Équipements en décrépitude, classes toujours surchargées, manque de professeurs et d’encadrants… Dans la petite salle d’un lycée public situé dans le centre de Casablanca, la dizaine de membres de la Fédération nationale des parents d’élèves s’énervent et se coupent la parole.
La réunion tenue le jeudi 28 septembre a pour but de dresser un premier bilan de la rentrée scolaire. Les critiques fusent et le ton monte très vite. « Mon fils n’a toujours pas de manuel scolaire« , lance le père d’un élève, dépité. « Dans la classe du mien, ils sont encore 42 élèves« , renchérit un autre.
L’agacement des parents d’élèves est palpable: la rentrée scolaire ne ressemble pas à celle que le ministre de l’Éducation nationale, Mohamed Hassad, avait promise l’été dernier. Un mois après le retour des élèves en classe, le 7 septembre dernier, de nombreux parents, professeurs et syndicats dénoncent les dysfonctionnements des réformes annoncées par le ministre de l’Éducation nationale, mécontents de leurs mauvaises applications sur le terrain. En visite à Taza le mercredi 27 septembre, Mohamed Hassad a d’ailleurs été hué par les professeurs de certains établissements de la ville.
https://www.youtube.com/watch?time_continue=5&v=fASldS3Cr3A
Où sont les équipements promis ?
Dans son dernier bilan présenté mardi 19 septembre, le ministère de l’Éducation se félicitait de la réhabilitation de 9.917 établissements scolaires et 799 internats, ainsi que du renouvellement de plus 350.000 tables, 233.000 tableaux, 146.500 bureaux et 146.500 chaises pour les enseignants. Il avait également ajouté que les « tableaux à craie seront remplacés par des tableaux à feutre d’ici fin octobre« .
Dans certains collèges, comme celui de Rahali-Faroki de Sidi Moumen, les élèves ont pu constater certains changements: « Quand on est arrivé, on avait de nouveaux bureaux et des tableaux neufs avec des feutres. La peinture aussi a été refaite« , raconte Marwa, élève en troisième année de collège.
Cependant, tous les établissements n’ont pas eu la chance d’être réhabilités et rééquipés. Plus on s’éloigne de Casablanca, moins les engagements semblent avoir été tenus. Au lycée Moulay Ismaïl de Safi par exemple, « rien n’a changé« , affirme Hakim Sikouk, professeur de philosophie. « La devanture a été repeinte, donc de loin ça a l’air neuf, mais quand vous rentrez dans le bâtiment vous trouvez les mêmes tableaux cassés et les mêmes tables abîmées. Et c’est la même chose dans toutes les écoles de la région de Safi« , se désole l’enseignant, à qui les syndicats et la délégation du ministère de l’Éducation avaient promis cet été que « tout serait réglé » à la rentrée.
De plus, quand ils sont opérés, ces réaménagements ne satisfont pas toujours les professeurs et les directeurs d’établissements. « Il y a eu quelques réhabilitations dans les classes par-ci par-là. C’est un peu plus propre, mais ça n’est qu’un changement de façade. Le fond du problème n’est toujours pas réglé« , s’agace Samir Aberrasi, directeur de l’Association des enseignants de SVT au Maroc.
Un avis que partage Rachid Souiyete, professeur de français au lycée Mohammed V à Casablanca: « Cette réforme c’est un maquillage de dernière minute! Ici par exemple, ils ont passé un peu de chaux hier après-midi devant le bâtiment du lycée, mais rien n’a changé à l’intérieur. On est toujours à la craie…« .
Même agacement au sud du pays où Aziz Ouahdani, membre de l’Académie de la région Goulmime-Oued Noun, affirme que rien n’a changé « à part la couleur des murs« . Une technique de camouflage qui serait, selon Noureddine Houari, directeur d’établissement et membre de l’Association nationale des directrices et directeurs de l’enseignement primaire de Casa-Settat, commandée par le ministère lui-même : « On nous a demandé de mettre l’accent sur la devanture de l’établissement« , avoue le directeur.
« Le ministère n’a jamais promis que 100% des établissements seraient réhabilités à cette rentrée scolaire, se défend notre source au sein du ministère de l’Éducation nationale. Cette première phase est une phase d’embellissement des établissements. Et cette opération de réhabilitation continuera tout au long de l’année, progressivement« .
Les retards constatés dans la mise à niveau sont directement liés au manque de budget alloué par le ministère, souligne Noureddine Houari: « On nous a demandé de refaire la peinture, de changer les tables et les chaises, de réhabiliter les salles d’eau… Or certaines écoles n’ont pas les moyens suffisants pour faire ça« .
Si dans certains établissements, surtout les collèges et lycées, les associations de parents d’élèves participent à la rénovation, le directeur affirme que la plupart des établissements ont du mal à entamer la rénovation. « Pour la peinture par exemple, le ministère donne 90 kilos par établissement, mais il faut ajouter à cela la main d’œuvre, les outils… cela a un coût« , explique-t-il.
Notre source au sein du ministère de l’Éducation nationale nous explique que pour décider quelles écoles seraient réhabilitées en priorité, « chaque direction provinciale a réparti le budget alloué par le ministère de l’Éducation nationale en fonction des besoins de chaque établissement. Plusieurs partenaires privés (associations de parents d’élèves, INDH…) ont également contribué à cette opération ».
