Ouvert fin 2016, le centre de déradicalisation de Pontourny situé à 250 km au sud de Paris, avait coûté 2,5 millions d’euros. Depuis le mois de février, il était vide. Il a finalement fermé définitivement le 28 juillet dernier, après moins d’un an d’existence, alors que l’expérience devait être élargie à l’ensemble des treize régions.
Au total, seulement neuf pensionnaires y auront séjourné (pour une capacité d’accueil de 25 personnes), et aucun n’aura suivi l’intégralité du programme.
Des islamistes « light » et volontaires : le casse-tête du recrutement
Une des principales raisons de l’échec du centre réside dans les conditions d’accès assez paradoxales. En effet, pour séjourner dans ce centre, il fallait répondre à des critères très restrictifs : seules les personnes en voie de radicalisation, non-fichées S, non condamnées et n’ayant pas séjourné en Syrie ou en Irak pouvaient se porter volontaire. Comme l’explique Murielle Domenach, du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, à la chaîne de télévision France 2, « le recrutement s’est heurté à des limites parce qu’il était difficile de trouver des volontaires dont les profils soient adaptés à cette prise en charge ».
Le ministère français de l’Intérieur, Gérard Collomb, a lui-même avoué dans un communiqué que « l’expérience ne s’est pas révélée concluante. L’expérimentation d’un centre d’accueil ouvert, fonctionnant sur la base du volontariat, a montré ses limites ». Et pour cause, parmi les neuf personnes accueillies, plusieurs cas se sont avérés problématiques.
Parmi les premiers pensionnaires attendus, un certain I., 23 ans. Le jeune homme se dit bipolaire, violent et fait l’objet d’une fiche S. Cela provoque l’indignation des riverains du centre, qui ont constitué une association baptisée « Radicalement digne de Pontourny » et des politiques locaux, qui dans leur ensemble n’étaient pas favorables à l’installation de ce centre dans leur contrée.
Le cas de Mustafa S., 24 ans, originaire d’Alsace s’est avéré encore plus grave. Connu des services antiterroristes et de la justice pour avoir fait partie de la filière jihadiste de Strasbourg, il fait partie d’un groupe de jeunes radicalisés dont certains avaient rallié la zone irako-syrienne en décembre 2013. Parmi ses comparses, Foued Mohamed-Aggad, l’un des kamikazes du Bataclan, et deux autres frères morts en Syrie. Mustafa S. avait été attrapé au dernier moment par sa famille à l’aéroport de Francfort en Allemagne. Après cette première tentative de départ, une seconde en mai 2016 échoue à nouveau, à la suite d’un contrôle de police en Allemagne. Le jeune homme a finalement été mis en examen en juillet 2017 par les juges antiterroristes pour association de malfaiteurs terroriste.
Enfin, en février 2017, le dernier pensionnaire avait été exclu du centre après avoir été condamné à quatre mois de prison avec sursis pour des faits de violences familiales.
Des méthodes pourtant novatrices
Interrogé par les Inrocks, le sociologue et intervenant bénévole au centre de déradicalisation Gérald Bronner veut relativiser l’échec : « J’ai lu partout que c’était une catastrophe. C’est une très mauvaise analyse. Je le répète : ce qui ne fonctionnait pas, c’est la stratégie de recrutement. Ce qui s’est passé à l’intérieur est absolument passionnant. A tel point, qu’un certain nombre de pays, en Afrique et en Amérique du Nord, sont intéressés pour importer les méthodes qu’on a expérimentées dans ce centre. Les techniques de prise de distance, avec la psychologie cognitive notamment, c’est la première fois qu’on le faisait« .
Il explique par exemple le travail effectué sur processus de dérégulation de perception du hasard d’un individu qui se radicalise, qui a selon lui très bien fonctionné. « Nous avons réussi à les faire se mouvoir sur ces sujets », se félicite-t-il.
Gabegie financière de la politique de déradicalisation
Plus généralement, c’est une grande partie de la politique de déradicalisation menée en France qui est à revoir, à en croire un récent rapport du sénat sur le désendoctrinement, le désembrigadement et la réinsertion des jihadistes en France et en Europe réalisé par les sénatrices Esther Benbassa et Catherine Troandlé.
Pointant du doigt la « gabegie financière de cette politique publique », Madame Benbassa explique notamment « qu’en 3 ans, près de 100 millions d’euros versés à diverses associations ». Selon elle, « nous devons faire un tri dans les subventions aux associations, car la plupart se convertissent en cabinets privés de consulting anti-radicalisation. Ce n’est pas souhaitable, car nous ne pouvons pas contrôler leur action, et par ailleurs il s’agit de deniers publics ».
Les cellules de suivi de radicalisation des préfectures semblent en revanche bien fonctionner. Tous les services de l’Etat concernés travaillent main dans la main et au au total, ce sont 2600 individus à risque et 800 familles qui sont suivies de près.
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