Si, comme l’énonce Kant, la philosophie ne s’apprend pas, l’art de dresser une table à l’occidentale, de manger en toute dignité et de converser sans brusquer dans les salons feutrés, ça s’apprend. Ces codes de civilité bourgeoise d’une ère révolue font de l’œil à une classe moyenne urbaine désireuse de fignoler ses bonnes manières pour briller en société. Zineb Khoudraji, une jeune femme qui a fait ses armes dans l’hôtellerie de luxe au Maroc et à Londres, l’a très bien compris en lançant l’Étiquette & Protocol Academy. Un centre de formation accélérée des bonnes manières calquées sur un modèle européen “avec une touche marocaine”. La consultante ambitionne d’inculquer à ses clients les règles de base des protocoles de la vie en société (pour adultes ou enfants), du business ou de l’hôtellerie. Nous avons donc mis en veille notre insolence et sommes allés à la rencontre de la consultante en élégance et bonnes manières pour comprendre le mécanisme de ces fameuses étiquettes.
Protocole pour tous
En ce 27 novembre, rendez-vous est donc pris à la tombée de la nuit, boulevard 2 mars à Casablanca. Zineb Khoudraji nous attend dans sa “Finishing School”, un appartement modèle aux couleurs stendhaliennes et aux murs tapissés de miroirs, comme dans les catalogues de design. “L’Étiquette & Protocol Academy n’est pas une école pour apprendre les bonnes manières. Elle ne s’adresse pas uniquement à la haute sphère, mais est ouverte à tous. Je ne refais pas l’éducation de mes clients : je leur apprends les codes de l’art de vivre” nous dit d’emblée cette diplômée de la Minding Manners International Finishing School à Londres, une école où Lalla Salma aurait également étudié. Brushinguée, subtilement maquillée et droite dans ses bottes, elle poursuit : “Ils viennent pour parfaire la touche gracieuse et finale du geste, de l’attitude et du langage corporel. C’est ce qui leur permet de se distinguer en société ou dans le business.” Maintenant que le flou est levé sur la portée de l’étiquette et du protocole, nous voilà prêts pour une séance de coaching express sur deux modules de base : vie sociale et business.
On commence par simuler “les beaux gestes”, une phase introductive “primordiale”, car elle marque le premier contact avec l’autre. Zineb Khoudraji déroule alors une multitude de consignes sur comment marcher droit, saluer avec courtoisie, adopter une belle posture et s’asseoir. Les gestes nous semblent évidents, un brin exagérés… On passe à l’étape suivante : l’art de la table. Pour dresser une table, on a le choix entre une méthode à la française (les fourchettes sont retournées vers le bas et les cuillères vers le haut) ou à l’anglaise (disposition contraire). Vient ensuite le moment de placer ses invités. Chose à ne surtout pas faire : les placer à sa gauche, “car le service commence toujours par la droite et il ne faudrait pas servir ses invités en dernier”, nous explique avec sérieux l’experte. Une fois à table, on passe à l’usage des couverts. Toujours commencer par ceux placés à l’extérieur et, au fil du service, remonter vers l’intérieur. Les couverts placés en haut de l’assiette sont réservés au dessert. Pour ce qui est des verres, le plus grand est celui de l’eau et les deux autres destinés aux vins rouge et blanc.
“L’étiquette n’accepte pas les réflexions crues”
À table, il faut respecter certaines consignes de conversation. Pour la consultante en art de vivre, il est préférable de faire l’impasse sur la trinité politique, religion et argent. “Ce sont des sujets qui fâchent, donc il vaut mieux les éviter, car le but est de passer un bon moment autour d’un dîner”, assume-t-elle. Ceux qui n’ont pas la langue dans leur poche doivent dompter leur franc-parler. “L’étiquette n’accepte pas les réflexions crues, optez plutôt pour un langage diplomatique qui ne risque de blesser personne. Ce n’est pas de l’hypocrisie, ça relève du tact”, conseille-t-elle. Le même déroulé est réservé aux dîners d’affaires. La question qui nous turlupine : que dit le protocole au sujet du tagine ? “Le tagine a également son étiquette. Et ce n’est pas parce qu’on mange avec la main qu’on ne la respecte pas”, nous rétorque Miss Bonnes manières. Elle nous explique qu’il faudrait manger avec trois doigts, devant soi et ne pas faire le “tri” dans le plat. Bref, des consignes convenues, qui n’apportent rien de nouveau aux amateurs de tagine et autres connaisseurs de la Sunna. On fait aussi une simulation du module business, où les règles de base sont les mêmes que pour l’art de vivre. La formatrice ajoute cependant des détails comme l’art et la manière de la poignée de main, de la bise ou même du contact visuel. “Ça paraît évident, mais il est important de maîtriser ses gestes et ses regards. C’est l’étiquette qui fait la différence”, tranche-t-elle en réponse à nos questions suspicieuse.Elle donne alors un exemple : “Il faut respecter la carte de visite : ne pas écrire dessus, la pousser sur une table ou la distribuer comme des cartes de jeu. Il est important de la donner de la main droite ou des deux mains.”
Etre distingué, ça coûte combien ?
Des cadres de banques et multinationales, médecins, femmes au foyer, mais surtout des ingénieurs adhèrent au concept et n’hésitent pas à payer pour apprendre l’art et la manière du protocole. Chaque atelier collectif (comprenant quatre séances) coûte 1500 dirhams et ne dépasse pas dix personnes. Et si vous préférez avoir des workshops personnalisés, il faut compter 500 dirhams de l’heure. Des entreprises, ministères et institutions publiques font aussi appel à la “Finishing School” casablancaise. Et si Zineb Khoudraji préfère garder l’anonymat de Ses clients institutionnels, elle glisse le nom de Bank Al-Maghrib ou Al Jazeera Media Institute à Doha. La consultante propose aussi des ateliers art de vivre pour enfants. Elle atteste que les codes protocolaires ne sont pas traumatisants pour les gamins. “Les ateliers sont ludiques. Les enfants jouent et apprennent en même temps”, assure-t-elle.
Depuis moins d’un an, Zineb Khoudraji s’est lancé un autre défi : former des consultants. Pour le faire, elle s’est associée avec In Good Company, une académie d’étiquette canadienne. “Ils suivent le même cursus protocolaire qu’au Canada. Le programme est validé par l’International Civility Trainers Consortium”, nous explique-t-elle. Dix personnes (dont 2 Tunisiennes) ont déjà obtenu leur diplôme de consultantes. “J’ai toujours été une amoureuse du savoir-vivre, mais en même temps, j’ai suivi une formation d’ingénieur, un univers assez fermé. Je n’avais donc qu’une envie : m’ouvrir sur l’humain et la beauté. Ce fut le cas avec les ateliers de l’Étiquette & Protocol Academy”, nous confie Meriem, 32 ans, cadre dans une banque à Casablanca. “J’ai suivi plusieurs ateliers et à chaque fois, j’en sortais grandie, c’est comme une thérapie qui m’a vachement facilité la vie. Avec Zineb, on s’autorise le droit d’être une princesse, et c’est fascinant”, poursuit-elle. On en profite pour demander à Zineb Khoudraji si elle n’a pas croisé l’épouse de Mohammed VI dans les couloirs de la Minding Manners International Finishing School. Elle infirme et conclut : “De toutes les manières, nous n’avons pas suivi la même formation.”
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