Mohamed Achaâri: "Nous n'avons pas réalisé la transition démocratique"

Dans une interview-fleuve à nos confrères de Telquel Arabi, l'ancien ministre socialiste de la Culture s'exprime sur la situation politique du pays.

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Mohamed Achaâri, ancien ministre de la Culture.

Quelle évaluation faites-vous de la situation politique au Maroc ?

La situation politique actuelle nous interpelle tous. Les citoyens sentent qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond quand ils suivent ce qu’écrit la presse, les positions de quelques formations politiques et même les déclarations émanant d’institutions constitutionnelles. Le citoyen sent qu’il y a une anomalie que le pays n’arrive pas à résoudre et que des dangers guettent le pays.

Le Maroc s’est enlisé trop longtemps dans une transition démocratique qui, finalement, n’a pas eu lieu. Cette transition devait déboucher sur des consensus politiques à même de rompre avec le passé. Malheureusement, nous pataugeons depuis les années 1970.

Quand avait démarré ce qu’on appelle communément « le processus politique », la majorité des militants espéraient que ce processus allait déboucher sur un Etat de droit, de loi et de libertés. Mais cette expérience avait débouché sur de dramatiques malformations et en premier lieu le trucage des élections, la création de partis et de majorités taillées sur mesure. Cela nous a donné des institutions creuses, sans efficacité et sans aucun horizon.

Nous avons vécu toutes ces péripéties dont l’accumulation nous a menés droit dans le mur. Par la suite, nous avions perçu des signes de déblocage pour rompre avec le passé et c’était avec le gouvernement d’Alternance. Malheureusement, nous avons fait marche-arrière et replongé dans des pratiques politiques appartenant structurellement au passé.

Aujourd’hui, nous vivons une situation perturbée et le gap se creuse davantage entre la société et les politiques. La transition démocratique tant souhaitée n’a pas eu lieu.

Lors de l’élaboration de la Constitution de 2011, ne fallait-il pas mettre plus de pression pour arracher un texte clair, ne serait-ce qu’en matière de séparation des pouvoirs ?

Ces tractations auraient du se dérouler avec la conviction commune qu’il ne fallait pas rater cet instant historique porteur d’un changement radical. Face aux revendications de la rue, le roi avait prononcé son discours du 9 mars indiquant implicitement qu’il y répondait favorablement. Ceux qui avaient rédigé le texte de la Constitution auraient du insister sur une réelle et grande réforme pour en finir avec les tensions entre gouvernants et gouvernés. Cela n’a pas été le cas, ni dans le texte de la Constitution, ni au vu des pratiques politiques qui ont eu lieu par la suite.

Avons-nous besoin d’un deuxième round pour réviser la Constitution ?

Nous avons besoin d’un dernier round. Si on parle du deuxième, cela implique qu’on pourrait s’attendre à un troisième et un quatrième. Dans les années 1970, certains milieux véhiculaient cette idée que le peuple marocain n’était pas mûr pour la démocratie. A l’époque, Abderrahim Bouabid avait fourni une réponse claire et simple: « On ne peut faire l’apprentissage de la démocratie qu’en démocratie et non dans l’école du despotisme ».

Le régime, en imposant une sorte de paternalisme au peuple, a fini par se convaincre qu’il était le seul capable des réformes. Il en est même arrivé à décider de la nature des partis et à façonner la carte politique.

L’USFP a toujours eu des positions tranchées. Qu’est-ce qui a changé avec l’arrivée de Driss Lachgar à la direction ?

Plus prudent, je dirais que la situation actuelle du parti n’est pas liée qu’à Driss Lachgar. L’USFP a vécu une expérience intense en faisant face au despotisme dans les années 1960 et 1970. Il a pu imposer l’idée du changement en participant aux institutions, même si cette idée était abhorrée par les autres composantes de la gauche. Cette option a donné ses fruits.

Et aujourd’hui, c’est quoi le rôle de l’USFP ?

Après le gouvernement d’Alternance et l’avènement d’un nouveau règne, l’USFP devait faire une halte et analyser ses choix et ses échecs pour tracer une nouvelle voie et participer à l’émergence d’une nouvelle élite de gauche.

Ce travail sur soi n’a malheureusement pas été fait. L’USFP s’est retrouvé prisonnier des seuls mécanismes politiques liés aux élections et au renouvellement des institutions pour s’y positionner. Sa plus grande faillite a été son incapacité à produire un nouveau projet de société. Aujourd’hui, nous avons épuisé toutes les méthodes du passé et nous nous retrouvons sans aucune alternative.

Aujourd’hui, certains défendent la mise à l’écart de ce qu’ils appellent les « partis traditionnels » en faveur d’une nouvelle élite et c’est un très mauvais choix. On ne peut pas former des cadres dans des laboratoires. Il faut que cela réponde à un besoin exprimé par la société. Le plus grand danger, ces dernières années, a été cette conviction qu’on pouvait avoir une scène politique taillée sur mesure et que cela pouvait se faire de manière automatique.

Fathallah Oualalou aurait dit à des proches, lors du dernier congrès national, que l’USFP lui était devenu méconnaissable. Qu’en pensez-vous ?

Les propos de Fathallah Oualalou sont sincères et reflètent la situation dans laquelle se trouve l’USFP. Avant le congrès national, avec des cadres comme Larbi Ajjoul et Brahim Bouabid, j’ai défendu l’option d’un nouveau projet politique basé sur l’autocritique pour mieux appréhender l’avenir. Il nous fallait un projet de gauche qui dépasse les frontières de l’USFP et il fallait que nous nous mettions d’accord sur la liste des congressistes pour éviter un enlisement dans ce que j’appelle « l’étang électoral ». Nous avons défendu ce choix au sein du Comité central et du Bureau politique du parti. Mais, au vu de la tension qu’il y a eu par la suite, nous nous sommes retirés et nous avons gelé notre participation. A l’époque, j’avais dit que ce congrès allait signer la mort de l’USFP en tant que force de proposition au service de la démocratie.

Et qui est responsable, d’après vous, de cette situation ?

Je ne peux accuser personne. Il y a eu une accumulation de plusieurs facteurs et des dirigeants du parti ont créé des réseaux d’adeptes et de suiveurs pour défendre leurs positions et intérêts. Cette situation a débouché sur la création de clans.

Les cadres du parti se sont trouvés devant un dilemme : prêter allégeance à des gens en qui ils ne croient pas, ou alors prendre leur distance pour ne pas cautionner la situation politique d’un parti où ils ne se retrouvent plus.

La majorité des cadres a préféré quitter l’USFP de crainte de devenir de simples chiffres affidés à tel ou tel autre dirigeant. L’USFP a perdu sa substance. Aujourd’hui, il est présent sur la carte politique, mais il n’est plus dans le cœur des citoyens.

Propos recueillis par Ahmed Mediany

 

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