Chine-Maroc: un partenariat win-win?

Alors que l'idylle commerciale entre le Maroc et la Chine bat son plein avec l'installation du constructeur automobile chinois BYD et l'adhésion du Royaume à la route de la soie, certains experts portent un regard plus nuancé sur cet élan sino-marocain. Pour  eux, il s'agirait davantage d'une relation fournisseur/client que d'un véritable partenariat.  Explications.

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Le ministre des Affaires étrangère Nasser Bourita et son homologue chinois Wang Yi, en 2017. Crédit: DR

Lors de la signature, le 17 novembre dernier à Pékin, du mémorandum d’entente relatif à l’initiative « One Belt, One Road » (Route de la soie) par le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, et son homologue chinois Wang Yi, ce dernier avait insisté sur « la grande importance que le Maroc attache au développement des relations bilatérales entre les deux pays« , indiquant que le partenariat stratégique Maroc-Chine devrait franchir un nouveau palier dans les années à venir.

Ce partenariat s’est encore exprimé à travers l’annonce de l’installation du constructeur automobile chinois « Build Your Dreams » (BYD), pionnier du transport électrique, qui devrait construire quatre usines dans la future cité industrielle Mohammed VI Tanger Tech. Mais peut-on réellement parler d’un partenariat ?

Lors de la 5e Rencontre internationale de Dakhla les 7 et 8 décembre sur le thème de la nouvelle économie mondiale, trois professeurs spécialistes de la question chinoise ont analysé les tenants et aboutissants de la présence chinoise au Maroc, et plus largement sur le continent africain, prenant leurs distances par rapport au discours relayé dans les médias qui se réjouissent sans réserve de la présence chinoise.

Ne pas confondre investissements et prestations de service

Pour Thierry Pairault, directeur de recherche au CNRS et au Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine à l’EHESS, il est inexact de considérer, comme on l’entend généralement, que l’investissement est l’élément le plus important de la présence chinoise en Afrique. « Si l’on se réfère aux données chinoises, en 2016 l’investissement chinois en Afrique est de 2,4 milliards de dollars, ce qui est extrêmement faible, puisqu’il ne représente que 1,2% des investissements chinois dans le monde« .

Il nuance : « On peut remettre en cause ces données. On peut dire aussi que les entreprises chinoises trouvent des investissements locaux… mais la tendance, qui est indéniable, est celle d’une nette baisse de l’investissement chinois en Afrique, en valeur absolue, mais aussi relative », considère-t-il.

D’autres études, notamment celle menée par le fDi Markets en mai 2017, publiée par le Financial Times et reprise par l’OCDE, estiment que le montant de l’investissement chinois en Afrique est de 36 milliards de dollars. « Ces différences nous imposent de nous interroger sur les calculs », considère le professeur Pairault qui doute d’ailleurs du chiffre avancé.

« Un seul investissement serait à l’origine de plus de 60% de ces 36 milliards: un contrat à 20 milliards de dollars de novembre 2016 signé entre la China Fortune Land Development (CFLD) et le gouvernement égyptien pour l’édification d’une nouvelle capitale administrative en Égypte. En réalité, le montant de 20 milliards n’est pas annoncé dans l’accord, qui parle plutôt d’une étude de faisabilité, sans aucune obligation juridique pour aucune partie. Il semble clair qu’il s’agit d’un investissement qui sera réalisé par le gouvernement égyptien qui aura recours à la prestation de service d’une entreprise chinoise. En plus, l’entreprise n’est pas chinoise, mais singapourienne« , constate Thierry Pairault.

Le chercheur observe la même méthode pour d’autres projets, notamment pour un port en Algérie où les entreprises chinoises ont finalement décidé de se retirer, mais également pour Tanger Tech, projet qui, rappelle-t-il, « est financé par la BMCE et non par des investissements chinois« .

Comment en arrive-t-on alors à surestimer les investissements chinois en Afrique? « Il y a une confusion entre investissement et prestation de service. Il y a certes une présence d’entreprises chinoises, qui construisent des infrastructures. Mais les investissements ne sont pas chinois. Ce sont les gouvernements locaux qui investissent. On confond les flux de l’Afrique vers la Chine avec les flux de la Chine vers l’Afrique. C’est en réalité l’Afrique qui doit payer à la Chine un montant 25 fois supérieur au montant de l’investissement direct. La balance commerciale en 2016 montre un déficit de 92 milliards de dollars de l’Afrique vers la Chine« , explique encore Thierry Pairault. Ce qui fait dire au chercheur que « la Chine se place en fournisseur et l’Afrique en client« .

