Born in Morocco ». En lettres vertes, sur un fond rouge étoilé, entouré des portraits de 10 personnes impliquées dans les attentats d’août 2017 en Catalogne, effectivement nées au Maroc. Pourtant, la Une du 27 août de l’hebdomadaire Jeune Afrique indigne nombre d’internautes au Maroc, choqués que leur nationalité soit associée à une attaque terroriste à l’étranger.
« Elle désigne ces terroristes par leur pays d’origine — en désignant le Maroc comme responsable et utilisant notre drapeau de façon infamante — or par définition le terrorisme est aveugle, sourd, muet, n’a ni nationalité, ni origine, ni religion…, » s’indigne l’écrivain Ahmed Ghayat sur Facebook. « Accrocher les têtes des criminels sur les branches de l’étoile verte centrale qui frappe de son sceau le drapeau du pays, est une atteinte grave à la symbolique nationale du Maroc, une infamie, un affront aux Marocains, » écrit le 1.ma.
« Tous ces terroristes ont quitté le Maroc entre 0 et 5 ans. Quel tort pour le Maroc ? », s’interroge @ismail_ben84 sur Twitter. Aucun pour François Soudan, directeur de la rédaction de Jeune Afrique. « Le titre est bien ‘Born in Morocco’ et pas ‘Made in Morocco’. ‘Made in Morocco signifierait que ce qui leur aurait mené à ça serait spécifiquement marocain. Or, là, ce n’est pas le cas. Il suffit d’ailleurs de lire les trois lignes en dessous du titre, où c’est bien écrit ‘radicalisé en Europe’, » explique-t-il. Il invite également à lire l’article en pages intérieures pour mieux comprendre, mais aussi son édito dans le même numéro, où il écrit noir sur blanc : « Suggérer […] qu’il existerait une sorte de prédisposition génétique des Marocains à l’extrémisme, n’a donc aucun sens ».
La presse européenne s’interroge
Avant Jeune Afrique d’autres publications européennes à grand tirage ont-elles aussi relevé que onze des douze terroristes liés aux attaques de Barcelone et Cambrils sont Marocains et que le douzième est d’origine marocaine né en Espagne. « La présence permanente de Marocains dans les attentats jihadistes », titre El Confidencial en Espagne. « 40 % des 178 jihadistes présumés détenus en Espagne depuis 2013 sont de nationalité marocaine, les autres sont de nationalité espagnole, » y est cité le chercheur Fernando Reinares, dans un article qui rappelle la coopération des services de renseignements marocains avec leurs homologues européens contre ce fléau et précise que les « Marocains sont désormais en tête » des attentats commis en Europe.
« Les terroristes marocains de l’EI, ‘une menace aux portes de l’Europe’ » titre d’ailleurs The Guardian. « Au plus fort du pouvoir de l’EI, on estime que jusqu’à 1600 Marocains ont voyagé en Iraq et en Syrie, faisant d’eux, par tête, l’un des plus importants groupes nationaux dans le califat rétrécissant, » relève l’auteur.
« Le Maroc exporte ses djihadistes » est quant à elle intitulée une tribune du sociologue Farhad Khosrokhavar dans Le Monde. « Dans la vaste zone qui inclut la France, l’Espagne et la Belgique, la diaspora marocaine montre des signes de radicalisation, notamment celle d’origine amazigh, réprimée par le pouvoir marocain et pénétrée de son sentiment d’infériorité et d’indignité de citoyens de seconde zone en Europe, » écrit franchement le directeur d’études à l’École des Hautes études en sciences sociales (EHESS, en France).
Riposte du Maroc
C’est cette dernière sortie qui a suscité des réponses publiques au Maroc. El Mostafa Rezrazi, directeur de l’Observatoire marocain de l’extrémisme et de la violence, et auteur du très documenté Livre gris du terrorisme — au cœur de la coopération sécuritaire Maroc-Europe accorde une longue interview dans les colonnes d’Al Ahdath Al Maghrabia du 28 août. « Il y a des plumes en Europe qui exploitent ce qui s’est passé en Espagne pour attaquer le Maroc et essayer de le qualifier de pays ‘exportateur’ de terroristes, » entame Rezrazi, qualifiant ces « accusations » de « chauvinistes », mais surtout d’« illogiques ».
« Le Maroc a une doctrine sécuritaire ouverte. C’est grâce à cela que plusieurs pays ont pu éviter des catastrophes dans leurs pays. Rappelons que le Maroc lui-même n’a pas échappé aux attaques terroristes, » rappelle-t-il. Psychologue, il explique que grâce à un travail de terrain dans les prisons européennes, il a pu établir que la plupart des auteurs d’attentats en Europe sont effectivement d’origines maghrébines, et marocaines en particulier, mais aussi issue de classes sociales pauvres à moyennes, et sont « au plus bas de l’intégration socio-culturelle ».
« Malgré qu’ils aient la nationalité du pays où ils vivent, leur famille n’ont pas été aidées à s’intégrer dans les société où ils vivent, » poursuit-il. Et de prendre comme exemple l’accès à la propriété : « L’immense majorité des jeunes embrigadés ne sont pas propriétaires dans leur pays de résidence, alors que leurs parents ont souvent investi dans leur pays d’origine avec l’espoir de revenir. » L’extrême jeunesse des jihadistes pourrait aussi expliquer ce constat. En outre, une récente étude de la fondation allemande Bertelsmann Stiftung tend à prouver que « l’intégration des immigrés musulmans en Europe de l’Ouest est en net progrès. Au plus tard à la seconde génération, la majorité a intégré le courant dominant de la société ».
In fine, Rezrazi note que « le véritable danger ce n’est pas la menace terroriste elle-même – qu’il faut, aussi, se préparer à affronter —, mais de se laisser entraîner vers des réactions émotionnelles qui peuvent menacer la coopération contre le terrorisme ». En ce sens, les ministres de l’Intérieur espagnol et marocain ont voulu montrer que la coopération de leur service était au beau fixe, le 29 août à Rabat. Dans une déclaration aux éléments de langage repris par l’agence officielle MAP, le ministre espagnol a déclaré : « Dès leur jeune âge, ces terroristes se sont rendus en Espagne où ils ont grandi et reçu leur éducation », se félicitant du « contact permanent et de la coopération entre les services de sécurité des deux pays » qui donnent de « bons résultats » sur le terrain. Dans le même temps, la patron de la police et du renseignement marocain, Abdellatif Hammouchi, rencontrait les trois principaux responsables sécuritaires espagnols.
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