Dakar, le 7 octobre. Les clients du restaurant Lagon 1 cherchent l’ombre sur la terrasse de cette institution dakaroise installée sur pilotis face à l’île de Gorée. Mohammed VI y a ses habitudes, comme la multitude de personnalités dont le passage a été immortalisé par des centaines de plaques dorées à leur nom. Pas de star ce midi, mais une rencontre discrète. Deux “marcheurs” marocains de la première heure ont rendez-vous avec deux homologues du Sénégal. Hamza Hraoui, ancien référent national au Maroc à l’origine du premier comité La République En Marche (LREM) en Afrique, et son compatriote Mehdi Reddad, animateur du comité de Beni Mellal, débutent à Dakar une tournée africaine qui les mènera ensuite à Alger, puis Abidjan, voire Tunis et Bamako. Objectif affiché : remobiliser les militants africains du mouvement après l’élan des élections présidentielles rapidement freiné par le cafouillage des législatives et sérieusement entamé par la désormais fameuse “affaire El Guerrab”.
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Dans les faits, cette tournée africaine est aussi une manière de tâter le terrain en vue d’élections législatives partielles. La tenue d’un nouveau suffrage est sérieusement envisagée, dans le cas où différentes voies de recours aboutiraient à l’invalidation constitutionnelle du scrutin de juin, voire la destitution judiciaire du député M’jid El Guerrab. Elle est également un moyen de sonder une société civile africaine trépidante d’engagement politique. La remontée d’informations récoltées sur le terrain pourrait en effet inspirer jusqu’à la politique africaine du président Macron.
L’arroseur arrosé
Parce qu’ils font partie du plus ancien et plus important comité En Marche africain en termes d’adhérents, Hamza Hraoui et Mehdi Reddad se sentaient une responsabilité pour remobiliser les militants de la 9e circonscription. C’est d’ailleurs quasiment en héros qu’ils ont été accueillis par le comité d’Alger le 14 octobre, qui a attendu la visite des Marocains pour tenir sa première réunion depuis les législatives. En revanche, la semaine précédente à Dakar, même si l’accueil est chaleureux, Hamza Hraoui est bien forcé de l’admettre : “Je suis jaloux. C’est LREM Sénégal qui inspire LREM Maroc. L’épisode législatif a été tellement difficile à vivre que je me demandais si on se relèverait. Fatou Sagna Sow a en fait déjà relancé la machine ici.”
À la tête d’En Marche Sénégal, fondé un an auparavant par Jérémy Fabre, la Franco-sénégalaise Fatou Sagna Sow mène en effet la barque d’une main de fer, à l’instar d’une assemblée générale de rentrée qu’elle anime dans un petit centre de conférences de Dakar. Une trentaine de militants sont présents. Parmi eux, des étudiants, des artisans, des cadres de multinationales, des magistrats, d’anciens députés et ministres… Peu importe leur fonction à la ville, les adhérents ont tous des idées et peuvent les faire valoir dans l’un des comités thématiques qui structurent le parti. “300 élèves n’ont pas eu de place dans les établissements français cette année. Ces établissements deviennent élitistes et beaucoup de binationaux ne peuvent plus se permettre d’y inscrire leurs enfants, d’où la problématique des bourses”, explique par exemple Omar Ndoye, professeur à l’Université de Dakar et ancien député, à la tête du comité éducation. Le débat brasse bien plus large. Animatrice du comité co-développement, Fatimata Racine Wane explique que l’ambition de sa cellule est de “fixer les populations en les formant pour ne pas qu’elles échouent sur les plages européennes”.
Aux origines d’une stratégie de co-développement
“À En Marche, tout vient d’en bas. Ce que l’on fait ici n’est pas vain, car ça va être remonté. Ces données terrain sont autant essentielles pour les relations bilatérales entre la France et les pays africains que pour les futures politiques de co-développement”, explique Fatou Sagna Sow. L’actualité de la diplomatie française pourrait illustrer ses propos. En novembre, Emmanuel Macron doit prononcer le discours fondateur de sa politique africaine depuis Ouagadougou, au Burkina Faso. En vue de ce discours, et afin de soigner l’accueil que lui réserveront ses partenaires africains, la France consulte activement sur le continent. Les équipes du président gardent en effet en mémoire la controverse qu’avaient suscitée les mots employés par son prédécesseur Nicolas Sarkozy en 2007, à Dakar dans un discours similaire. Les visites du ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian au Maroc, et avant cela en Côte d’Ivoire et au Niger, en témoignent. Comme lors de sa brève allocution à Rabat en juin, les éléments de langage autour du “co-développement” devraient à nouveau être présents dans la bouche d’Emmanuel Macron. Mais quel sera le mot-clé de ce discours, celui que la presse reprendra et décortiquera en chœur ? Au cours du débat à Dakar, un mot émerge : réconciliation.
