Après la nomination par le roi Mohammed VI, du général de division Mohamed Haramou au poste de commandant de la Gendarmerie royale, la retraite du général Hosni Benslimane est devenue effective. Retour sur le parcours de cet homme qui a consacré plus de 60 ans de sa vie à la défense du régime.
( Cet article contient des éléments de l’enquête « Le Mystère Benslimane » publiée dans l’édition du 14 juillet 2007 du magazine TelQuel réalisé par Driss Bennani)
Cette fois-ci fut la bonne. Annoncée depuis plus d’une dizaine d’années, la retraite de Hosni Benslimaine est finalement devenue effective ce lundi 4 décembre après la nomination par le roi Mohammed VI, du général de division Mohamed Haramou au titre de commandant de la Gendarmerie royale. Hosni Benslimane quitte ainsi le commandement de la gendarmerie après avoir été décoré du grand cordon du Wissam Al Arch, duquel ont été drapées des personnalités comme Nelson Mandela. Une décoration qui marque la fin d’une carrière débutée il y a 60 ans au sein des Forces armées royales.
Sportif aguerri
C’est que tout prédestinait Hosni Benslimane à intégrer les arcanes du pouvoir. Le Général est issu d’une grande famille, et son grand-père a été ministre des Affaires étrangères durant le règne du sultan Moulay Hafid. Son oncle a été ambassadeur avant d’intégrer le Conseil de régence en 1955. Sa mère, Hiba Khatib, n’est autre que la sœur du Dr Abdelkrim Khatib, ancien ministre des Affaires africaines et fondateur de ce qui est devenu le PJD.
Dans un Maroc placé sous protectorat, le natif d’El Jadida décroche haut la main son baccalauréat au Lycée musulman de Casablanca. Sur les bancs des écoles, il est remarqué pour son côté sportif puisque ce touche-à-tout décroche en 1953 le titre de champion de France junior de saut en hauteur à l’âge de 18 ans.
Alors que le Maroc se prépare à accéder à l’indépendance, le jeune Benslimane intègre l’Académie militaire de Saint-Cyr où il effectue une formation accélérée de 9 mois qui donnera naissance à la fameuse promotion Mohammed V, première promotion de l’armée marocaine. Une promotion dans laquelle figure notamment le futur général de corps d’armée Bouchaib Arroub .
Alors que son destin semble tracé, il décide de poursuivre sa propre route en intégrant l’équipe de football des FAR nouvellement créée en 1958 par le prince héritier Moulay El Hassan. Tout en côtoyant le futur roi du Maroc, Hosni Benslimane monte en grade alors qu’il garde les buts de l’équipe de la capitale. Une grave blessure au genou met toutefois un terme à sa carrière, mais lui permet de se consacrer à la direction du centre d’entrainement des FAR.
En retrait
Alors qu’il fréquente les pelouses nationales, Hosni Benslimane est, à 24 ans, nommé au ministère de la Jeunesse et des Sports en 1959. Grâce à ses connexions familiales et sa proximité avec Moulay Hassan, il est également repéré par le général Oufkir. « Il le suit alors comme son ombre, voulant tout apprendre de lui », raconte un ex-compagnon de Benslimane. Entre 1964 et 1967, il est nommé à la tête des Forces auxiliaires et des Compagnies mobiles d’intervention (CMI) avant d’être propulsé à la tête de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) en 1968.
Mais ces différents corps ne pesaient toutefois « pas lourd, et servaient uniquement de support à l’homme fort du régime, le général Oufkir qui désignait et révoquait ses hommes en fonctions de ses besoins du moment« , nuance un haut responsable de l’époque.
Lorsque le général Oufkir désigne Benslimane comme gouverneur de Tanger en 1971, il lui offre, sans le savoir, « la chance de sa vie ». Ainsi le 9 juillet de la même année, des élèves officiers investissent le palais royal de Skhirat et y commettent un réel carnage. Ils prennent également d’assaut le siège de la radio nationale et diffusent des messages qui annoncent la chute du régime de Hassan II .
