Dans un récent rapport intitulé « Les Médias en ligne au Maroc et le journalisme citoyen: Analyse des principales limites à un environnement favorable« , l’Association marocaine des droits humains (AMDH) et l’ONG espagnole NovAct évoquent une diminution progressive de la liberté d’expression sur Internet.
L’étude rédigée par les chercheurs Jesus Garcia Luengos et Laurence Thieux a été présentée à la presse ce mardi. Sur plus d’une cinquantaine de pages, les auteurs s’alarment d’un phénomène qui s’applique à l’ensemble des internautes, à commencer par les journalistes, professionnels ou non.
Depuis 2016, le Maroc a en effet perdu 2 places au classement de la liberté d’expression de Reporters sans frontières (RSF), chutant ainsi à la 133e place, juste devant son voisin algérien. Entre-temps, l’accès à Internet s’est démocratisé, permettant ainsi au royaume de se hisser à la deuxième place des pays les plus connectés d’Afrique.
L’expansion des NTIC a modifié les habitudes de consommations et de diffusion de l’information. Blogueurs, activistes des réseaux sociaux, journalistes « citoyens »… De nouveaux acteurs médiatiques voient le jour, parallèlement au développement des médias traditionnels sur la toile. Pour les auteurs de l’étude, le paysage médiatique évolue, mais les « lignes rouges » persistent.
Les tabous ont la peau dure
Selon ce rapport, le Royaume a connu deux phases de démocratisation de la parole médiatique. La première coïncide avec l’arrivée au pouvoir de Mohammed VI. Elle s’est atténuée avec les attentats de 2003 qui ont « conduit, entre autres conséquences politiques, à une recrudescence de la censure dans les médias par l’État dans le cadre de la politique antiterroriste« . Six ans plus tard, Reporters sans frontières relevait que les peines de prisons prononcées contre les journalistes s’élevaient à 25 ans.
Lors du « printemps démocratique » de 2011, l’AMDH décrit une seconde phase de démocratisation débouchant sur « une plus grande liberté d’expression et dans une certaine mesure un relâchement des « lignes rouges » traditionnelles, surtout sur les médias en ligne et les réseaux sociaux« .
L’association précise que cette période a duré « plusieurs mois« . Par la suite, « L’État a multiplié les mécanismes de contrôle et de censure ainsi que l’articulation de nouvelles formes de répressions« , dénonce l’AMDH.
Jesus Garcia Luengos et Laurence Thieux évoquent ces sujets qui demeurent polémiques, en dépit des changements de gouvernements:
Certains journalistes et experts interrogés dans le cadre de l’étude considèrent que la première ligne rouge concerne les questions relatives au patrimoine du monarque, alors que d’autres signalent qu’actuellement les services de sécurité sont devenus une autre grande ligne rouge, à laquelle s’ajoute la question traditionnelle de l’opacité relative à l’armée
Le rapport nuance cependant ce propos. Certains témoins précisent que ces questions peuvent être traitées « à condition que l’investigation journalistique soit menée avec rigueur et avec des sources bien fondées« .
Un constat qui s’applique également aux autres « lignes rouges » que sont « La religion, et l’intégrité territoriale par rapport à la question du Sahara« . Pour l’AMDH, si l’aspect polémique relatif à ces questions n’a guère évolué avec le temps, les formes de répression qu’elles génèrent ont quant à elles changé de visage.
Quand la répression évolue
Le 15 août 2016, un nouveau Code de la presse voyait le jour au Maroc. Le texte instaure, entre autres avancées, l’obligation d’une décision de justice pour fermer un site. L’AMDH relève toutefois que les « lignes rouges » persistent. À l’instar de l’article 76 qui maintient « l’interdiction de toute publication portant atteinte à la religion musulmane, la dignité du roi ou de la famille royale et à l’intégrité territoriale du pays« .
Contrairement à sa précédente édition, le Code de la presse ne prévoit plus de peine d’enfermement pour les journalistes. Mais les privations de liberté de ces derniers persistent sous de nouvelles formes selon l’étude de l’AMDH et NovAct :
La possibilité pour un journaliste d’être condamné à une peine de prison existe toujours sous la législation actuelle (…) si le juge estime que l’action commise doit être sanctionnée pénalement. En vertu de la loi 73-15, publiée dans le BO du 15 août 2016, la peine de prison peut aller de 6 mois à 2 ans, en plus d’une sanction économique de 20.000 à 200.000 dirhams.
Par ailleurs, le Code pénal prévoit lui aussi un assortiment de sanctions, dont l’emprisonnement pour les journalistes.
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Les auteurs du rapport estiment également que les sanctions économiques ne prennent pas en compte « le principe de proportionnalité par rapport à la capacité financière du média ou du journaliste sanctionné« . Parmi les nombreux exemples relevés : le site d’information Goud condamné par la justice au paiement d’une indemnité de 500.000 dirhams au secrétaire particulier du roi, Mounir Majdi.
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Dans un autre registre, le rapport évoque enfin un phénomène de « harcèlement » poussant les lanceurs d’alerte à s’autocensurer :
Nombreux sont les acteurs de la société civile, journalistes et activistes sur les réseaux sociaux qui affirment avoir été l’objet de surveillance physique et digitale. Cette surveillance est interprétée dans la majorité des cas comme une forme d’intimidation poussant les journalistes à s’autocensurer.
Quel avenir pour la presse ?
Pour les auteurs du rapport, « presque six ans après l’irruption sur la scène politique marocaine du Mouvement du 20 février (…) les réflexes répressifs traditionnels du régime n’ont pas changé« , et ce en dépit de la constitution de 2011 qui reconnaît le droit à l’information et à la liberté d’expression dans ses articles 27 et 28. Avec la digitalisation du paysage médiatique, seules les manifestations de ces « réflexes répressifs » ont évolué.
Pour l’AMDH, l’un des enjeux clés de la liberté de la presse sur Internet dans les années à venir réside dans « le journalisme citoyen« . Une activité qui séduit de plus en plus d’internautes sur les blogs et les réseaux sociaux, loin des médias dits « institutionnalisés« .
L’association souhaite ainsi encadrer cette profession en lui offrant un statut semblable à celui du journaliste, et ouvrir des formations professionnalisantes. Un objectif ambitieux, en accord avec le bouleversement médiatique sans précédent provoqué par le numérique.
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