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Problème : comment faire remonter les informations terrain en l’absence de député LREM pour la circonscription ? Tout en gardant (pour l’instant) son siège à l’Assemblée nationale, M’jid El Guerrab a en effet démissionné du parti après avoir agressé le responsable du Parti socialiste Boris Faure le 30 août à Paris. “Nous pouvons être cette courroie de transmission entre les marcheurs en Afrique et le parti, voire la classe politique française”, assure Saïd Benhamida, référent national pour En Marche Maroc. Sauf que l’appareil du parti est en panne et sera prochainement refondé : une nouvelle personnalité doit être nommée à la tête de LREM le 18 novembre à l’issue d’un vote du congrès du parti, mais la préférence d’Emmanuel Macron pour Christophe Castaner a déjà fuité dans la presse française.
“Nous sommes en pleine restructuration. D’ici une quinzaine de jours, des référents pour les circonscriptions de l’étranger seront désignés. Ces derniers auront été proposés par des comités locaux”, explique Ludwig Groesser, responsable des Français de l’étranger pour LREM depuis moins d’un mois. Pour la 9e circonscription, deux postes de référents devraient voir le jour, l’un pour le Maghreb et l’autre pour l’Afrique de l’Ouest. En attendant, les comités africains s’organisent. Les onze membres du Conseil présidentiel pour l’Afrique — dont le but clairement affiché par l’Élysée est de faire remonter des idées et faire passer des messages — constituent une voie. Certains “marcheurs” africains ont aussi l’oreille des conseillers diplomatiques du président français.
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Vers des élections partielles
D’ici la fin de la législature, il n’est pas non plus exclu qu’un nouveau député En Marche fasse son entrée au Palais Bourbon pour représenter la 9e circonscription. Entre mi-décembre et mi-janvier, le Conseil constitutionnel se prononcera sur plusieurs recours en annulation du scrutin législatif de juin. Erwan Davoux, candidat “Les Républicains” arrivé troisième, a le sentiment que le cafouillage autour des investitures LREM l’a privé du second tour. Il a immédiatement saisi le Conseil constitutionnel d’un recours en annulation sur ce point, ainsi que sur la véracité des comptes de campagne actuellement investigués. “Mon recours a déjà passé plusieurs filtres, il est solidement fondé en droit, donc je pense qu’il a de bonnes chances d’aboutir”, nous déclare-t-il. Le cas échéant, des élections partielles seraient organisées entre mars et avril 2018. À plus long terme, après l’adoption d’une loi pour la moralisation de la vie publique, la voie judiciaire pourrait conduire à l’inéligibilité de M’jid El Guerrab, s’il était condamné pour l’agression de Boris Faure. “Cette disposition pourrait avoir comme premier cas de jurisprudence M. M’jid El Guerrab”, déclare le porte-parole du gouvernement français au Figaro.
Leïla Aïchi ne serait pas candidate à nouveau. L’indépendant Frédéric Elbar le sera “probablement”. Quant à Erwan Davoux, il sera candidat, nous affirme-t-il. Plusieurs “marcheurs” marocains ont aussi du mal à cacher leur velléité d’être investis par LREM. Dans une circonscription où le tiers des électeurs résident au Maroc et où l’abstention a atteint 90 % au second tour des législatives, c’est de nouveau au royaume que se jouera cette place à l’Assemblée nationale française.
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9e circonscription. UNE RÉGION MOUVEMENTÉEDans la 9e circonscription de l’étranger (16 pays du Maghreb et d’Afrique de l’Ouest), les 100 000 Français inscrits sur les listes électorales ont voté à 91% pour Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle de mai 2017. Un tiers d’entre eux résident au Maroc. Le mois suivant, ces électeurs souvent binationaux ont à nouveau manifesté leur engouement pour le mouvement du président élu en portant au second tour des élections législatives deux candidats qui se disputaient l’investiture LREM. À l’issue d’une campagne délétère, le Franco-marocain M’jid El Guerrab était devenu député face à Leïla Aïchi, attaquée pour ses positions passées jugées “pro-Polisario”. Tout en gardant son siège à l’Assemblée nationale, le nouveau député a dû démissionner du parti en septembre, après avoir agressé son adversaire politique Boris Faure, le 30 août à Paris.[/encadre] |
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