Quelques centaines de kilomètres de là, Hosni Benslimane suit attentivement le déroulement des événements. Il attend le moment opportun pour débarquer au siège de la radio de Tanger et ordonner la diffusion de messages de soutien à la monarchie. « C’est un gardien de but dans l’âme. Toujours en arrière, observant ce qui se passe devant lui avant d’attaquer. En 1971 Radio Tanger a joué un grand rôle pour éviter la panique générale, même si on raconte que l’initiative ne revient pas à Benslimane« , confie un officier l’ayant longuement côtoyé.
Après ce premier coup d’État manqué contre Hassan II, Hosni Benslimane est muté à Kénitra en 1972. Le général Oufkir qui prépare alors le deuxième coup de l’histoire du pays se déplace fréquemment à la base aérienne de la ville. « À plus d’une reprise, il arrivait en compagnie du gouverneur Benslimane ou passait le voir avant d’arriver à la base« , raconte un officier de l’époque. Au lendemain du coup d’État avorté, Benslimane est nommé à la tête de la Gendarmerie royale érigée en rempart de la monarchie contre les dérives militaires.
Ahmed Dlimi est alors chargé de tirer les ficelles de la vie politique et militaire. Benslimane, lui, hérite d’un rôle central: contrôler l’armée. « Lors des séances de tir, un gendarme est toujours là pour faire le compte des cartouches tirées. Aucun déplacement ne se fait sans en aviser le commandement local de la gendarmerie. C’était l’œil du roi sur les troupes », explique un officier des FAR.
« Allo Hosni »
À partir de 1975, l’affaire du Sahara occupe le devant de la scène. Ahmed Dlimi s’y investit corps et âme, livrant le nord du pays au désormais lieutenant-colonel Hosni Benslimane. Ce dernier saute sur l’occasion pour se rapprocher davantage de Hassan II. Il est chargé de la sécurité des résidences royales et de celle des princes et princesses.
Hassan II parle alors de « sa » gendarmerie et témoigne une affection particulière à « Hosni », qu’il appelle publiquement par son prénom, notamment lors d’une communication télévisée qui passera à la postérité (« Allo Hosni »).
En 1983, la mort mystérieuse d’Ahmed Dlimi ouvre une voie royale devant » Hosni » devenu colonel-major. Il est enfin débarrassé de ses deux mentors (Oufkir et Dlimi) et devient l’interlocuteur sécuritaire numéro 1 de Hassan II même si le jeune Driss Basri lui fait de l’ombre à l’Intérieur.
Dans les années 1980, la gendarmerie royale devient un acteur incontournable dans le domaine sécuritaire. Pourtant, Benslimane garde les pieds sur sur terre. Il sait que pour durer, il doit plaire… au plus grand nombre.
Le colonel-major est alors aux petits soins avec la famille royale. Il ne leur refuse rien. « Là où Basri irait prendre l’avis de Hassan II avant d’agir, Benslimane remue ciel et terre pour satisfaire directement les désirs des princes et des princesses« , rapporte un haut gradé.
En 1985, comme pour le remercier de cette attention, le roi Hassan II le fait général de brigade. « Dans un Maroc secoué par les crises sociales, c’est un signe qui ne trompe pas. Le général devrait maintenir l’ordre coûte que coûte« .
Vers la fin des années 1980, le général est déjà une célébrité. Il est partout ou presque. En plus de la gendarmerie, qui contrôle désormais de larges pans du territoire national, le général supervise le service des prévisions météo, coordonne les actions du secourisme maritime et dispose d’un puissant service de renseignement. Il gagne naturellement des galons et devient général de division en 1992. Ses ambitions grandissent et sa relation avec Hassan II se raffermit davantage.
Le roi, le général et le foot
En 1994, les deux hommes suivent, avec amertume, la débâcle de l’équipe nationale lors du Mondial américain. Furieux, Hassan II procède à un énième remaniement au sein de la Fédération royale marocaine de football (FRMF). Il installe un comité provisoire chargé de mettre le football national à niveau. « Une liste de noms lui a été soumise pour validation. La légende dit qu’il a rajouté celui de Hosni Benslimane au stylo en disant qu’il pourrait lui aussi apporter son aide« , rapporte un journaliste sportif.
