Abdellah Laroui, penseur et historien de référence au Maroc, a évoqué l’impact d’une de ses œuvres majeures. « Le plus grand cadeau que l’on puisse offrir à l’auteur d’un livre critique et problématique, comme L’idéologie arabe contemporaine, est de voir son contenu vidé par l’évolution du temps, jusqu’à perdre son instantanéité et devenir une simple matière de recherche. Ceci après avoir vérifié que sa teneur ait eu un reflet dans la réalité la plus concrète. (…) Mon livre n’a malheureusement pas connu ce sort tant souhaité, il n’a pu être dépourvu de sa charge intellectuelle« .
C’est la conclusion sans concession livrée par Abdallah Laroui au public venu en masse assister ce mercredi à la rencontre tenue dans l’amphithéâtre qui porte son nom à la Faculté des lettres et des sciences humaines de Ben M’sik à Casablanca. Une intervention contenue dans un enregistrement audio diffusé à l’assistance, puisque le penseur de 84 ans s’est excusé de ne pas pouvoir faire le déplacement pour « des raisons de santé« .
Par son message, l’universitaire agrégé en langue et civilisation arabes a coupé court au débat entretenu par des chercheurs comme Abdelilah Belqziz, Mohamed Sbila ou encore Nouredine Afaya. Ces derniers ont tous soutenu l' »importance » et la « consistance » du livre qui est, selon eux, « toujours d’actualité dans le monde arabe« .
Abdellah Laroui, auteur d’une dizaine d’ouvrages de référence en histoire et en philosophie, a apporté plus de précisions: « Il y a dans ce livre une partie soumise aux circonstances du temps et de l’espace dont l’achèvement est prévu pour bientôt. Puis il y a une structure, une logique et une méthodologie. Ces dernières restent valables pour une période encore plus longue, tant qu’une révolution de grande ampleur ne transformera pas les actuelles connaissances en inepties et fera de l’exception une règle« .
Le penseur a également profité de cette occasion pour justifier sa décision de ne pas « donner de suite » à cet ouvrage dans une sorte de « mise à jour » qui exposerait la situation actuelle du monde qu’il décrivait il y a 50 ans. « Le faire aurait été une erreur aux effets doubles. D’abord la vanité, et ensuite le regret et le déni de soi« , dit-il, ajoutant que la question opportune ne devrait pas s’axer sur l’effet du temps sur son livre, « mais plutôt sur l’effet du temps sur son propre auteur« .
Il explique ainsi que L’idéologie arabe contemporaine ne peut plus avoir de sens si sa lecture est faite indépendamment de ses deux ouvrages « la Sunna et la réforme » en arabe, ainsi que sa dernière publication en français intitulée « Philosophie et Histoire« .
Les organisateurs de l’évènement ont rappelé que ce livre, objet de célébration, date de 1967 dans sa version originale en français, mais que la version arabe traduite en Syrie en 1970 « a été mal comprise et mal interprétée en raison de plusieurs contextes politiques et intellectuels« .
Ils ont expliqué cette incompréhension par « la domination de la pensée panarabiste, nationaliste et marxiste durant cette période, jusqu’à la montée en puissance des courants de l’islam politique au début des années 1990« . C’est ainsi qu’Abdallah Laroui dut éditer sa propre traduction, parue en 1995, afin de préciser les termes de son analyse.
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