Ce dimanche 3 décembre, Agadir pleure la disparition de son fils prodigue. À 83 ans, Mohamed Mounib s’est éteint, laissant derrière lui l’image d’un humaniste dont l’engagement n’avait d’égal que sa discrétion.
Pour le grand public, il est d’abord l’auteur du livre « Le Dahir berbère : le plus grand mensonge politique du Maroc contemporain« , un ouvrage où il tente de clarifier les dispositions de l’un des dahirs les plus controversés du Protectorat français au Maroc.
Officiellement, le texte datant du 16 mai 1930 s’intitule « Dahir réglant le fonctionnement de la justice dans les tribus de coutume berbère non pourvues de tribunaux pour l’application du Chrâa« .
Promulgué par la Résidence générale française au Maroc, et signé par le Sultan Mohammed Ben Youssef, il avait longtemps été dénoncé par le Mouvement national marocain qui y décelait une velléité de division entre arabophones et amazighophones du pays.
« Mohamed Mounib a eu le courage de décomplexer l’histoire du Maroc moderne à travers ce travail d’envergure qui étaye la portée géographique et non ethnique du Dahir« , explique Mounir Kejji, activiste amazigh. « Pour des considérations purement idéologiques, la presse marocaine de l’époque n’avait pas appréhendé son contenu. Mais il n’empêche qu’il a divulgué des vérités historiques auxquelles les ténors du Mouvement national n’ont fait aucune riposte« , poursuit-il.
Pour le militant, cette publication « a levé un fardeau sur les activistes accusés de séparatisme à chaque fois qu’il était question d’émettre des revendications culturelles ou linguistiques« . Ce qui a notamment ouvert la voie à la parution de nombreux essais et thèses doctorales sur cette question jusque-là abhorrée.
Agadir, sa ville
Fin connaisseur des rouages de l’administration marocaine où il a exercé jusqu’à sa retraite, Mohamed Mounib a pu décortiquer les Bulletins officiels coloniaux et postcoloniaux. « C’est grâce à lui que des fragments de l’histoire du Maroc ont pu être corrigés« , atteste Mounir Kejji. Le défunt fait partie de la première génération de Marocains à avoir intégré l’administration durant le protectorat.
Rescapé du tremblement de terre d’Agadir en 1960. Mohamed Mounib s’est investi corps et âme dans la reconstruction de la ville suivant les plans d’aménagements anciens. « La ville avait perdu l’essentiel de ses élites, sans compter ceux qui ont migré. Feu Mounib constituait une référence de taille pour tous les jeunes qu’il encourageait sans contrepartie« , certifie Abdallah Bouchtart, reporter à Tamazight TV.
Mohamed Mounib a gravi tous les échelons de l’administration jusqu’à devenir secrétaire général de la préfecture de « sa » ville. Une distinction qui n’a pas eu raison de sa fibre militante, restée infaillible.
« Il pouvait devenir gouverneur, voire plus, mais il n’a pas choisi cette voie. C’est un homme à la réflexion profonde« , affirme l’écrivain Mohamed Oudades qui l’a côtoyé. Preuve de son attachement au savoir de tout bord, son domicile était synonyme d’agora. Plusieurs sources s’accordent à désigner sa villa comme une « zaouïa intellectuelle« , plaque tournante pour tous les visiteurs de renom que la ville accueillait.
« On y trouvait des discussions politiques et culturelles passionnées et autres ouvrages inestimables« , relève Mounir Kejji, qui se souvient d’un sage qui bénéficiait de l’estime de l’ensemble la mouvance amazighe du monde.
De tous les combats
Nonobstant sa qualité de fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, requérant de la retenue dans l’engagement associatif, Mohamed Mounib a su, par sa probité et son tact, concilier deux étiquettes a priori antinomiques. « Du Club culturel d’Agadir dans les années 1960 à l’Université d’été à la fin des années 1970 jusqu’aux simples associations de quartiers dévoués à la culture, on retrouve le nom de Mounib dans toutes les initiatives associatives d’Agadir« , assure Rachid Bouksim, directeur du festival international du cinéma Issni n’Ourgh.
C’est que l’homme fascinait par son esprit pédagogue et son extrême modestie. « Je l’ai rencontré pour la première fois en 1983 au cours de l’Université d’été d’Agadir. Je garde en mémoire l’image d’un homme cultivé qui aimait débattre et argumenter« , se souvient Ahmed Adghirni, avocat et activiste amazigh. « Il le faisait avec virtuosité, dans un contexte très hostile à toute forme de modernisme« , décrit le fondateur du Parti démocratique amazigh, dissout en 2007.
En 2004, Mounib lançait le mouvement « Tidaf » (éveil), dans un élan national suivant le discours royal d’Ajdir et dans l’amorce du chantier de reconnaissance de l’identité amazighe. Ce mouvement avait pour mission de dénoncer le contenu des manuels scolaires comportant des données fausses sur l’histoire du Maroc, en raison de la prédominance de faits non scientifiques ou purement idéologiques.
« Mounib avait initialement intenté un procès contre le ministère de l’Éducation nationale afin de retirer toutes les mentions fallacieuses du fameux Dahir. Ce qui avait irrité un certain nombre de ses amis, ministres à l’époque« , se rappelle Rachid Bouksim. Cette opération a été ponctuée par la publication en 2010 d’un livre intitulé « Le Dahir berbère dans les manuels scolaires« .
Dans l’ombre
Membre fondateur du Congrès mondial amazigh (CMA) en 1995, et de l’Option amazighe en 2007 avec Mohamed Chafik et Leila Benjelloun Ameziane, Mohamed Mounib était caractérisé par sagesse. Une qualité pour laquelle il a toujours été tenu en haute estime par ses collaborateurs.
Mohamed Mounib était aussi un homme de consensus, capable d’agir en coulisses. Comme lors de ce 20 aout 1994, lorsque Hassan II s’est déclaré pour la première fois favorable à l’enseignement de Tamazight et à son usage dans les médias. À la même époque, des militants amazighs étaient incarcérés suite à des manifestations à Goulmima. « Nous étions au Festival du cinéma des peuples autochtones à Douarnenez (en France, NDLR) et nous préparions les premières réunions pour la création du CMA à Saint-Rome-de-Dolan. Mounib a su trouver les mots pour convaincre les membres qui s’opposaient à la publication d’un communiqué pour remercier le roi de son initiative« , se rappelle Rachid Bouksim.
Signe du destin, les commémorations accompagnant le 40e jour suivant le décès de Mohamed Mounib coïncideront avec « Yennayer », le Nouvel An amazigh. Pour ceux qui l’ont côtoyé, le meilleur hommage que l’on puisse offrir à ce « monument » serait de donner son nom à un grand boulevard ou à un complexe culturel à Agadir, la ville qui a vu naître ce militant de la première heure.
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