L'Inde bannit la répudiation chez la communauté musulmane

 La Cour suprême indienne a interdit le 22 août le divorce par répudiation express de la femme autorisé dans la communauté musulmane. Une décision emblématique qui touche au cœur de la conception de la laïcité du pays.

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Des femmes manifestent contre le "triple talaq", le 4 novembre 2016 à Ahmedabad en Inde - SAM PANTHAKY / AFP

Le « triple talaq » était l’un des sujets de société les plus débattus de ces dernières années en Inde, touchant à des enjeux publics capitaux comme la liberté de culte et les limites de l’immixtion de l’État dans la vie des minorités religieuses. Selon cette pratique jusqu’ici acceptée dans le pays, il suffisait à un musulman de prononcer trois fois de suite le mot « je divorce » (« talaq, talaq, talaq ») pour répudier sa femme. Une pratique désormais déclarée illégale par la plus haute instance judiciaire de la nation.

« Le triple talaq enfreint le Coran et la charia. Il ne fait pas partie des pratiques religieuses et va à l’encontre de la moralité constitutionnelle« , a déclaré un panel de cinq juges des principales religions d’Inde – hindouisme, islam, christianisme, sikhisme et zoroastrisme – qui l’a jugé inconstitutionnel par trois voix contre deux. La cour s’est prononcée uniquement sur le divorce à caractère instantané, appelé « talaq-e-biddat », et non sur les autres formes de répudiation qui s’étalent sur des temps plus longs. Des affaires de divorces instantanés par lettre, Skype ou même message Whatsapp ont fait les gros titres ces dernières années en Inde. Plusieurs femmes congédiées de cette manière avaient engagé un recours pour obtenir l’abolition de cette procédure.

Shayara Bano, la principale plaignante, avait ainsi reçu sa répudiation par courrier en 2015 et était tombée en dépression. « J’ai connu la douleur quand une famille se fracture. J’espère que personne n’aura à passer par cette épreuve à l’avenir« , a-t-elle déclaré à la presse à l’extérieur du tribunal.

Une décision historique qui divise

Représentant 180 millions de personnes, soit 14% de la population, les musulmans sont la première minorité religieuse en Inde, peuplée à 80% d’hindous. « Jusqu’ici, une femme musulmane pouvait être jetée de sa maison de manière totalement arbitraire et sans qu’on lui donne de raisons. À partir d’aujourd’hui, n’importe quel homme musulman voulant divorcer devra respecter les injonctions du Coran« , s’est félicité auprès de l’AFP Balaji Srinivasan, avocat de Mme Bano.

La laïcité à l’indienne, telle que définie dans sa Constitution, place toutes les religions sur un pied d’égalité. Les croyances de chaque citoyen définissent le droit qui prévaudra en matière de mariage, divorce ou héritage. Les mêmes règles ne s’appliqueront ainsi pas à un hindou ou à un musulman, par exemple.

Le Premier ministre Narendra Modi – qui soutenait le recours contre le triple talaq, l’estimant inconstitutionnel et discriminatoire envers les femmes – a qualifié la décision d' »historique« . Le parti du Congrès (opposition) a également salué un jugement « progressiste, laïc et en faveur d’une égalité des droits pour les femmes musulmanes », dans un tweet sur son compte officiel.

Mais la prise de position du pouvoir en place était contestée au sein de la communauté musulmane, même parmi des opposants au triple talaq. Leur crainte sous-jacente est de voir à terme les minorités privées de leurs lois religieuses, avec le spectre de la domination de l’hindouisme majoritaire. Les nationalistes hindous militent de longue date pour un code civil uniformisé.

Ce sujet « a été tourné en campagne médiatique pour diaboliser l’image des musulmans« , a dénoncé auprès de l’AFP Moulana Mohammad Wali Rehmani, secrétaire général de l’All India Muslim Personal Law Board (AIMPLB). Cette association d’organisations musulmanes jugeait le triple talaq « répréhensible » mais s’opposait à son interdiction.

Les musulmans indiens disposent encore de deux formes de divorce unilatéral initié par l’époux, le « talaq-e-ahsan » et le « talaq-e-hasan », qui nécessitent environ trois mois pour que le divorce soit effectif et sont révocables dans l’intervalle. Les femmes musulmanes peuvent elles aussi enclencher une procédure de divorce, soit en recueillant le consentement de leur mari, soit en passant par le clergé. Pour l’avocat Balaji Srinivasan, avec ce jugement abondamment commenté en Inde, « le plafond de verre est brisé ».

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