« Christophe Boisbouvier, bonjour”. S’il devait s’auto-interviewer, c’est probablement comme ça qu’il commencerait l’entretien, à l’image de ses interviews quasi quotidiennes d’acteurs de l’actualité africaine dans “L’Invité Afrique” sur les ondes de RFI depuis 2002. Des questions qui vont droit au but, précises, et ne laissent pas le loisir à son interlocuteur de faire dans la langue de bois. C’est que “Boibou”, pour ses collègues, sillonne l’Afrique depuis qu’il a intégré RFI et effectué son premier reportage sur le continent en Centrafrique en 1985. Dans les valises d’un président français (il a encore interviewé Macron le 29 novembre à Abidjan), dans les arcanes des sommets africains (une quinzaine de sommets de l’Union africaine à son actif), sur les terrains de conflits (Somalie 1992, Rwanda 1994), ou dans les palais présidentiels du continent (saviez-vous que Kadhafi roulait en golfette dans son palais de Syrte ?). Jamais avare de tuyaux avec ses confrères, il connaît les chefs d’Etat africains depuis bien avant leur accession. Et vice-versa. Aussi, lorsqu’on lui propose pour une fois d’être l’interviewé, ce n’est pas de lui qu’il parle, mais de ses confrères disparus, de ses rencontres, et des innombrables anecdotes vécues en trente-deux ans de carrière à tutoyer les puissants d’Afrique.
Dates clés1957 : Voit le jour à Paris Telquel: Certains chefs d’État vous appellent par votre prénom. Comment en arrive-t-on à ce niveau de proximité ?Christophe Boisbouvier: Les chefs d’État savent que, le jour où ils se retireront de la politique, je les solliciterai beaucoup moins. Et je sais que, le jour où je ne serai plus journaliste, ils ne répondront plus à mes demandes de rendez-vous. Simplement, les relations professionnelles n’interdisent pas la cordialité et les marques d’attention sur la santé ou la famille. Ainsi, en juillet dernier, lors d’un sommet de l’Union africaine à Addis Abeba, le président congolais Joseph Kabila s’est souvenu qu’il m’avait vu un jour avec une jambe dans le plâtre et m’a demandé comment j’allais. Quand un chef d’État vous connaît depuis l’époque où il était dans l’opposition, voire en prison, il vous ouvre sa porte plus facilement. Donc, pour l’Ivoirien Alassane Ouattara, le Guinéen Alpha Condé, le Sénégalais Macky Sall, le Malien Ibrahim Boubacar Keita, le Burkinabé Roch Marc Christian Kaboré, le Béninois Patrice Talon et quelques autres, je fais partie des vieilles connaissances, au même titre que mes confrères et consœurs qui suivent l’actualité de l’Afrique francophone. Un jour, le président tchadien Idriss Déby m’a dit, en référence à l’époque où il dirigeait la rébellion contre Hissène Habré : “Je me souviens très bien de notre conversation téléphonique quand j’étais de passage à Ouagadougou.” Et j’ai bien compris que le souvenir de ce coup de fil m’ouvrait plus facilement les portes de son palais à N’Djamena. En fait, quand on est journaliste à RFI, on est écoutés partout en Afrique francophone et, quelquefois, l’impact est très fort. En Côte d’Ivoire par exemple, après le demi-échec du putsch de septembre 2002 contre Laurent Gbagbo, quand le général Gueï a été assassiné en plein Abidjan par des militaires, Alassane Ouattara a failli connaître le même sort. Et c’est en écoutant Ghislaine Dupont, sur les ondes de RFI, qu’il a pris conscience du danger et qu’il a réussi à s’échapper. Depuis ce jour, il voue une reconnaissance éternelle à Ghislaine. Le 2 novembre 2013, quand Ghislaine a été assassinée au Nord-Mali, il a été très choqué et a immédiatement appelé sa famille. Avez-vous vécu des moments privilégiés avec ces chefs d’État, au-delà du cadre strictement journaliste-politique ?Je me souviens du sommet Afrique-France à Yaoundé, en janvier 2001. Le président d’un pays sahélien accepte de m’accorder une interview dans sa suite d’hôtel. Il est près de minuit. On s’installe dans le petit salon de sa suite. Je branche le magnéto. À ce moment-là, une porte s’entrouvre et une main de femme apparaît. Juste la main, tenant la poignée. “Mon” président regarde cette main quelques instants et me dit : “Je suis désolé, mais il est tard. Je crois qu’on va reporter à demain.” Je me souviens aussi qu’en octobre 2003, au lendemain de l’assassinat de Jean Hélène, le correspondant de RFI à Abidjan, le président gabonais Omar Bongo m’a invité à venir l’interviewer dans un grand hôtel parisien. Il était vraiment ému et j’ai donc partagé avec lui un moment qui n’était pas seulement professionnel. Le souvenir de vos confrères disparus demeure prégnant. Avez-vous eu peur pour votre vie ?J’ai eu peur dans certains reportages de guerre, comme en Somalie en 1992 ou au Rwanda en 1994. Et l’assassinat de mes amis Ghislaine Dupont et Claude Verlon, en novembre 2013, a été pour moi un choc terrible. Je crois que notre métier est de plus en plus dangereux. Il y a vingt ans, quand nous mettions le mot “PRESS” sur le capot de notre véhicule, cela nous protégeait. Aujourd’hui, au contraire, cela nous met en danger. Cela fait de nous des cibles. Des frontières vous sont-elles interdites ?Il paraît qu’un bon journaliste est un journaliste qui a été expulsé au moins une fois dans sa carrière. C’est arrivé à deux consœurs de RFI, Ghislaine Dupont en République démocratique du Congo et Sonia Rolley au Tchad. Mais à moi, jamais. Donc, je ne dois pas être un très bon journaliste. Y a-t-il eu des tentatives de cadeaux, de séjours ou autres pour vous “acheter” ?Des tentatives de cadeaux, non. Les présidents africains savent que les journalistes de RFI ne les acceptent pas. Des tentatives de séjours, oui. Mais, comme mes collègues, je décline poliment. En avril 1990, par exemple, Mobutu a invité une vingtaine de journalistes belges et français à Kinshasa pour assister à une conférence de presse où il devait annoncer l’instauration du multipartisme. J’y suis allé à “mes” frais. Il reste les invitations à déjeuner ou à dîner. Un soir, par exemple, le président Patassé m’a invité à sa résidence à Bangui. J’ai accepté, évidemment. J’étais très honoré. Des pressions moins agréables peut-être pour influer sur un papier, une émission ?Les pressions, ça existe, bien sûr. Chaque menace d’expulsion d’un correspondant de RFI ou de coupure d’une fréquence de RFI est une pression. À mon petit niveau d’intervieweur, il y a de petites pressions de la part de certains attachés de presse de chefs d’État ou de candidats, qui me demandent de connaître les questions à l’avance. Je me contente de leur envoyer la liste des thèmes que j’entends aborder. Et s’ils font blocage sur un sujet important, je réplique que les auditeurs seraient très étonnés si ce sujet n’était pas abordé et qu’il y va de la crédibilité de l’interview. En général, ça s’arrange. Ainsi, l’an dernier, pendant les primaires de la droite française, Nicolas Sarkozy a fini par accepter que je l’interroge sur le prétendu financement libyen de sa campagne de 2007. Des chefs d’État vous ont-ils fait rire par des habitudes amusantes, ou peut-être avec une famille originale ?L’un des grands jeux d’Omar Bongo, c’était de donner un surnom à ses interlocuteurs. Comme il trouvait que je ressemblais à Claude François, il m’appelait du nom du chanteur — ce qui faisait beaucoup rire les collègues techniciens de RFI qui m’accompagnaient. Du coup, maintenant, l’un d’entre eux, Manu Pochez, m’appelle