Il a été syndicaliste, dauphin pressenti de Nelson Mandela, puis homme d’affaires à succès. À 65 ans, le vice-président Cyril Ramaphosa s’apprête enfin à concrétiser l’ambition de toute sa vie: diriger l’Afrique du Sud.
Moins de deux mois après avoir pris la tête du Congrès national africain (ANC), le parti au pouvoir depuis 1994, M. Ramaphosa doit, au plus tard vendredi, officiellement succéder à la présidence à Jacob Zuma, contraint mercredi de démissionner.
Son accession à la tête du pays sonne comme une consécration pour cet enfant de Soweto, militant de la première heure de la lutte contre l’apartheid. C’est aussi une revanche. En 1999 déjà, Cyril Ramaphosa avait cru pouvoir décrocher son Graal. Considéré comme le « fils préféré » de l’icône Mandela, il s’était déjà présenté à la présidence de l’ANC. Mais les caciques du parti lui avaient finalement préféré Thabo Mbeki. Déçu, il avait fait mine de renoncer à toute prétention présidentielle pour se consacrer aux affaires.
Après avoir amassé une fortune de près de 378 millions d’euros, selon le classement 2015 du magazine américain Forbes, M.Ramaphosa est revenu dans l’arène politique, en se faisant élire en 2012 vice-président de l’ANC. En décembre dernier, il accède à la présidence du parti, en promettant de refermer définitivement la page des scandales qui ont agité le règne de Jacob Zuma.
« Nous allons nous attaquer à la corruption et à la « capture de l’État » », lance-t-il après sa victoire. « La population tient à ce que justice soit rendue sans peur, sans passe-droit, sans a priori ». Un peu facile, jugent ses adversaires, qui lui reprochent d’avoir découvert bien tard les turpitudes de son « patron ». « Depuis qu’il est devenu le numéro 2 de Jacob Zuma, Cyril Ramaphosa a été au mieux silencieux, au pire complice », l’a ainsi étrillé le chef de l’opposition, Mmusi Maimane. Qu’importent les critiques. Dans un parti en crise, le vice-président est persuadé que son heure a enfin sonné.
« L’un des plus doués de la nouvelle génération », selon Mandela
Né le 17 novembre 1952 à Soweto, Cyril Ramaphosa s’est illustré dans le militantisme étudiant des années 1970. Arrêté en 1974, il passe onze mois en cellule d’isolement. Diplômé en droit, il se tourne vers le syndicalisme – forme légale de protestation contre le régime de l’apartheid – et fonde en 1982 le Syndicat national des mineurs (NUM). Sous ses ordres, l’organisation devient une machine de guerre qui réunit 300.000 membres. Son implication dans la grande grève du secteur en 1987, qui fait vaciller le régime de l’apartheid, lui vaut d’être remarqué par les dirigeants de l’ANC.
Quand Nelson Mandela sort de prison, en 1990, il fait du jeune syndicaliste un de ceux qui vont négocier la transition politique avec le pouvoir blanc. Il figurait parmi « les plus doués de la nouvelle génération », a écrit de lui « Madiba » dans ses mémoires. Dans la foulée des premières élections démocratiques de l’histoire du pays, en 1994, il devient président de l’Assemblée constituante. Négociateur redoutable, c’est lui qui dirige la rédaction de la Constitution sud-africaine.
Après son échec pour succéder à Nelson Mandela à la tête de l’ANC en 1999, le socialiste autoproclamé Ramaphosa coupe les ponts avec l’ANC pour se lancer dans les affaires. À la tête de la holding Shanduka, il fait fortune en siégeant aux conseils d’administration de la Standard Bank, en présidant celui de l’opérateur de téléphonie MTN ou en rachetant toutes les licences des restaurants McDonald’s du pays, bénéficiant de la politique d’émancipation économique des Noirs.
Son divorce avec la politique n’est que de courte durée. « C’est la politique qui fait battre son coeur. Ses affaires étaient un moyen, pas une fin en soi », explique son ancien partenaire Michael Spicer au journaliste Ray Hartley, auteur de la biographie « Ramaphosa, l’homme qui voudrait être roi ».
Élu vice-président de l’ANC en 2012, vice-président du pays depuis 2014, Cyril Ramaphosa est de retour, ambitieux comme jamais. Pour parvenir à ses fins, il compte sur son image modérée et son passé de « héros » de la lutte anti-apartheid pour séduire les classes moyennes et les investisseurs.
Président jusqu’aux élections générales de 2019
Son passage dans le monde des affaires lui vaut parfois de vives critiques. En 2012, alors administrateur du groupe minier Lonmin, l’ex-syndicaliste demande à la police de rétablir l’ordre à Marikana (nord), où des mineurs réclament de meilleurs salaires. La police ouvre le feu sur les grévistes, faisant 34 morts. Cyril Ramaphosa est blanchi par une commission d’enquête, mais ce massacre continue à lui être reproché par ses adversaires.
Ni cette embarrassante affaire, ni de récentes accusations d’adultère – rapidement balayées – ne l’empêchent toutefois de continuer sa course vers le sommet. Bientôt seul aux commandes, il doit redresser l’image d’un parti divisé pour le conduire à la victoire lors des élections générales de 2019, et réaliser les promesses de la nation « arc-en-ciel » rêvée par son mentor Nelson Mandela.
Devant ses ex-collègues patrons, il a assuré au début du mois à Davos que son pays était entré dans « une nouvelle ère ». Il lui reste un peu plus d’un an pour le prouver.
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