Que peut bien signifier le "séisme politique" évoqué par le roi?

Lors de son allocution d’ouverture de la nouvelle législature, le roi Mohammed VI a déclaré vouloir du courage dans les solutions à apporter aux grands dossiers, quitte à susciter un "séisme politique". Comment les politiques réagissent-ils à cette secousse ? 

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« Nous appelons tout un chacun à faire montre d’objectivité en appelant les choses par leur nom, sans complaisance ni fioriture, et en proposant des solutions innovantes et audacieuses; quitte à s’écarter des méthodes conventionnelles appliquées jusqu’ici, ou même, à provoquer un véritable séisme politique« . C’est en ces termes que le monarque s’est adressé aussi bien aux élus qu’au gouvernement et aux instances institutionnelles pour réclamer une redéfinition du modèle de développement marocain.

Mais que pourrait bien signifier le terme « séisme » qui à coup sûr entrera dans la nomenclature politique nationale? Différents acteurs de la classe politique, cible de nombreuses critiques royales, nous livrent leur analyse de cette partie du discours du souverain.

Responsabilités élargies

« Nous partageons l’analyse du roi, sans nous sentir, contrairement à d’autres partis, concernés par un certain nombre d’observations« , déclare Abdelali Hamieddine, membre du secrétariat général du PJD. Pour lui, il serait difficile de percevoir les répercussions directes de l’expression « séisme » dans la sphère politique.

Hamieddine s’attend à des réformes « d’en haut » pour combler les dysfonctionnements institutionnels et administratifs dans le pays, et y voit également des signaux d’instauration des principales bases de la décentralisation, concrétisant une régionalisation avancée et tant attendue. « L’idéal serait d’accorder plus de prérogatives aux départements ministériels qui se coordonnent avec les conseils régionaux dans des projets conjoints« , estime-t-il.

Membre de la majorité gouvernementale, le secrétaire général de l’USFP Driss Lachgar suggère une lecture contextuelle: « Si une solution aux problèmes présents s’avère compromettante et si les conditions ne sont plus réunies pour améliorer le rendement et appliquer la reddition des comptes, le roi, de sa position institutionnelle, interviendra au prix d’un séisme politique« .

Disant analyser à partir de données matérielles, le chef du parti à la rose entrevoit dans les imminentes conclusions du rapport de la Cour des comptes au sujet de l’avancement du projet Al Hoceima Manarat Al Moutaouassit les prémices de cette saccade. « La responsabilité pénale n’exclut pas la responsabilité politique et administrative« , souligne-t-il.

De son côté, Habib Belkouch, patron par intérim du PAM, affirme prendre le discours dans son ensemble. « Le mot en lui-même peut faire l’objet de diverses interprétations« , souligne-t-il, préférant retenir une « interpellation de fond de la classe politique pour assumer ses responsabilités au sein du parlement, des régions et des communes, y compris dans les chantiers sociaux comme l’INDH« .

« Des séismes ont naguère secoué les partis politiques. Mais le roi a raison de pointer du doigt les déséquilibres que constatent les citoyens« , analyse pour sa part Hamdi Ould Errechid, l’homme fort de l’Istiqlal. Il reste convaincu que son parti, doté d’un nouveau comité exécutif, est prêt à s’inscrire dans tout processus novateur et à proposer des issues viables « dans l’intérêt de la Nation« .

Le député-maire de Laâyoune prévient qu’il ne faudrait pas y déceler une quelconque approche opportuniste au vu des élections partielles qui se profilent dans certaines circonscriptions du royaume, mais « une illustration sincère de ce que devrait être l’action partisane« .

Une faillite de l’action politique?

Toujours est-il que le message formulé vendredi 13 octobre par le souverain invite toutes les parties prenantes à repenser le modèle économique. Les écuries politiques sont-elles en mesure de relever un tel challenge? Faut-il pressentir un retour en force des technocrates dans la gestion des affaires publiques?

« Les quelques événements survenus récemment, faisant état de réelles tensions internes au sein de quelques partis, décrédibilisent l’action partisane, mais donnent autant raison au PJD« , avance Abdelali Hamieddine. Le cador islamiste exclut tout recours à la technocratie, incompatible, selon lui, avec le principe de la reddition des comptes. « Les institutions de contrôle doivent remplir leur rôle, pas seulement dans des cas exceptionnels comme lors des événements d’Al Hoceima« , soutient-il.

Driss Lachgar nous renvoie, quant à lui, aux travaux du 10e congrès de son parti. Tenues en mai 2017, les assises Ittihadies auraient évoqué l’échec du modèle de développement du pays et la nécessité d’une « révision radicale de ses priorités » précise l’ex-ministre du gouvernement Abbas El Fassi.

Toutefois, « seul le roi dispose des prérogatives en ce sens « , rappelle-t-il, allusion faite à l’article 51 de la Constitution, et qui dispose que le souverain peut dissoudre, par dahir, les deux chambres du parlement.

Le PAM s’inscrit en faux par rapport à cette hypothèse. « Je ne parlerai pas de faillite dans notre action commune en tant qu’élu. Il y aura toujours besoin des partis. Mais la mission d’encadrement et de médiation doit être prise plus au sérieux« , se défend Habib Belkouch. Il en veut pour preuve le fait que son parti amorce un positionnement « plus clair » dans l’échiquier politique. « En préparant notre Conseil national du 22 octobre, nous sommes en train de restructurer l’ensemble des organes régionaux du parti« , explique-t-il, jugeant ce procédé plus sérieux que « toutes les polémiques stériles« .

« Il ne faut pas dévoyer le discours du roi, qui s’adresse à toutes les parties prenantes, sans distinction« , précise Hamdi Ould Errachid. L’Istiqlal est-il prêt à intégrer le gouvernement dans le cadre d’un remaniement ministériel à l’aune de cette énième critique? Le prépondérant membre du comité exécutif récemment élu pense que son parti n’a pas sa place dans l’opposition, mais indique que cette éventuelle décision reste tributaire de nombreux changements au sein de l’Exécutif. « Nous serons toujours prêts à répondre présents si notre apport s’avère utile« , ponctue Ould Errachid.

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