Toujours trop d’élèves dans les classes
Lors de sa présentation le 19 septembre, Mohamed Hassad indiquait qu’actuellement, la moyenne nationale pour la première année du primaire est de 25 élèves par classe. Dans 92% des cas, il n’y a pas plus de 34 élèves par classe et pour les autres niveaux, 98.8 % des classes ne comptent pas plus de 44 élèves.
Lorsqu’on pose la question au ministère, notre source rectifie: « Non, l‘objectif pour cette rentrée était de 30 élèves pour la première année primaire et 40 élèves pour les autres niveaux. Et cela a été appliqué partout« .
Un bilan qui ne semble pourtant pas convaincre, sur le terrain, les parents d’élèves. « À Casa Anfa, le surnombre dans les classes est toujours un problème, on tourne entre 35 et 40 élèves environ par classe« , explique Harrak El Ouafi, président de la Fédération des parents d’élèves de la région. À côté de lui, un parent d’élève qui souhaite garder l’anonymat témoigne: « Au lycée Moulay Idriss, le nombre d’élèves dans la classe de mon enfant a baissé. On est certes passés de 56 à 42, mais cela reste énorme!« .
Même son de cloche au collège de Marwa à Sidi Moumen, où le nombre d’élèves stagne à 37. À Safi, Hakim Sikouk, nous explique qu’absolument rien n’a changé : « On avait 44 enfants environ par classe l’année dernière… c’est exactement la même chose cette année!« .
Plus au nord, Moktar Lhaghmich, membre de l’Académie de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima, affirme que le problème de surcharge, dans les classes a été partiellement réglé: « Il y a encore 5% de surcharge, mais cela reste correct, cela va de 41 à 42 élèves par classe« .
Même constat dans la région de Goulmime Oued-Noun où le nombre d’élèves par classe tourne autour de 30 à 35 élèves : « Et lorsqu’elles sont en surcharge, elles ne dépassent pas les 40 élèves maximum« , affirme Aziz Ouahdani, membre de l’Académie dans la région.
Bien que le ministre ait promis que certains établissements déjà construits soient agrandis dès la rentrée, avec notamment la création de 1.948 salles de classe supplémentaires, Nordine Akkouri affirme que dans certains établissements, le manque d’espace pose un vrai problème: « Certains établissements n’ont pas pu s’aligner sur la décision d’instaurer une limite du nombre d’élèves dans les classes, car ces derniers n’ont ni l’espace ni l’infrastructure pour cela« .
Un problème que relève également notre source au sein du ministère de l’Éducation: « L’objectif a été atteint, excepté en effet pour quelques établissements où il y avait par exemple un manque d’espace dans le bâtiment ou un manque d’enseignants« .
Lire aussi : Les engagements chiffrés de Mohamed Hassad pour la prochaine rentrée
Manque de professeurs et de cadres enseignants
De la réduction du nombre d’élèves par classe découle un autre enjeu: l’augmentation du nombre de classes, et donc du nombre de professeurs et d’encadrants. À ce sujet, Mohamed Hassad avait confirmé, cet été, sa volonté d’embaucher 24.000 enseignants en vue de la prochaine rentrée scolaire et d’affecter 1.000 nouveaux cadres aux postes de directeurs d’écoles primaires ou de surveillants généraux de lycées. « Aujourd’hui, contrairement à l’année précédente, il n’y a aucune classe sans professeur. Le déficit en enseignants a été comblé », se félicite notre source au sein du ministère.
« Si le ministère a procédé au recrutement de 24.000 enseignants sous contrat, certaines matières restent en carence d’effectifs, comme les mathématiques, la physique-chimie et le français », affirme Nordine Akkouri, vice-président de la Fédération nationale des parents d’élèves.
Les parents d’élèves insistent également sur le manque de personnels encadrants : « Normalement, il faut un surveillant pour 600 élèves. Dans le lycée de mon enfant, il n’y a qu’un seul surveillant général pour 1.430 élèves!« , s’énerve l’un d’entre eux, dont l’enfant est scolarisé dans un lycée public de la région Casa-Settat.
Un manque d’effectif que certaines académies ont déjà quantifié. « L’Académie de Casa-Anfa a chiffré elle-même un manque de 3.000 professeurs dans la région et travaille dessus pour les recruter rapidement« , annonce le porte-parole de la Fédération des parents d’élèves de la région. Il en est de même à Mohammedia où la direction des ressources humaines de la région a noté un manque de professeurs de mathématiques et de français, confie Houari Noureddine.
À Tanger, Mokhtar Laghmiche, membre de l’Académie de la région, a noté lui aussi un manque de superviseurs et d’enseignants notamment en anglais, en français pour le primaire et le secondaire et en philosophie. « On a fait remonter le problème au Ministère de l’Éducation qui n’a pas encore communiqué de réponses officielles pour le moment« , poursuit-il.
Lorsqu’on pose la question au ministère, notre interlocuteur reste vague et lance : « Oui, on a noté un manque de professeurs de français et de mathématiques dans certaines régions, mais les académies ont pu y faire face« .
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