"Nettoyage ethnique" des Rohingyas: quel avenir pour les musulmans birmans?

Alors que près de 90.000 Rohingyas ont pris la route de l'exil suite aux affrontements de la semaine dernière, l'avenir des musulmans birmans semble plus que jamais compromis. Si le conflit ne date pas d'hier, son évolution prend désormais une dimension internationale.

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Les Rohingyas sont considérés comme "le peuple le plus persécuté du monde". Crédit : AFP

« Nettoyage ethnique« . La formule-choc sort directement de la bouche du représentant des Nations unies au Bangladesh. Un pays traversé depuis plus d’un demi-siècle par un conflit ethnique sanglant entre la minorité musulmane des Rohingyas, et la majorité bouddhiste.

Depuis l’attaque d’une vingtaine de postes-frontières birmans dans la région de l’Arakan le 25 août, la répression à l’égard de cette minorité s’est accentuée. Viols, torture, assassinats… la situation décrite par les ONG est dramatique, en témoigne l’exil de quelque 87.000 d’entre eux vers le pays voisin: le Bangladesh. Une situation préoccupante qui trouve notamment ses racines dans le passé colonial du pays.

Quand « musulman » rime avec « colonialisme »

Concentrés dans la région de l’Arakan au sud-ouest de la Birmanie, les musulmans sont présents dans le pays depuis le XVIIe siècle. Mais c’est avec la colonisation britannique que cette religion va prendre une importance nouvelle dans le paysage national. « Avec la colonisation anglaise, l’Arakan devient une province rattachée à l’Empire britannique en Inde. Lorsque les Anglais vont développer la culture du riz, ils vont faire appel à des centaines de milliers de musulmans originaires de l’Inde pour travailler dans la région« , retrace l’anthropologue  Alexandra de Mersan, spécialiste de la Birmanie où elle a effectué plusieurs recherches depuis 15 ans. 

Si de lointaines références évoquent le terme de « Rohingyas » dès la fin du XVIIIe siècle, il faut attendre le milieu du XIXe siècle pour que celui-ci soit employé régulièrement pour définir les musulmans de l’Arakan. Un terme qui renvoie aujourd’hui aux  notions d' »impérialisme » et de « colonialisme » pour la majorité bouddhiste. « À cette image négative s’ajoute également celle d’un islam violent et conquérant, notamment après le 11 septembre« , précise Alexandra de Mersan.

Étrangers dans leur propre pays

Depuis l’indépendance du pays en 1948 jusqu’à aujourd’hui, des affrontements éclatent régulièrement autour de la région de l’Arakan. Au centre du conflit: la question de la citoyenneté, à laquelle les Rohingyas n’ont pas accès. « Chaque période d’affrontement coïncide à l’élaboration de nouvelles constitutions qui régissent l’accès à la citoyenneté« , résume Alexandra de Mersan.

En l’absence de citoyenneté, Les Rohingyas sont considérés comme des immigrés en situation irrégulière. Impossible pour eux d’accéder aux services de l’état les plus élémentaires (Soin, éducation, marché du travail, etc.). Une situation dramatique qui ne sera massivement médiatisée qu’à partir du début des années 2010.

En juin 2012, un Rohingya est accusé du viol d’une Birmane, déclenchant ainsi une vague de violences disproportionnée. Des villages sont brûlés, des mosquées détruites et des populations abattues. Un drame qui pousse l’ONG Human Right Watch à dénoncer un « crime contre l’humanité ». À titre d’exemple, pour la seule journée du 23 octobre 2012, 70 Rohingyas sont massacrés dans le village de Yan Thei (sud-ouest de la Birmanie).

Aujourd’hui encore, certaines populations vivent dans des camps après la destruction de leur village. Un contexte explosif qui aboutit aujourd’hui à l’attaque des postes-frontières, et leurs terribles représailles.

Vers une crise internationale?

Depuis ces violences, la Birmanie affronte la pression grandissante de la communauté internationale. Dernier événement en date, la sortie de la lauréate du prix Nobel de la paix 2014, Malala Yousafzai. « Chaque fois que je regarde les informations, j’ai le coeur brisé face aux souffrances des musulmans rohingyas de Birmanie« , a-t-elle déclaré avant de dénoncer le mutisme d’Aung San Suu Kyi, porte-parole de la présidence de la République de l’Union de Birmanie, elle même prix Nobel de la Paix en 1991.

L’appel de la jeune Malala s’ajoute aux nombreux cris d’alarme de l’ONU qui avait d’ores et déjà déclaré les Rohingyas comme « peuple le plus persécuté au monde« . Pour autant,  Alexandra de Mersan livre une analyse plus mesurée : 

Oui ils vivent des situations extrêmement difficiles, mais l’armée birmane ne fait pas de cadeaux aux groupes rebelles. Ces derniers sont d’ailleurs nombreux dans le pays, notamment dans les régions au Kachin et au Shan. Pourtant, cela ne fait l’objet d’aucune médiatisation. Beaucoup de populations sont en lutte armée depuis l’indépendance. Le problème de la Birmanie est avant tout lié à la notion de construction nationale.

Dans un pays où le sentiment nationaliste est exacerbé, l’arrivée des ONG et les critiques de la communauté internationale accentuent les tensions. À l’échelle régionale pourtant « la plupart des gouvernements voisins sont mesurés à l’égard de la Birmanie« , explique Alexandra de Mersan. Si des manifestations de soutien ont d’ores et déjà eu lieu dans certains pays musulmans comme l’Indonésie, rares sont les acteurs capables de venir en aide aux Rohingyas.

De nombreux observateurs craignent désormais que la situation favorise l’émergence de groupes jihadistes. Pour l’instant « l’Arakan Rohingya Salvation Army, qui a revendiqué les attaques récentes, est plutôt sur un registre nationaliste que religieux« , insiste cependant Alexandra de Mersan. L’anthropologue précise toutefois que « le risque de radicalisation existe« .

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