Un collectif de femmes, dont l’actrice Catherine Deneuve, l’animatrice Brigitte Lahaie, et l’écrivaine Catherine Millet, ont publié mardi 9 janvier une tribune dans Le Monde pour « défendre la « liberté d’importuner » des hommes et s’opposer à la « campagne de délations » apparue après l’affaire Weinstein, s’inscrivant à rebours des mouvements #BalanceTonPorc ou #MeToo.
« Le viol est un crime. Mais la drague insistante ou maladroite n’est pas un délit, ni la galanterie une agression machiste », soutient ce collectif d’écrivaines, comédiennes, chercheuses, journalistes, qui considèrent que les femmes ont le droit de ne « pas se sentir traumatisées à jamais par un frotteur dans le métro, même si cela est considéré comme un délit ».
La secrétaire d’Etat française chargée de l’égalité femmes-hommes Marlène Schiappa s’est inquiétée de ce « discours dangereux » : « dire qu’éventuellement, dans certains cas, une agression sexuelle peut être ‘considérée comme un délit’, ce n’est pas vrai.(…) frotter un sexe d’homme contre une femme dans le métro sans son opinion, c’est une agression sexuelle, ça vaut jusqu’à trois ans de prison et 75.000 euros d’amende. On a du mal à dire aux jeunes filles qu’elles n’ont pas à éprouver de la honte, qu’elles ne sont pas coupables de cela. C’est dangereux que de tenir ce discours ».
Mercredi, un collectif de 30 féministes ont répondu par une autre tribune, arguant que »les signataires de la tribune mélangent délibérément un rapport de séduction, basé sur le respect et le plaisir, avec une violence (…) Ce n’est pas une différence de degré entre la drague et le harcèlement mais une différence de nature. Les violences ne sont pas de la ‘séduction augmentée’. »
Mercredi soir, la porte-voix du collectif des féministes, Caroline de Haas était invitée sur le plateau de BFM TV pour débattre des violences sexuelles envers les femmes avec Brigitte Lahaie.
Cette dernière a d’abord déclaré: « Le vrai problème pour moi, c’est la compréhension de ce qu’est la construction identitaire sexuelle pour une femme et un homme. » Elle a ensuite appelé à rendre aux femmes la « puissance de leur corps et leur capacité à jouir ». Caroline De Haas, qui a elle-même été victime d’un viol, lui a alors répondu que « les violences empêchaient la jouissance ». « On peut jouir lors d’un viol, je vous signale« , a alors rétorqué Brigitte Lahaie.
Ce moment où Brigitte Lahaie balance "On peut jouir lors d'un viol" à Caroline de Haas (qui en a été victime) en plein débat sur BFMTV… J'ai plus de mots… #TribuneDuMonde #MeToo pic.twitter.com/fCdU7LSdOS
— Nils Wilcke (@paul_denton) January 10, 2018
Caroline De Haas a ensuite tweeté précisant que « le corps d’une victime de violence peut réagir de plein de manières différentes » :
Le corps d’une victime de violence peut réagir de plein de manières différentes. Cela ne change rien au fait que le viol’est un crime. Placer cette phrase alors que l’on parlait de plaisir sexuel donne un sentiment de banalisation de la violence.
— Caroline De Haas (@carolinedehaas) 10 janvier 2018
A l’étranger, le débat divise
En Allemagne, le journal conservateur Die Welt défend la tribune, estimant que « dans un pays dont la culture et la littérature se caractérisent depuis des siècles par le libertinage, la galanterie et la liberté sexuelle, et qui a produit des auteurs comme le marquis de Sade ou le philosophe Michel Foucault, la police du puritanisme – pour qui toute tentative de drague un peu lourde est assimilable à un crime – ne pouvait pas œuvrer longtemps sans susciter de résistance.”
De même, en Italie, une partie de la presse soutient clairement la tribune publiée dans Le Monde. Le fondateur du journal Il Foglio, Giuliano Ferrara, a ainsi tweeté : “Deneuve et les autres : la France est la nouvelle avant-garde du monde libre. #JeVousL’AvaisBienDit.” Son quotidien avait, dès le début du mouvement, réagi avec scepticisme et une certaine hostilité à #MeToo.
Dans un édito du New Yorker, la journaliste Lauren Collins dénonce quant à elle les contradictions du texte français, qui, selon elle, utilise des arguments « usés ». « Harceler les femmes n’est pas l’expression d’un tempérament artistique sans lequel le monde perd de sa magie ».
En mars dernier, Catherine Deneuve avait soutenu le réalisateur Roman Polanski, accusé d’agressions sexuelles, déclarant à la télévision, à propos de son inculpation en 1977, qu’elle avait « toujours trouvé que le mot de viol avait été excessif ». Des propos ensuite jugés « déplacés » par le CSA.
L’actrice a fait l’objet de nombreux tweets critiques à son égard :
La tribune de #CatherineDeneuve et ses amies = La complainte des femmes riches du monde des arts: « Laissez les mecs vous mettre des mains au cul dans le métro, sinon ils ne banderont plus pour nous sauter au Festival de Cannes » pic.twitter.com/lpErlNszBh
— Emilie Mazoyer (@EmilieRadioFr) 9 janvier 2018
Quand on est féministe et exigeante on est maintenant qualifiée de « puritaine » par des femmes qui sont, pardon, très loin d’être les mieux placées pour représenter nos droit… #feminisme #CatherineDeneuve #puritanisme #quandilvautmieuxreflechiraulieudejuger
— Agnes S. (@AgnesScotto78) 9 janvier 2018
Si beaucoup de femmes ont réagi , les hommes également. L’intellectuel Raphaël Glucksmann voit dans cette tribune , « l’attachement critiquable à un ordre patriarcal » que lui est « ravi de voir ébranlé ». L’entrepreneur Xavier Alberti, qui fait partie de l’association pour la mixité «Jamais sans elles », affirme quant à lui qu’il n’ y a pas de liberté d’importuner. L’avocat en droit de la famille Eric Morain monte également au créneau : « On me dit que Catherine Deneuve parle du métro dans une tribune du Monde. Voilà, ce sera tout ».
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