Le tapis rouge s’étire sous les lustres en cristal et les moulures du haut plafond. Une série de panneaux louant les réalisations des dix-sept premières années du règne de Mohammed VI accueille le visiteur.
Le long couloir, terminé par une brève histoire du judo marocain et les portraits de ses actuels porte-drapeaux, débouche sur la salle de bal du Palais. Transformés en arène, ses 1.700 m2 convergent vers un unique tatami, autour duquel ont été alignées quelque 500 chaises rembourrées.
Des kakémonos déployés au-dessus des tribunes VIP et VVIP exaltent en trois langues – arabe, anglais, français – les valeurs de cet art martial codifié en 1882 par le maître japonais Jigoro Kano.
La lumière se tamise. Les officiels se lèvent, les officiers se mettent au garde-à-vous. Après un clip promotionnel sur le dynamisme économique et diplomatique du Royaume, le « Nachid el watani » retentit, repris en chœur par le modeste contingent de spectateurs marocains. Les projecteurs se rallument. Le ministre de la Jeunesse et des Sports investit le pupitre, pour annoncer officiellement l’ouverture de la phase finale du tournoi officiellement ouverte.
Si le corps de Rachid Talbi Alami est bien à Marrakech, son esprit est à Abidjan, pour le match de qualification de l’équipe nationale à la Coupe du monde de football 2018. Alors que devant lui, les combattants s’empoignent pour le bronze mondial, il se tourne vers le kop chérifien, l’index et le majeur dressés, célébrant le deuxième but du capitaine du Mountakhab contre la Côte d’Ivoire. « Vive le Maroc!« , exultent les supporters, visiblement plus enthousiasmés par les prouesses de Mehdi Benatia, que par celles des Takeshi Ojitani et autre Alex Garcia Mendoza.
« Chaque pays a sa manière de faire »
Quelques minutes plus tard, l’enceinte marrakchie tremble à nouveau. Pas sous l’effet d’une troisième réalisation des hommes d’Hervé Renard – le score en restera à 2-0 -, mais sous l’aura de la légende française Teddy Riner, 2m04 pour 140 kilos. « Allez Teddy allez, allez Teddy allez!« , chantent les quelque cent invités du nonuple champion planétaire, soutenu par les enfants de l’orphelinat qu’il vient de parrainer.
Face au Belge Toma Nikiforov, habitué à des adversaires de moins de 100 kilos, le colosse fait parler sa puissance, s’adjugeant presque facilement une dixième couronne mondiale. Record absolu. « J’ai bien aimé l’ambiance« , nous confie le Guadeloupéen. « Au début, ça fait bizarre de se retrouver dans une petite salle, mais finalement chaque pays a sa manière de faire. Ça nous fait du bien d’avoir du changement, parce que si on se déplace toujours dans des grands stades, on risque de tomber dans une certaine monotonie« , ajoute cet ami personnel de Mohammed VI, qui se souvient du Masters 2015 de Rabat comme du « meilleur de toute l’histoire« .
Outre les Mondiaux toutes catégories, le Maroc a hérité en août dernier de cinq compétitions majeures: trois Grands Prix (deuxième échelon le plus élevé derrière le Grand Slam), les Mondiaux juniors 2019, ainsi que les Championnats d’Afrique 2020.
« L’organisation de ces grands évènements s’inscrit dans un objectif plus général, qui est de faire du judo le sport le plus populaire du Maroc, susceptible de nous ramener des médailles aux Jeux olympiques de 2024« , expose Khalid El Boussiri, vice-président de la Fédération royale marocaine (FRMJAMA).
Ce professeur d’université a déjà lancé une section sportive au sein de la faculté de médecine dentaire où il enseigne. Il espère populariser la pratique dans les écoles, mais aussi dans les clubs, afin d’augmenter l’effectif actuel de 14.000 licenciés (tous comités confondus).
Un grand centre d’entraînement et de formation est prévu pour 2018 ou 2019 à Casablanca. Si les montants engagés ne sont pas publics, le chargé du haut niveau et des affaires internationales à la FRMJAMA reconnaît que le budget alloué à son institution a augmenté « de façon remarquable » au cours des dix dernières années.
12 judokas marocains dans le top 60 mondial
Il y a un an, la fédération s’est donné les moyens de ses ambitions en recrutant une pointure au poste de directeur technique national (DTN), en la personne de Christian Chaumont. « C’est un beau projet, très stimulant. Mais ce qui m’a vraiment convaincu, c’est de voir des jeunes avec les yeux qui brillent. Ils ont une envie folle de réussir« , raconte le Français, ex-entraîneur de Teddy Riner et de multiples médaillés olympiques.
De deux ou trois il y a encore un an, les judokas marocains sont aujourd’hui douze à figurer dans le top 60 mondial. Sur les neuf sélectionnés pour les Jeux de la francophonie cet été, tous sont revenus avec une breloque autour du cou. En septembre dernier, lors des championnats du monde de Budapest, Asmaa Niang était toute proche d’accrocher un podium historique chez les -70kg. Fer de lance de la délégation, elle sera d’ailleurs la première, depuis bien longtemps, à représenter son pays au Masters (regroupant les seize meilleurs athlètes de chaque catégorie), dans un mois à Saint-Pétersbourg.
En toutes catégories, les différences de gabarit peuvent être importantes, comme ici entre la Marocaine Asmaa Niang (75,8kg) et la Néerlandaise Tessie Savelkouls (98,8kg) (crédit: Thibault Bluy/TelQuel)
Ce dimanche, la Marocaine n’a rien pu faire face à la Néerlandaise Tessie Savelkouls, qui a récemment remporté le Grand Slam d’Abou Dhabi chez les +78kg. Ses camarades engagés dans le tableau masculin ont tous les trois été balayés au premier ou au deuxième tour. Ils sont conscients qu’il leur faudra encore du temps pour se hisser au plus haut niveau international. Mais pour le moment, l’essentiel semble ailleurs.
« C’était un très bel Open, dans un cadre prestigieux. Les retours des équipes de télévision sont fantastiques!« , témoigne Lisa Allan, manager à la Fédération internationale de judo (IJF). « Les autorités marocaines sont déterminées et mobilisent des ressources très importantes pour que le judo s’implante durablement ici. Nous avons hâte de revenir en janvier pour le Grand Prix de Rabat!«
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