Le 18 décembre 1975, en réponse à la Marche verte un mois plus tôt, le président algérien de l’époque, Houari Boumédiène ordonne l’expulsion massive des Marocains installés en Algérie. 45.000 familles, établies depuis des décennies, sont alors refoulées vers des camps de réfugiés au Maroc.
Dans Les fourmis prédatrices, publié fin 2017 aux éditions du Bouregreg, et présenté le 11 février au Salon international du livre et de l’édition de Casablanca, Fatiha Saïdi raconte l’histoire de l’un de ces Marocains expulsés, Mohamed Moulay.
Mohamed est né dans une famille pauvre, à El Ançor, petit village situé à une vingtaine de kilomètres d’Oran (nord-ouest de l’Algérie). Là-bas, Algériens, Marocains, Français, Espagnols, à la fois juifs, chrétiens et musulmans cohabitent dans la bienveillance et le respect.
Mohamed confesse même être incapable de différencier un Marocain d’un Algérien. À l’école, il est « SNP » (« Sans nom patronymique ») Mohamed Ben Abdelkader, comme les quelques autres élèves de sa classe d’origine marocaine, eux aussi sans documents administratifs.
C’est dans ce contexte que le 3 juillet 1962, après près de 8 ans de conflits armés entre Algériens et colons français, l’Algérie acquiert son indépendance. Algériens et Marocains d’Algérie se sont battus, ensemble, pour libérer le pays. C’était sans se douter de la tournure que les événements allaient prendre.
De frères à ennemis
Un jour, en rentrant du marché, le père de Mohamed, Abdelkader, l’annonce à la famille: « La guerre est déclarée entre l’Algérie et le Maroc. Ils se disputent le Sahara« . Mohamed, trop jeune pour réellement comprendre, commence tout de même à réaliser qu’il est né dans une famille différente des autres. Il n’est pas Algérien, même si son grand-père, en quête d’un avenir meilleur pour lui et sa famille, a quitté le Maroc en 1921.
A 18 ans, Mohamed réalise qu’être de nationalité marocaine sur le sol algérien, lui fermera des portes, tant pour la poursuite de ses études que pour ses recherches de travail. Après avoir essuyé plusieurs échecs, il décide de quitter l’Algérie où il ne voit aucun avenir. Le plan est en marche.
Il traverse la Méditerranée et rejoint l’Europe, où il atterrit chez sa tante, à Bruxelles. Sa régularisation ne sera pas facile. Nous sommes en 1974, date du premier choc pétrolier.
Le monde est plongé dans une énorme crise financière et la Belgique décide de ne plus accueillir d’immigrés sur son territoire. Retour à la case Algérie pour Mohamed, convaincu qu’il retentera sa chance plus tard.
L’Algérie lui avait manqué, mais durant son absence, les choses ont nettement changé. Dès la douane, on lui demande « êtes-vous Marocain » ? Ses grands-parents seront les premiers à être expulsés. Dans la foulée, suivront, son frère, sa tante, son oncle et ses cousins. Il ne faudra pas attendre longtemps pour qu’il soit lui aussi refoulé avec ses parents. « Notre vie en Algérie s’arrête net aujourd’hui« , témoigne-t-il dans le livre, sous la plume de Fatiha Saidi.
Réfugié dans son pays
Dépossédée de tous ses biens et expulsée vers Oujda, la famille de Mohamed vit sous une tente, dans un camp de réfugiés aménagé dans la cour d’une école. Le camp devient rapidement surpeuplé, et les Rifains d’origine sont transférés dans un autre camp, à Nador.
Mohamed et les siens espèrent que l’Algérie et le Maroc trouveront un terrain d’entente et qu’ils pourront bientôt rebrousser chemin. Que nenni. Les relations entre les deux pays se dégradent.
Néanmoins déterminé à sortir sa famille de la misère du camp, Mohamed se fait engager sur un chantier près du port de Beni Ensar. De fil en aiguille, il se retrouvera à Rabat, avec un travail au ministère de la Jeunesse et des Sports. Toute la famille le rejoint.
Ils emménagent dans un petit appartement dans le quartier populaire de Takadoum. C’est à cette adresse qu’il reçoit une convocation du Tribunal de Rabat. Une enveloppe l’y attend. Elle contient un document qui lui redonne son identité. Mohamed est dès lors un ANP (Avec nom patronymique). Il s’appelle Mohamed Moulay, marocain né en Algérie. Enfin, il existe.
La suite du récit nous plonge dans la vie de Mohamed. L’homme qui s’est demandé maintes fois « à qui il devait ce cauchemar » voit sa vie doucement changer. Sa famille s’agrandit, sa situation administrative et financière s’améliore.
Comme lui, 350.000 Marocains expulsés d’Algérie vivent aujourd’hui au Maroc. Des organisations, comme l’Association des Marocains expulsés d’Algérie (ADMEA), luttent pour que les autorités algériennes reconnaissent leur responsabilité dans ce drame et rendent leurs biens à ces citoyens.
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