« Les détenus protestent contre le mauvais traitement réservé à leurs familles par l’administration de la prison d’Oukacha », lance Me Abderrahim Jamaï, agitant la lettre rédigée par les soins de Nasser Zafzafi et de ses compagnons, avant de la remettre au juge Ali Torchi, ce lundi lors de la reprise du procès du Hirak à la Cour d’appel de Casablanca.
Le bâtonnier sollicite vivement une intervention du président de la cour auprès du procureur général, afin de mettre fin à l’isolement de Nasser Zafzafi. « Mon client vit depuis plusieurs mois en cellule individuelle alors qu’il assiste plusieurs fois par semaine aux audiences aux côtés du reste des accusés« , regrette l’avocat.
La partie civile, soutien inattendu à Zafzafi
Le substitut du procureur, Hakim El Ouardi, salue « ce mode de dialogue » et promet de transférer la lettre au directeur de la prison. Un des avocats de la partie civile prend alors la parole: « nous demandons également la levée de l’isolement de Nasser Zafzafi, puisqu’en ce moment, aucun motif juridique ne justifie cela ». Stupeur dans la salle.
C’est dans cette ambiance que débute l’audience de Mohammed Mejjaoui. Celui que les militants du Hirak surnomment « le sage » est un homme bien mis et de taille moyenne. Il a le visage osseux, la barbe fournie, et le verbe facile. Il vit depuis deux ans de son activité d’instituteur dans la province de Ketama. A 47 ans, c’est un taulier du militantisme, passé par les mouvements estudiantins, ceux des diplômés-chômeurs, les partis d’obédience marxiste-léniniste et plus récemment le Mouvement du 20 février.
Appuyé sereinement sur la barre, il exprime tout le respect qu’il porte à la Cour et réfute les accusations d' »incitation au complot contre la sûreté intérieure de l’Etat » et d' »outrage aux éléments de la force publique pendant l’exercice de leur fonction« . Il articule lentement et marque régulièrement des pauses, comme pour aider le greffier à consigner mot pour mot ses paroles.
« Le complot dont je suis accusé va à l’encontre de mes valeurs. Ceux qui parlent de complot font semblant d’oublier que ce sont les Marocains résidant à l’étranger qui font vivre une majeure partie des Rifains. Je n’ai pas non plus ébranlé la loyauté de mes concitoyens. Pour tout vous dire, c’est la faim, la pauvreté, la mort dans les descenderies de Jerada, la tragédie de l’immigration clandestine, les bousculades meurtrières pour un sachet de vivres à 150 dirhams qui ébranlent la loyauté des Marocains« , argumente l’accusé.
Et le dialogue échoua
En février 2017, Mohamed Mejjaoui aurait été contacté par Naïma Yousfi, représentante en chef du Conseil national des droits de l’Homme à Al Hoceïma. Cette dernière lui aurait annoncé une visite du secrétaire général du Conseil, Mohamed Sebar, dans l’optique d’engager un dialogue avec les militants du Hirak.
« Jamais la venue de Mohamed Sebar n’a été refusée, bien au contraire. Mais nous exigions que les négociations aient lieu en public, et qu’elles soient filmées. Ça n’a pas abouti, car M. Sebar préférait des discussions secrètes, voilà tout« , raconte l’accusé.
Il est aussitôt contredit par le juge : « pourtant vous avez expliqué lors de l’examen préliminaire que c’est Nasser Zafzafi qui avait refusé le dialogue ». Mohamed Mejjaoui campe sur sa position, et déclare que « les procès-verbaux ne l’engagent en rien ».
Au moment de lever l’audience, le juge s’adresse aux détenus, citant un verset de la sourate Al Nissaâ: « Et ne vous tuez pas vous-mêmes. Allah, en vérité, est miséricordieux envers vous ». Ce à quoi Nasser Zafzafi rétorque : « la grève de la faim est un droit légitime, monsieur le juge. Ne nous libérez pas, libérez plutôt le pays des corrompus! ».
Mejjaoui est ensuite interrogé sur un supposé différend avec Nasser Zafzafi autour de l’avenir du Hirak. Selon sa déposition à la BNPJ, Mohamed Mejjaoui s’est désengagé du Hirak « en raison de l’attitude autocratique de Nasser Zafzafi, qui prenait des décisions unilatérales et comptait élargir le mouvement au-delà de ses revendications sociales et économiques« .
L’avocat de la défense Me Mohamed Aghnaj intervient alors, non sans ironie : « mon client est accusé de complot avec Zafzafi contre l’Etat. Mais à lire ce procès-verbal, l’on serait tenté de comprendre qu’il complotait pourtant contre Nasser! ». Suite du procès ce mardi 20 mars.
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