Comprendre l'affaire Scott Pruitt: le déplacement intéressé d'un responsable américain au Maroc

Le déplacement au Maroc en décembre dernier du patron de l’Agence américaine de protection de l’environnement Scott Pruitt fait l’objet d’une controverse aux Etats-Unis. Médias et élus américains l'accusent d'avoir profité de ce voyage pour servir les intérêts de lobbys gaziers américains et diplomatiques marocains.  

Par

Scott Pruit, administrateur de l'EPA. Crédit: AFP

Un déplacement controversé. En décembre dernier, le patron de l’Environmental Protection Agency (EPA, établissement public indépendant du gouvernement américain), Scott Pruitt se rendait au Maroc dans le cadre d’une visite officielle. A l’occasion de ce premier déplacement d’un membre de l’administration Trump au Maroc, l’approvisionnement du Royaume en gaz naturel liquéfié était simplement évoqué selon une dépêche de l’agence de presse AP.

Mais quelques semaines après cette visite, Tom Carper, un haut responsable démocrate du Comité sénatorial de l’environnement, réclame un audit à l’inspecteur interne de l’EPA concernant ce déplacement dont le coût a été estimé à 100.000 dollars par le Washington Post. Dans le détail, 16.217 dollars ont été déboursés pour un vol Delta Airlines de Washington à Rabat. Un vol avec escale à Paris : 494 dollars pour une nuit dans un hôtel parisien. Scott Pruit descend ensuite au Sofitel Marrakech, avec les huit membres de sa délégation, personnel de l’EPA et agents de sécurité, selon un officiel de l’agence cité par le New York Times.

Outre son train de vie, l’audit mené par l’inspecteur interne de l’EPA s’est penché sur l’objectif de la visite de Scott Pruitt. Alors que l’agence américaine s’occupe de la protection de l’environnement et de la réduction de la pollution, il ressort de l’audit que le but du voyage  était en fait d’assurer la promotion des exportations de gaz naturel liquéfié américain vers le Maroc. Une mission éloignée des objectifs de l’EPA.

Un voyage douteux

Au mois de janvier, Scott Pruitt a du s’expliquer, devant les sénateurs américains sur son déplacement au Maroc au cours duquel il s’est entretenu avec le ministre de l’Energie, Aziz Rebbah. Devant le Sénat, il est sévèrement tancé par la sénatrice démocrate de l’Illinois Tammy Duckworth : « Je ne comprends pas ce que la vente de gaz naturel a à voir avec la mission de l’EPA. La promotion du gaz naturel est le genre de chose qui incombe au secrétaire d’Etat à l’Energie ou peut-être un candidat au poste de gouverneur de l’Oklahoma ».

L’accusation de la sénatrice fait référence au passé de directeur de l’EPA. Avant de diriger l’agence environnementale américaine, Scott Pruitt officiait en effet comme procureur général de l’Etat américain de l’Oklahoma. Dans ces fonctions, Scott Pruit aurait créé des liens avec des lobbys pétroliers et gaziers, selon le New York Times.

Alors que l’audit du déplacement de Pruitt se poursuit, le site d’information The Hill, très lu par les élus basés à Washington, révèle qu’avant son voyage au Maroc, l’administrateur de l’EPA a rencontré de nombreux représentants d’associations et d’entreprises ayant des intérêts dans les exportations de gaz naturel liquéfié. Le responsable a notamment pris part à plusieurs réunions, s’étalent sur deux jours, avec les représentants de Kinder Morgan, l’entreprise de construction de terminaux de gaz liquéfié.

Pour rappel, le Maroc avait décliné en 2014 une feuille de route pour le développement de l’utilisation du gaz naturel liquéfié à partir de 2021, pour un investissement de près de 4,6 milliards de dollars.

Un intermédiaire lié au Maroc

Les soupçons autour du voyage marocain de Scott Pruitt ne s’arrêtent pas là. Fin avril, LeDesk.ma révèle que le déplacement du patron de l’EPA a été organisé par le lobbyiste américain Richard Smotkin, engagé par le Maroc.

Seul employé du cabinet de lobbying Smotkin ThirdCircle, l’homme a signé un contrat le liant à l’ambassade du Maroc à Washington, quelques semaines après le déplacement de Scott Pruit au Royaume. Selon un document du Département de la Justice des Etats-Unis daté du 4 avril, le contrat entre les deux parties prévoit une rémunération mensuelle de 40.000 dollars sur les douze prochains mois. En contrepartie, le lobbyiste devra mettre « l’accent sur la promotion du Maroc en tant que destination cinématographique » et  « promouvoir le Maroc comme une destination golf de classe mondiale ».

Richard Smotkin est un connaisseur du Maroc. Alors qu’il opérait comme lobbyiste pour le compte du groupe médiatique américain ComCast, il s’est déjà rendu plusieurs fois au Maroc pour promouvoir le Royaume en tant que site de production cinématographique pour Comcast et ses filiales, parmi lesquelles figure NBC Universal. C’est d’ailleurs durant ces années qu’il a connu Scott Pruitt, qui servait alors comme procureur général de l’Oklahoma.

Renforcement de partenariat

Pour le New York Times, la signature du contrat liant Smotkin Third Circle au Maroc est liée au voyage de Scott Pruitt au Maroc. Car quelques semaines avant un déplacement au Royaume, en octobre 2017, le lobbyiste aurait arrangé une rencontre entre le patron de l’EPA et l’ambassadeur du Maroc aux Etats-Unis, Lalla Joumala. Une rencontre à l’issue de laquelle Pruitt aurait été invité à se rendre à Marrakech, selon le quotidien new-yorkais. L’homme serait également à l’origine d’une rencontre entre Scott Pruitt et le président de l’OCP, Mostafa Terrab ayant eu lieu le 12 décembre.

En réaction à cette polémique, la porte-parole de l’ambassade du Maroc à Washington, Maria Bensaid, a déclaré dans un communiqué cité par le New York Times que l’ambassade avait invité Scott Pruitt à se déplacer au Maroc afin de  » favoriser notre partenariat et approfondir certains secteurs de coopération « . Elle a indiqué que toutes les visites de travail étaient organisées par la voie diplomatique officielle.

Rejoignez la communauté TelQuel
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous

Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer