Le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) organisait cette semaine, en partenariat avec l’Association de la prévention de la torture (APT) à Rabat, une rencontre autour des mécanismes de prévention de la torture en Afrique du Nord. Réunissant les représentants des mécanismes nationaux de la Mauritanie, de la Tunisie et du Maroc, la rencontre avait pour objectif de créer des liens d’échange entre les pays et de partager leurs différentes expériences en terme de lutte contre la torture.
En novembre 2014, le Maroc a adhéré au Protocole facultatif à la Convention contre la torture (OPCAT) qui prévoit la mise en place d’un mécanisme international (SCPT) et national (MMP) de prévention de la torture (cf. encadré). Au Maroc, l’attribution de la mise en œuvre de ce dernier programme a été confiée au CNDH. Mourad Errahid, directeur de la coopération et des relations internationales au sein du dit Conseil, fait le point sur les différentes modalités de ce mécanisme et sa mise en place prochaine.
Telquel.ma : Quelle sera la mission concrète des équipes du mécanisme national de prévention de la torture sur le terrain ?
Mourad Errarhib : Le mécanisme international SCPT n’opère des visites que tous les six ans environ. Contrairement, l’équipe du MMP fera des visites fréquentes et régulières dans les lieux de détentions et de privation de liberté en tout genre (hôpitaux psychiatriques, centres de police, prisons…). La grande nouveauté, c’est qu’elle fera des visites inopinées – et autant que voulues – sans prévenir l’administration pénitentiaire. Elle pourra rester sur place autant de temps qu’elle le juge opportun. L’idée n’est pas de venir suite à une plainte – celle-ci sera prise en charge et écoutée par une autre équipe du CNDH comme cela est déjà le cas aujourd’hui – mais de venir inspecter régulièrement ces différents établissements à travers tout le royaume.
Sur place, l’équipe devra se fondre dans le décor et observer l’univers carcéral avec un regard d’anthropologue. Elle devra vivre avec les gens. Dans le viseur, par exemple : le système de soins, les registres médicaux, l’état de la nourriture servie ou encore le niveau d’hygiène. Ils devront également observer le rapport qu’entretiennent les prisonniers entre eux ainsi qu’avec leur administration, ou encore la façon dont ils vivent au sein du lieu de détention. En fait, ils devront analyser les causes systémiques qui peuvent occasionner la violation en vérifiant si les règles normatives sont bien respectées et en observant les rapports humains internes aux établissements.
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De qui sera composée l’équipe du CNDH chargée de ce mécanisme ?
Il y aura, au sein du CNDH, une équipe dédiée uniquement à ce mécanisme. Elle sera composée d’un coordinateur, sorte de porte-parole, et d’une équipe de 4 ou 5 membres du Conseil. Ils seront appuyés par une autre équipe administrative. Ces membres sont actuellement tous en formation. Ils sont formés à l’inspection des prisons et des lieux de prévention des libertés sous autorité publique en général. Ils vont sur le terrain et apprennent les différentes méthodes de prévention de la torture : travail d’inspection dans les lieux de détention, rédaction des rapports et des recommandations à l’État… Tout ceci est très codifié et nos membres doivent avoir une solide formation pour mener à bien la mise en place de ce mécanisme.
Comment sera utilisé le résultat de ces enquêtes ?
L’idée est de ne pas laisser ces lieux évoluer en huit-clos mais de les suivre, de l’intérieur, pour en analyser les dysfonctionnements et tenter, à terme, d’y remédier. L’équipe de terrain, suite à ses visites, rédigera un rapport pour les autorités administratives et politiques, ainsi que des recommandations à l’État. L’idée est aussi de coopérer avec l’administration pénitentiaire, non pas pour épingler qui que ce soit mais avant tout pour observer et dialoguer avec eux sur ce qui ne va pas, car ces derniers peuvent avoir, parfois, leurs propres contraintes. Une partie du rapport pourra ensuite être rendue publique, notamment à travers le rapport annuel qui livrera un compte rendu de l’activité de l’équipe. Les rapports de visites et les recommandations, en revanche, resteront privés, étant constitués d’informations confidentielles (registres médicaux, données personnelles…).
Quand est-ce que le mécanisme sera fonctionnel ?
Dès que la loi du CNDH sera adoptée par le Parlement. Le mandat juridique du mécanisme sera incorporé dans cette dernière. Or celle-ci, comme beaucoup d’autres lois, ont pris du retard. La loi a été introduite à la Commission des lois par le ministre chargé des Droits de l’Homme, Mustapha Ramid, en juillet dernier. Le texte doit maintenant être discuté en commission à l’autonome prochain, en fonction des priorités nationales. Puis elle devra passer en plénière de débat et d’adoption pour être adoptée. On espère que le mécanisme sera opérationnel en décembre prochain. Il faut savoir que dans les pays où le MMP est devenu fonctionnel, la torture a baissé de 80%.
Les origines de ce nouveau mécanismeIl existe deux textes fondamentaux concernant la lutte contre la torture. Le premier est la Convention des nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants (CAT), qui vise à lutter contre la torture, donc à agir une fois que la violation a été commise. Or, dans la pratique, ce texte a été jugé insuffisant pour lutter contre la torture. On y a donc ajouté, il y a onze ans, la convention contre la torture (OPCAT), un protocole facultatif qui vient compléter le premier texte, ratifié par le Maroc en novembre 2014. L’idée de ce deuxième texte est de limiter les occasions de torture. C’est pourquoi ce texte prévoit un certain nombre de mécanismes qui viennent lutter contre la torture directement sur le terrain. L’OPCAT prévoit deux mécanismes. Le premier, le Sous-comité des Nations unies pour la prévention de la torture (SCPT), est un comité international d’experts indépendant qui siège à Genève et qui vient régulièrement faire un état des lieux dans les pays ayant ratifié le protocole. Le deuxième est le mécanisme national de prévention (MMP) que l’Etat doit installer dans son pays. Dans le cas du Maroc, c’est le CNDH qui va se voir attribuer ce dernier.[/encadre] |
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