Après huit jours passés à Tunis dans le cadre d’un reportage, c’est au matin du 9e jour que je me suis dirigé vers le principal axe routier de la ville, l’avenue Habib Bourguiba.
Alors que l’avion censé me ramener au Maroc était prévu à 11h30, j’attends un taxi qui doit m’emmener vers l’aéroport de Carthage, muni de deux valises. L’une contenant mes effets personnels tandis que l’autre est remplie de livres achetés sur place ou offerts par des personnes rencontrées en Tunisie. C’est cette deuxième valise, aux allures de boite, qui allait être la cause de mon interpellation par la police tunisienne.
Patrouille de rue
C’est aux premières heures de la matinée, un peu avant 8h00, que je sors de mon hôtel pour prendre le taxi sensé m’emmener à l’aéroport. Ma valise remplie de livres attire la curiosité d’une patrouille de police présente sur place. Fusils à la main, les policiers s’avancent vers moi réclamant que je décline mon identité et dévoile le contenu de ma valise. Pour les rassurer, je me contente de signaler que cette valise ne contient que des livres.
S’ensuit une fouille de mes bagages durant laquelle les 14 livres que j’avais en ma possession (tous en langue arabe) sont examinés. Le titre de ces ouvrages est la première chose qui attire l’attention des forces de l’ordre: « Le mouvement islamiste et sa relation avec l’État islamique« , « L’histoire de la prière dans l’islam » (Jawad Ali), « La dialectique de l’identité et de l’histoire« , œuvre consacrée à l’historien Hicham Djait ainsi que d’autres ouvrages à caractère historiques.
« Pourquoi transportes-tu ces livres?« , me demande l’un des agents de police après avoir examiné mon passeport. Surpris par cette question, je réponds que je suis journaliste et que les sujets évoqués dans ces ouvrages m’intéressent. Les policiers me demandent alors de présenter des preuves de l’exercice de ma profession et des justifications mon déplacement en Tunisie.
« Quelles sont les personnes que tu as rencontrées en Tunisie? » me demande le chef de patrouille en tenue civile, tout en s’avançant vers moi. Je réponds que j’ai rencontré Hicham Djait et Abdeljelil Temimi, deux historiens tunisiens.
Les passants observent la scène. Je demande alors au chef de la patrouille si les ouvrages en ma possession sont interdits en Tunisie ou s’il est interdit de les faire sortir du pays de Beji Caied Essebssi.
Tout en gardant à l’esprit l’avion que je dois prendre pour rallier Casablanca, je signale au chef de patrouille que je risque de rater mon vol pour Casablanca. « C’est ton problème, pas le nôtre« , me répond-il sèchement tandis que certains de ses collègues m’encerclent.
Ces derniers procèdent ensuite à la lecture d’un carnet dans lequel je note mes questions et idées. Alors que l’un des agents lit page par page le contenu de ce bloc-notes, la carte de visite d’Abdelhamid Jelassi, un des leaders du parti islamiste Ennahda, tombe du carnet rendant les agents des forces de l’ordre plus sceptiques qu’ils ne l’étaient déjà.
À la vue de cette carte de visite, le chef de patrouille prend son téléphone et appelle la sûreté nationale, énumère les titres des ouvrages retrouvés dans ma valise, en insistant sur les titres faisant référence au radicalisme. Dans le même temps, un autre agent s’est emparé de ma seconde valise, se mettant à la fouiller mes affaires qu’il jette à même le sol avant de s’écrier: « il a un ordinateur! ».
Nous nous dirigeons ensuite vers le centre de police. Dans le talkie-walkie du chef de patrouille, une voix annonce: « son casier judiciaire est propre. Il n’a pas d’antécédents ». À l’instant, je me rends compte de la rapidité de police tunisienne à obtenir des renseignements sur les touristes transitant par le pays.
Une annonce qui ne change rien, puisque nous nous dirigeons, à pied, vers le commissariat situé à 300 mètres de l’hôtel où je résidais. Dans le même temps, un policier me fait savoir que « la situation en Tunisie nous oblige à effectuer de telles interpellations surtout lorsqu’il s’agit de personnes transportant des livres avec de tels titres« .
Au centre de la police
Une fois arrivé au commissariat, je m’assieds devant un bureau qui rappelle ceux du Maroc. « Êtes-vous journaliste et écrivain? », me demande le commissaire, un sourire au coin des lèvres. Je réponds que je suis journaliste et écrivain et que je me suis rendu en Tunisie pour rencontrer l’historien Hicham Djait.
On m’interroge ensuite sur mon identité, celle de mes parents, celle de mes grands-parents avant de me demander mon adresse au Maroc et d’être questionné sur mon lieu de résidence à Tunis. L’interrogatoire porte ensuite sur le contenu des livres que je transportais et la raison pour laquelle je les lis. Je dois ensuite me justifier en expliquant que ces livres n’ont rien à voir avec le radicalisme et que certains d’entre eux m’ont été donnés. J’évite toutefois de me lancer dans un débat avec le commissaire au sujet de mon arrestation dans l’espoir de rallier l’aéroport de Carthage au plus vite.
Après une longue attente, marquée par l’inactivité, le commissaire revient vers moi et me demande de signer un document rédigé par ses propres soins. Toujours dans le but rallier l’aéroport au plus vite, je signe le document sans même le lire.
Mais mes peines ne s’arrêtent pas là. Une fois sorti du commissariat, une voiture de patrouille m’attend et je subis un nouvel interrogatoire au sujet de mes rencontres. Le commissaire de police va même jusqu’à me demander s’il existe une relation entre Hicham Djait et le parti Ennahda. Ce à quoi je réponds que si Ennahda est situé au bord d’une rive, l’historien se situe dans le côté opposé.
Il est déjà 9h00 passé. Après avoir remercié les agents des forces de l’ordre, j’embarque dans un taxi dont le chauffeur affirme qu’une personne transportant une valise s’est récemment fait exploser. J’interromps alors le conducteur pour lui demander si cette valise était remplie de livres.
Traduit de l’arabe par Rida Ançari
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