famille et du Développement social Bassima Hakkaoui condamnant « un crime regrettable et honteux ».
La loi contre les violences faites aux femmes, notamment, adoptée en février 2018 alors qu’elle était dans les tiroirs du Parlement depuis 2013, ne prévoit pas de dispositions spécifiques à la problématique du harcèlement dans les transports en commun.
Néanmoins, une campagne de sensibilisation initiée par l’association citoyenne « Centre Tahadi », en partenariat avec M’dina Bus, a été menée le 25 novembre 2017 a l’occasion de la journée contre les violentes faites aux femmes, et un atelier de sensibilisation au profit des chauffeurs de la société de transport urbain Stareo a également eu lieu en fin d’année.
Que doivent entreprendre les pouvoirs publics pour garantir la sécurité des utilisatrices des transports en commun ? De quels exemples étrangers le Maroc peu-il s’inspirer ? Eléments de réponse avec Mary Crass, directrice des relations institutionnelles du Forum International des Transports (FIT) et spécialiste des questions des femmes dans les transports publics.
L’agression sexuelle d’une jeune fille dans un bus à Casablanca en août 2017 n’a pas été suivie de mesures des pouvoirs publics marocains pour améliorer la sécurité des femmes dans les transports publics. Au regard des bonnes pratiques mondiales, quelles sont vos recommandations pour changer durablement la situation ?
Le Maroc est loin d’être le seul pays au monde qui rencontre des problèmes d’agression violente et de harcèlement des femmes dans les transports. Pour faire face à ce problème, il faut tout d’abord des lois très claires sur le sujet, et ensuite un engagement des autorités pour les faire respecter, sans exception. Il faut qu’il soit clair pour l’opinion publique que ces actes, qui sont objectivement inacceptables, n’ont pas à être tolérés par qui que ce soit. Il faut que les actions des autorités, de la police et des opérateurs de transport soient coordonnées pour que les actes d’agression et de harcèlement verbal et physique soient concrètement punis.
C’est à ces conditions qu’il pourra y avoir une prise de conscience collective. Et les autorités ainsi que les opérateurs ont leurs responsabilités pour assurer cette prise de conscience. Des campagnes de communication doivent appuyer cela.
Que démontrent les études sur le harcèlement des femmes dans les transports selon les pays ?
Il y a des exemples très concrets qui démontrent qu’une part importante des femmes se sentent vulnérables et victimes de harcèlement physique ou verbal dans les transports en commun. Les chiffres montrent que le pourcentage des femmes qui estiment être victimes de harcèlement est énorme. Dans les villes d’Amérique latine telles que Bogota, Mexico et Lima, environ 60% des femmes disent avoir été victimes de harcèlement physique pendant leur déplacement en transport en commun. A Londres, 32% des femmes se disent avoir été victimes de harcèlement verbal dans les transports publics. Si on veut promouvoir un système de transport durable et efficient, il faut que celui-ci soit accessible et inclusif pour tous.
Les femmes utilisent davantage les transports publics que les hommes : aux Etats Unis, les femmes représentent 55% des usagers des transports publics : à Buenos Aires 54%, et à Quito 64%. des voyages en transports publiques sont effectués par des femmes. Si l’on veut conserver la clientèle féminine du système, il faut que les femmes se sentent en sécurité dans les transports en commun et qu’elles puissent s’exprimer et être entendues en cas d’agression ou de harcèlement.En effet, trop souvent, les femmes n’osent pas rendre compte d’une agression, car elles craignent des représailles ou de ne pas être prises au sérieux. Les autorités et les opérateurs ont le devoir de rassurer les femmes en leur garantissant que leur sécurité est au cœur de leur préoccupation et que toute plainte est prise au sérieux et traitée de manière adéquate. C’est une condition indispensable pour libérer la parole des femmes victimes de harcèlement ou d’agression.
Quels pays ont mis en place des bonnes pratiques en la matière, et desquelles le Maroc pourrait s’inspirer ?
En Inde, des campagnes de communication ont été mises en place avec de bons résultats.Ce sont notamment des campagnes d’affichage et sur les réseaux sociaux. En Amérique latine il y a des travaux en cours, notamment dans le cadre d’une initiative récente intitulée « She Moves Safe », conduite par la Fondation FIA (Fédération Internationale de l’Automobile) avec la Banque de développement d’Amérique latine, (CAF), qui explore en détail ces questions de sécurité personnelle. L’UITP (l’association internationale des transports publics), avec la Banque Mondiale, est également en train de travailler sur les questions de la sécurité et la sûreté des femmes dans les transports publics.
Compte-tenu de leurs contraintes spécifiques, les femmes font-elles un usage des transports en commun différent des hommes ?
Au Forum International des Transports (FIT), nous avons étudié la pertinence de la question du genre dans le comportement des déplacements dans les villes et conclu que l’on se déplace différemment selon que l’on soit une femme ou un homme. Les femmes ont en général des comportements de déplacement beaucoup plus complexes, parce que leurs journées ont des caractéristiques plus variées. Par exemple, elles mènent plusieurs activités sur le chemin du travail. Par ailleurs, on s’est rendu compte que le genre est un indicateur de comportement de déplacement qui est souvent plus pertinent que d’autres indicateurs très largement utilisés pour étudier les comportements de déplacement tels que les revenus moyens du foyer, âge, etc. Le FIT travaille actuellement sur ces questions.
La question de la tenue vestimentaire des femmes revient aussi souvent dans les discussions ;un acte d’agression contre une femme demeure inadmissible quelle que soit sa tenue vestimentaire. C’est une question du respect de l’être humain et l’application de la loi doit être stricte sur ce point.
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