La route de la soie, une vision chinoise de la globalisation?

Xavier Richet, professeur à la Sorbonne et spécialiste de l’économie chinoise, voit la Route de la soie comme « quatre corridors terrestres menant à l’Europe où les Chinois pourront mettre en œuvre leur savoir-faire. Elle crée de nouvelles dépendances dans certains pays comme le Cambodge ou Laos qui sont dépendants de la Chine en termes d’investissements[…], car les Chinois sont donneurs d’ordre et financent » les projets auxquels ils participent dans le cadre de cette initiative. Pour lui, l’objectif  de cette approche chinoise est d' »utiliser leurs surcapacités pour faire à l’extérieur ce qu’ils font à l’intérieur« .

Il rappelle que « l’activité chinoise en Asie centrale et en Europe s’est construite en grande partie avec des retombées uniquement chinoises, car la sous-traitance locale n’existe pas ». Selon lui, c’est la problématique à laquelle fait notamment face le Maroc. Il en conclut donc que « le jeu chinois n’est jamais gagnant-gagnant, il y a un seul gagnant : la Chine ».

Xavier Richet reconnaît cependant des aspects positifs pour les autres pays, notamment l’expansion économique, la mobilisation de compétences dans des domaines reconnus et la contribution au commerce mondial.

Pour Thierry Pairault, les retombées pour le Maroc sont essentiellement politiques et symboliques: « le Maroc a besoin de signaux qui montrent que c’est un pays fort, et la Chine peut lui apporter cela. Le mémorandum de la route de la soie est un signe politique« .

Une diplomatie chinoise professionnalisée qui sert ses intérêts internes

Joël Ruet, chercheur au CNRS au Centre d’Économie de Paris-Nord, associé au Centre de recherche en gestion de l’École Polytechnique, insiste sur le rôle de la diplomatie chinoise qui « revient de loin« .

« Elle a mis 5 à 10 ans à trouver son point d’accroche. Aujourd’hui, elle est professionnalisée et vibrante, car elle a su investir dans la formation linguistique, culturelle de ses diplomates« , analyse-t-il.

Mais selon lui, « cette diplomatie sert d’abord les intérêts de la transformation économique chinoise interne, avant même les intérêts des entreprises chinoises à l’étranger. Il y a une reprise en main par le régime chinois des entreprises chinoises qui s’internationalisaient, pour leur faire entretenir des liens plus ténus avec les territoires chinois et dans un intérêt de création d’emplois en Chine« .

C’est pour cela, estime Thierry Pairault, qu’il existe des mésententes entre le ministère des Affaires étrangères chinois et le ministère du Commerce, ce dernier n’ayant d’ailleurs pas été impliqué dans le processus de signature du mémorandum sur la Route de la soie.

« Alors que le ministère des Affaires étrangères va donner sa bénédiction à tous les pays, dans une volonté de coopération tous azimuts sur l’ensemble des secteurs, le ministère du Commerce vise quant à lui le marché européen à travers la route de la soie. En cela, Tanger est intéressante pour lui, non pas parce qu’elle est en Afrique, mais parce que c’est une voie ouverte vers les pays du nord de la Méditerranée« , analyse-t-il.

« L’Afrique doit se méfier des politiques économiques des autres »

Finalement, quelle attitude l’Afrique doit-elle adopter face aux ambitions complexes du géant chinois? Thierry Pairault reprend à son compte la citation d’un philosophe burkinabé : « On ne développe pas, on se développe« .

Pour lui, l’attitude africaine face à la présence chinoise n’est pas proactive. « On attend que la Chine résolve les problèmes. Or il faut inverser cela, en réestimant le rôle que peuvent jouer d’autres partenaires, notamment le Brésil, ou l’Inde« , conseille-t-il.

Joël Ruet appelle quant à lui à plus de méfiance. Il cite Marguerite Yourcenar: « je suis d’une moralité douteuse dans le sens où je me méfie de la moralité des autres« . Il transpose la citation à la relation sino-africaine: « je crois que l’Afrique doit être d’une politique économique douteuse dans le sens ou elle doit se méfier des politiques économiques des autres« .

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