Que cache la diminution des réserves de sang?

Mohammed Benajiba, directeur du Centre national de transfusion sanguine et d'hématologie, a annoncé le 12 août que les réserves de sang actuelles ne couvraient que cinq jours. Il nous explique la gravité de cette situation.

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Telquel.ma: Peut-on parler de pénurie de sang au Maroc?

Mohammed Benajiba : Je préfère parler de « diminution des réserves » plutôt que de pénurie. Parce que dans notre gestion des stocks des produits sanguins, nous avons défini trois niveaux. Le premier niveau, le niveau vert, a été défini comme étant un état de stock qui dépasse 7 jours de consommation. Lorsque l’état des stocks couvre entre 2 et 7 jours, c’est ce qu’on appelle la phase jaune. Lorsque notre stock au niveau national est inférieur à 2 jours, c’est la phase rouge, c’est la phase critique, la phase de pénurie.

Aujourd’hui nous sommes dans la phase jaune. Nous avons un stock qui, la semaine dernière, était équivalent à 5 jours et c’est pour cela que nous avons commencé une campagne de promotion du don du sang afin de repasser de la zone jaune à la zone verte et d’éviter la pénurie. Nous avons alors mis en place cette campagne stratégique en sollicitant d’autres organismes qui s’impliquent dans les collectes de sang et dans la promotion des dons du sang, en particulier la société civile et essentiellement les médias.

Est-ce une crise exceptionnelle ?

Non, c’est habituel. L’explication est simple. La période estivale c’est la période des vacances. Les donneurs pensent rarement au don du sang en cette période, d’où la situation actuelle. J’ai consulté les états des stocks des trois dernières années et on observe la même diminution à partir de la fin du mois de juin. C’est vrai que cette année, au cours du mois de ramadan, on a pu redresser la situation des stocks. Mais juste après, la courbe a commencé à diminuer. D’ailleurs, cette période estivale est connue au niveau international comme étant une période critique pour laquelle il faut prévoir une stratégie pour anticiper la diminution des réserves.

Comment faire face à cette diminution ?

Nous avons réfléchi cette année à aller vers les donneurs de sang, et organiser des collectes de sang au niveau des villes côtières, des plages et également au niveau des marinas, etc. L’idée était que les donneurs n’aient pas à se déplacer chez nous.

Pensez-vous que le citoyen marocain hésite à donner son sang ?

Si vous faites une enquête auprès du citoyen marocain sur l’importance du don du sang, un grand nombre va répondre qu’il croit en son importance, que le don du sang est un geste important qui sauve des vies. Mais à partir de là, est-ce que ces citoyens vont passer à l’acte? Au Maroc, comme partout dans le Monde, le problème est la disponibilité du donneur qui n’est pas toujours disposé à venir chez nous. Du coup, il faut réfléchir afin de s’adapter.

En termes d’horaires, il n’est plus justifié actuellement que le centre de transfusion travaille durant les horaires normaux. De 8h30 à 16h30, le donneur est occupé. Il faut penser aussi à toucher le donneur sur son lieu de travail, car il ne faut pas s’attendre à ce qu’il quitte son poste pour venir donner son sang. Par exemple en Allemagne, les collectes de sang commencent à 16h30. C’est le moment où le donneur sort du travail et qu’il est prédisposé à donner son sang.

Un deuxième problème se pose: c’est la fidélisation des donneurs. Peu de donneurs reviennent donner leur sang. Nous avons un pourcentage des donneurs réguliers qui ne dépasse pas 22%, alors que dans les pays développés ce que recommande l’OMS c’est que ce chiffre atteigne les 85%. C’est à partir de volontaires réguliers que nous pouvons assurer l’autosuffisance et la sécurité transfusionnelle.

Quel est le cycle du traitement du sang une fois le don effectué?

Le sang est collecté dans une poche qui a un volume de 450 à 500 centimètres cubes. Dans les 6 heures qui suivent le prélèvement, il faut que le sang soit séparé rapidement. On le sépare en 3 produits, le premier est un concentré de globules rouges qui ne comporte que des globules rouges, le deuxième produit est le plasma, c’est le liquide jaune dans lequel on trouve les anticorps, les immunoglobulines, et le troisième produit, ce sont les plaquettes qui sont utilisées pour arrêter le saignement chez un malade qui souffre d’un déficit en plaquettes. C’est le produit sanguin dont nous avons le plus besoin.

Une fois qu’on a réalisé cette séparation, le concentré de globules rouges est placé dans un réfrigérateur dont la température est comprise entre 2 et 6 degrés et nous pouvons les conserver pendant 42 jours, le plasma est tout de suite après congelé à -30 degrés et peut-être conservé pendant une année. Les plaquettes sont conservées à la température ambiante entre 22 et 24 degrés pour une durée de seulement 5 jours.

En plus de la poche, on prélève 2 tubes. Le premier va servir à déterminer le groupage complet et le second servira à dépister d’éventuelles maladies qui pourraient être transmises par le sang.

Comment gérez-vous les états de stock ?

Gérer les états de stock n’est pas une étape facile, cela demande un état de veille permanent et nécessite également un don de sang régulier. Imaginez si vous faites une collecte de sang où vous ramassez 1.500 poches aujourd’hui. Cinq jours plus tard, il faut faire une nouvelle collecte parce qu’il n’y aura plus de plaquettes. C’est pour cela qu’il faut qu’il y ait des collectes régulières, des collectes qui répondent bien au besoin, ni moins ni plus. S’il y en a moins, vous risquez de tomber en pénurie et s’il y en a trop, on tombe dans le problème de poches périmées.

Quel est le pourcentage de la population qui doit donner son sang pour éviter de tomber dans une pénurie ?

L’OMS recommande au moins 1% de donneurs par rapport à la population générale pour assurer le strict minimum. Actuellement au Maroc, ce taux est de 0,96%. Sommes-nous dans le taux suffisant ? Non ! Si on consulte l’indicateur relatif au besoin en nombre de lits, nous sommes à 132% par rapport aux besoins. Cette discordance est expliquée par l’offre de soins, car nous avons les hôpitaux, les lits et les services dont nous avons besoin.

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