Mythe ou réalité? Toujours est-il qu’en 1994, le général de division Hosni Benslimane se retrouve à la tête du sport national par excellence. Il est président de la FRMF et du Comité national olympique, renouant ainsi avec ses premières amours. On lui découvre un autre visage. « À la Fédération, il est plus courtois, plus chaleureux« , affirme un membre fédéral.
Comme à chaque étape de sa vie, Hosni Benslimane se tue à la tâche. Il apporte une certaine rigueur au monde du football et use de son influence pour ramener de nouveaux sponsors et convaincre de nouveaux investisseurs.
En 1998, quatre ans après la débâcle américaine, l’équipe nationale manque de peu la qualification pour les 1/8e de finale du Mondial français. La déception est générale, mais, au soir de sa vie, Hassan II réserve un accueil triomphal à la sélection nationale. « Hosni Benslimane ne s’est jamais fait d’illusion. Il a toujours dit que le sport était le parti politique numéro 1 au Maroc« , rapporte un journaliste sportif qui l’a longuement fréquenté. « Pour lui, le sport servait à former la jeunesse. Mais il disait souvent qu’il était soumis aux résultats de l’équipe nationale, car on ne peut pas travailler dans une atmosphère de défaite« , poursuit la même source.
Du coup, le général chouchoute les différentes sélections nationales. « Lors des matchs internationaux, il y a toujours quelqu’un de son état-major avec l’équipe. Après un match, le premier appel que reçoivent les joueurs et les membres du staff technique vient du général« , nous confie-t-on.
Mais certains peinent à dissocier l’image du général et celui du président de la fédération. Un signe ne trompe pas: le président dispose de vestiaires privés au sein du siège de la Fédération. Il y conserverait en permanence une tenue militaire officielle, au cas où le roi le convoquerait en urgence. Une de ces convocations — que « Benslimane craint plus que tout au monde » selon plusieurs de ses collaborateurs — finit par tomber un certain 23 juillet 1999.
Nouveau chapitre
La date marque le début d’un nouveau chapitre dans la vie de Hosni Benslimane. Hassan II vient de rendre l’âme dans un hôpital de la capitale. Le général doit à présent prêter allégeance à son héritier. Les deux hommes se connaissent très bien et le nouveau roi n’a rien contre le général de son défunt père « bien au contraire, il ne rapportait pas d’informations sur le prince à Hassan II, comme le faisait Basri, et il prenait soin de la famille royale. En plus, ils partageraient la même passion pour les sports mécaniques« , explique un observateur politique.
Le 6 novembre, Driss Basri est « remercié » par le jeune roi. Benslimane, lui, reste. Il conserve tous ses titres, y compris la présidence de la FRMF. Mais le général sent que quelque chose a décidément changé.
Un vent de liberté souffle sur le royaume. Les langues se délient et le jeune roi impose une nouvelle manière de faire: moins protocolaire et plus enthousiaste. Il s’entoure de ses camarades de classe pour gouverner le pays.
Le gardien de but ne rate pas une miette de la partie qui se joue devant lui, mais préfère rester en retrait pour garder son temple. En 2000, en pleins débats sur les années de plomb, il figure parmi les personnalités visées par l’Association marocaine des droits humains (AMDH) pour leurs responsabilités présumés lors de ces sombres années d’exactions.
En 2003, le général est décoré de la plus haute distinction militaire par le roi qui le fait également général de corps d’armée, le plus haut grade de l’armée marocaine. « On se disait alors que Mohammed VI a voulu lui réserver une sortie par la grande porte, d’autant que Benslimane était déjà affaibli par la maladie« , se rappelle un ex-officier.
En 2005, le général Benslimane fait la Une de la presse. 40 ans plus tôt, deux agents impliqués dans l’enlèvement de Mehdi Ben Barka auraient contacté un certain capitaine Benslimane, alors en permanence au siège du Cab 1. Convoqué par le juge français Patrick Ramaël pour avoir ses explications sur cette affaire, le général ne répondra jamais devant la justice française. C’est le dernier sursaut de la longue carrière du général Benslimane dont l’épilogue a eu lieu ce lundi 4 décembre.
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