toujours “Cloclo”. La famille Soglo est originale. La première dame du Bénin, Rosine Soglo, était beaucoup plus qu’une épouse de chef d’État. Lors des conférences de presse de son mari, à Cotonou, elle s’asseyait à ses côtés et nous regardait d’un air sévère. Vous demandent-ils conseil parfois ?Des conseils, non. Mais mon avis sur l’élection française à venir, oui. Comme “gouverner, c’est prévoir”, beaucoup de chefs d’État africains veulent savoir à l’avance qui va gagner en France. Donc, ils me sondent parmi d’autres. Quelquefois, avant Internet, ils me faisaient appeler deux heures avant l’annonce des résultats, c’est-à-dire le dimanche soir vers 18 heures, pour connaître les dernières tendances. Et les présidents français que vous avez accompagnés en Afrique, une gaffe de l’un d’entre eux à partager ?Un soir de juillet 2007, au Gabon, à la table de Bongo dans son palais du bord de mer, Sarkozy a demandé à son hôte d’abréger le dîner et les discours, car il avait un avion à prendre. Vu que la veille, au Sénégal, il avait prononcé son calamiteux discours de Dakar, on peut parler d’une tournée des gaffes. Un moment de rigolade ?Le 29 novembre dernier, au sommet UA-UE d’Abidjan, Emmanuel Macron a écourté un ou deux tête-à-tête pour donner une interview en direct à France 24 et RFI. Roselyne Febvre et moi, on savait que chaque minute comptait. On était tendus. Au moment de démarrer, le réalisateur nous a dit dans l’oreillette : “La liaison avec Paris est coupée. Deux minutes d’attente.” Devant le président, Roselyne et moi avons commencé à houspiller le malheureux réalisateur. Et on a vu Macron en train de se marrer. Autre souvenir amusant, un jour de juillet 1995 à Libreville, juste après une rencontre entre Jacques Chirac et l’Equato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema, qui avait la fâcheuse habitude de jeter ses opposants en prison. Chirac nous a lâché : “Je lui ai dit qu’il avait un caillou dans sa chaussure”. N’oubliez pas que c’est le même Chirac qui, quelques années plus tôt, lors d’un conseil européen à Bruxelles, avait dit en regardant Thatcher : “Qu’est-ce qu’elle me veut, cette mégère ? Mes couilles sur un plateau ?” Et un moment tendu ?La visite de Nicolas Sarkozy au Tchad, en février 2008. Idriss Déby venait de repousser in extremis une offensive rebelle au cœur de N’Djamena. L’un des principaux opposants, Ibni Oumar Mahamat Saleh, avait été enlevé par des militaires et avait disparu. En tant que secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), Abdou Diouf était du voyage. Sarkozy, Déby, Diouf… tout le monde pesait ses mots et l’atmosphère était lourde. Vous ont-ils fait des confidences sur le Maroc ?Je ne me souviens pas de confidences de chefs d’État français sur le Maroc. Mais j’ai été frappé par deux choses. La proximité entre Mitterrand et le roi Hassan II, lors du sommet franco-africain de Casablanca, en décembre 1988. Et la vraie tristesse de Chirac à l’annonce de la mort du roi, en juillet 1999. Je le suivais dans une tournée africaine et, aussitôt, il a annulé sa dernière journée de visite au Cameroun pour rejoindre Rabat. D’habitude, les journalistes qui suivent un président français en Afrique volent dans un avion réservé à la presse. Mais là, vu l’urgence, j’ai pu monter dans l’avion présidentiel. Les policiers de l’escorte me regardaient d’un drôle d’air. Après le décollage de Yaoundé, Chirac a pris le micro du chef de cabine pour remercier tous les corps de métier qui l’accompagnaient depuis quatre jours (médecins, policiers, membres du protocole, etc.). Mais il était affecté. Cela se voyait, cela s’entendait.
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