Passer au peigne fin un manuscrit comme support (types de papiers, écritures, encres ou couleurs utilisés) pour en déceler la datation, la localisation et des bribes du contexte de sa production, c’est que permet en gros la codicologie.
Cette science qui étudie des manuscrits comme « objets archéologiques » était au coeur d’un cycle payant de formation qui s’est déroulé du 20 au 22 avril dans la capitale spirituelle du royaume. Pour 1.300 dirhams pour les chercheurs marocains et 3.300 dirhams (sans l’hébergement) pour les chercheurs étrangers pour les trois jours de l’atelier, une quarantaine de personnes ont fait le déplacement au centre Rawafed d’études et recherches sur la civilisation du Maghreb et l’héritage méditerranéen.
« L’objectif pour nous est de mettre en valeur cette science et donner envie à des chercheurs de s’y intéresser « , nous explique Aziz Abouchra, responsable du centre et chercheur en pensée islamique à l’université Ibnou Tofail de Kenitra.
La discipline est née au XXe siècle. Aujourd’hui, elle est principalement dominée par les chercheurs occidentaux, même quand il s’agit des manuscrits rédigés en arabe. Ahmed Chouqui Binebine, directeur de la bibliothèque royale Al Hassania et codicologue, ambitionne de la populariser auprès des chercheurs « locaux« .
« 50 % des manuscrits dans le monde arabe n’ont toujours pas été étudiés. Nous gagnerons à former de nouvelles générations de chercheurs qui auront une source intarissable de savoir dans les manuscrits arabes », nous explique l’auteur de Vocabulaire codicologique du livre manuscrit arabe, qui nous reçoit dans son bureau.
Il y aurait plus de 2,5 millions de manuscrits en écriture arabe selon la chercheuse Geneviève Humbert. « Avec mon équipe, j’ai déjà entamé le travail codicologique sur des milliers de manuscrits de la bibliothèque Al Hassania et nous n’allons pas nous arrêter en si bon chemin », ajoute Ahmed Binebine.
Introduction à la codicologie dans l’antre royal
Si de l’extérieur, la petite bâtisse de la khizana rattachée au palais royal de Rabat ne paie pas de mine. Le premier étage, où les archives de la bibliothèque ont été mises en place, est somptueusement décoré avec d’imposants lustres et des rayons en bois sculpté. Le temps semble s’y être figé.
Dans sa blouse blanche, Mustapha Taoubi, un des disciples de Binebine, nous « introduit » au travail codicologique. Il s’empare de l’ouvrage Al Tara’if wal Al-tala’id de Mohamed Ibn Al Mokhtar Ben Ahmed Ben Abou Bakr Al Kunti dit Cheikh Al Khalifa. Composé de sept chapitres, ce livre retrace principalement la riche vie du père de l’auteur, fondateur d’une zawiya de la confrérie Qadiriyya à Azawad (Mali).
Le manuscrit est relativement récent (début du XXe siècle), mais est relativement vétuste. Le papier est de fabrication industrielle, l’écriture est maghrébine et le code couleur rouge pour les titres dénote « d’une grande finesse du scribe » nous dit Taoubi, qui a traduit Introduction à la codicologie de Jacques Lemaire.
« Il serait fastidieux de relever l’ensemble des détails du manuscrit. Il faut simplement garder en tête qu’en plus des éléments techniques de l’ouvrage (support, format, nombres de feuillets, pliage, piqûres), s’ajoutent les éléments de la transcription à savoir les notes en marge du texte, la mise en page…« , nous indique le chercheur.
« A l’image des archéologues, nous sommes à l’affût de tous les indices qui peuvent nous renseigner sur l’histoire du livre et le contexte dans lequel il a été écrit« , poursuit-il. Un travail colossal qui touche aussi à l’édition des manuscrits.
La codicologie et le coran sont-ils compatibles?
Au Maroc et dans le monde arabe, les manuscrits religieux priment sur les recherches en matière de codicologie. « Notre patrimoine et les fonds des bibliothèques arabes sont liés à la théologie, mais l’exercice n’est pas exclusif à la religion. J’ai déjà travaillé sur des documents de médecine ou d’histoire », explique Mustapha Taoubi.
Ces études posent de facto des questions inextricables sur la cohérence de la pratique. À commencer par la recension du coran. Si des fragments du texte ont été écrits du vivant du prophète Mohammed, la transmission manuscrite complète ne s’est faite que des années après sa mort (en 632) dans un contexte politique mouvementé.
Un premier recueil du texte a été réalisé sous Abou Bakr, puis sous Omar, mais c’est la version « imposée » par le troisième calife, Othmane, qui fait référence dans la tradition musulmane. Sous le cinquième calife Omeyyade Abd Al Malik (685-705), le coran a été une nouvelle fois reformé et c’est vraisemblablement la version du coran contemporain.
Des chercheurs et codicologues comme le Marocain Mohamed Lamssiah ou le Français François Deroche questionnent la version officielle de la tradition musulmane, ainsi que l’authenticité des récits en évoquant les zones d’ombre de la tumultueuse histoire du texte coranique.
Pour sa part Ahmed Chouqui Binebine est catégorique: « Il y a beaucoup d’orientalistes qui présentent des théories étonnantes qui remettent en question la véracité du coran, mais c’est complètement faux« .
Il concède toutefois que « la question de la transmission manuscrite du coran reste posée pour les chercheurs musulmans, car on a des informations contradictoires sur son assemblage« . Autant dire que le débat reste ouvert, mais pas les esprits.
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