Un rapprochement entre le Maroc et l’OHADA est-il judicieux ?

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Avocats et juristes se sont retrouvés à Casablanca lors du symposium sur l’investissement en Afrique. Au coeur des discussions: l’intérêt du rapprochement du Maroc et de l’OHADA, organisation intergouvernementale africaine d’intégration juridique.

« Je suis totalement favorable à une convergence juridique entre le Maroc et l’OHADA« , nous déclare Dorothé Cossi Sossa, secrétaire permanent de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA). Pour son cinquième voyage au Maroc, à l’occasion du symposium de Casablanca sur l’investissement en Afrique, l’homme politique béninois a participé au symposium sur l’investissement en Afrique. 

« Pour l’instant, le droit de l’OHADA est déjà un outil pour les investisseurs marocains qui vont dans les pays membres de l’organisation« , constate Dorothé Cossi Sossa qui veut aller plus loin. Le secrétaire permanent de l’OHADA se dit favorable à l’adhésion du Maroc à son organisation qui se compose pour l’instant de 17 pays. « Deux autres pays sont en cours d’adhésion en Afrique centrale et de l’ouest« , poursuit-il sans vouloir nous donner les noms.

« Entre l’adhésion et la non-adhésion, il y a un chemin« , déclare Mounia Boucetta, secrétaire d’État à la Coopérationn étrangère, qui a également pris part au symposium. Dans son discours, elle a notamment insisté sur la création de partenariats, d’outils de travail mutuels et le développement du networking.  « Cette décision d’adhésion est hautement politique. Il n’y a pas d’obstacles juridiques« , juge Dorothé Cossi Sossa qui est « personnellement persuadé que nous allons finir par nous retrouver« . 

 Une adhésion techniquement facile

Pour convaincre le Royaume d’intégrer son organisation, le Béninois s’applique à informer les autorités marocaines pour mesurer l’impact et les bénéfices de cette intégration. « Leur principale question est la supranationalité« , explique-t-il après avoir rencontré en septembre Mohamed Aujjar, ministre de la Justice et Mohamed Hajoud, secrétaire général du gouvernement. « J’ai été reçu par la Cour suprême du Maroc et à l’école de la magistrature du Maroc, nous avons effectué un travail technique et un examen des textes. Nous avons vu que nous sommes tous dépositaires du même héritage, un système ancré sur le droit continental européen. Il n’y aurait pas de dépaysement si nous devions nous retrouver », assure le secrétaire permanent de l’OHADA.

Selon lui, aucun obstacle technique n’entravera l’adhésion du Maroc, surtout que le Royaume est depuis janvier 2017 membre de l’Union africaine. « Il est alors automatiquement qualifié pour intégrer l’OHADA selon l’article 53 du traité de notre organisation« , répète-t-il.

Une organisation productive

« Je pense qu’entrer dans l’OHADA faciliterait les investissements étrangers au Maroc et les investissements marocains en Afrique« , nous confie l’avocat d’affaires Hatim Boukhris, optimiste sur l’efficacité de l’organisation. « L’OHADA a signé trois nouveaux actes uniformes en novembre sur l’arbitrage et la médiation« , note-t-il. « Le corpus nous paraît complet« , poursuit Hatim Bouhkris qui utilise ce droit tous les jours pour ses clients sur le continent.

L’autre avantage est la « cour commune de justice et d’arbitrage qui décide en dernier recours« , explique l’avocat. Les textes de l’OHADA sont gérés au niveau local dans les tribunaux de première instance et les cours d’appel des pays membres. Le pourvoi en cassation se fait au niveau de l’organisation même.

Mais cette cour est aussi synonyme du recul de la souveraineté des États qui intègrent l’OHADA. Le droit de l’OHADA prévaut ainsi sur les lois de ses membres, et s’applique automatiquement, comme le précise l’article 10 du traité de l’organisation. 

« Aucun texte n’est pris à l’OHADA sans l’unanimité. Chaque texte est étudié dans chaque pays au sein des commissions nationales« , assure le secrétaire permanent de l’OHADA qui fait la différence entre la perte de la souveraineté et le transfert contrôlé de souveraineté.

Des freins à l’adhésion du Maroc

Pourtant, Hatim Boukhris n’est pas optimiste quant à l’adhésion du Maroc à l’OHADA. « Le premier frein est la langue arabe qui va nous obliger à traduire tout le droit OHADA et les actes uniformes en arabe« , explique l’avocat.

D’abord francophone, l’organisation a reconnu trois nouvelles langues officielles : l’anglais, l’espagnol et le portugais. « La traduction prendra du temps, encore faut-il que l’on ait des magistrats qui soient arabisants et encore faut-il les former. Il faut avoir des Marocains qui soient aptes à traiter le droit de l’OHADA qui serait nouveau pour nous« , remarque Hatim Boukhris.

Il remarque aussi que l’OHADA sera « concurrencée par le droit régional », avec des organisations comme l’Organisation africaine de la Propriété intellectuelle (OAPI) ou la CEDEAO qui vise à l’harmonisation pour un code communautaire des investissements (art 3 du traité).

Ali Kairouani, professeur de droit à l’université Mohammed V de Rabat Agdal, s’inquiète du fait que « l’inflation normative incontrôlée et incontrôlable va faire une inflation du risque pour les investisseurs« , alors que le Maroc a intégré l’UA en janvier, bénéficie d’un statut avancé avec l’Union européenne et s’apprête à adhérer à la CEDEAO en 2018.

Pourtant, Dorothé Cossi Sossa estime que  l’adhésion à l’organisation sous-régionale ouest-africaine pourrait accélérer l’adhésion à l’OHADA. « Tous les États de la CEDEAO sont membres de l’OHADA« , précise-t-il.

Lire aussi : L’adhésion du Maroc à la CEDEAO n’aura pas lieu à Abuja, mais lors d’un sommet extraordinaire en 2018

« Il faudrait déjà que le droit marocain soit harmonisé avec les traités internationaux qu’il a signés. Nous faisons déjà partie d’un large réseau d’organisations internationales. Il faut les respecter avant de se lancer dans une nouvelle aventure« , prévient le professeur Ali Kairouani. 

Pour Hatim Boukhris, la première étape serait de modifier le droit marocain sans entrer dans l’OHADA. « Nous pouvons récupérer leur droit et l’introduire dans notre droit interne par nos propres lois pour avoir l’habitude de le traiter, et cela permettra à nos magistrats de se former et de faire leur propre jurisprudence« , estime-t-il. La seconde étape, presque naturelle alors, serait d’adhérer à cette organisation internationale.

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