Khalil Hachimi Idrissi veut reconquérir la "souveraineté médiatique nationale"

L'agence nationale MAP va subir une profonde refonte. Son directeur, Khalil Hachimi Idrissi nous explique ses ambitions pour l'agence, affirmant vouloir en faire un outil d'information pour faire face à la déferlante satellitaire, notamment avec le lancement de MAP TV.

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La Maghreb Arab Presse (MAP) ne devrait plus rester cette structure étatique consacrée essentiellement à la diffusion de dépêches, et reprenant les informations officielles. Un nouveau projet de loi (02-15) a été adopté le 24 juillet dernier par la Chambre des représentants. Une fois définitivement validé et publié dans le bulletin officiel, il devrait remplacer un texte vieux de 40 ans (la loi 1.75.235) qui organise l’activité de la MAP.

Selon le ministre de la Communication, Mohamed Laârej, le projet de loi « porte un élan de réforme visant à renforcer la présence de la MAP, en termes de professionnalisme et de compétitivité, dans le concert des agences de presse internationales ». Khalil Hachimi Idrissi, directeur général de la MAP, nous dresse les contours de la nouvelle vision de l’information de l’agence nationale, qui passe notamment par un projet de chaîne d’information en continu: MAP TV.

La loi qui organise actuellement l’agence date de 1977, pourquoi avoir attendu 40 ans pour le réformer?

L’amendement des statuts juridiques d’un établissement public émane d’un besoin de mise à niveau en termes de missions, d’activité et de gouvernance. Ce besoin de changement est traduit à son tour dans la vision stratégique de l’établissement sur le moyen et le long terme. Il a donc fallu concevoir d’abord une vision stratégique qui définit le nouveau positionnement de la MAP au niveau continental et régional, les activités qu’elle doit exercer pour se développer et les modes de gouvernance adaptés à la nouvelle situation. Le projet de loi traduit donc tout cela et offre un cadre légal dans lequel un établissement stratégique, tel que la MAP, peut évoluer.

Concrètement qu’apporte de nouveau le texte de loi?

La première chose à retenir de ce texte, c’est qu’il définit de manière explicite les missions de l’Agence pour le compte de l’État et les distingue clairement des autres activités rémunératrices de la MAP telles qu’elles se développent notamment avec les nouveaux produits.

Deuxièmement, le périmètre d’action de la MAP a été élargi. Les pouvoirs publics ont été convaincus qu’une agence de presse du XXIe siècle ne peut plus être une entreprise mono produit qui ne ferait que de la dépêche, comme au XIXe siècle. À l’image des agences de presse mondiales (AP, AFP, Reuters…), la MAP est dans l’obligation de s’ouvrir sur de nouveaux produits et de nouveaux moyens de transmission d’informations (image, son, vidéo, infographie…) ainsi que sur les nouveaux supports: internet, réseaux sociaux, etc.

Il faut ajouter à cela le fait que le nouveau texte offre à la MAP la possibilité d’utiliser les montages financiers et juridiques qu’elle juge utiles pour la réalisation de ses projets (partenariat, Groupement d’intérêt économique -GIE, filialisation…).

Enfin, le nouveau texte grave dans le marbre les instances de gouvernance que nous avons mises en place, ce qui représente une innovation pour un établissement public. Ces instances (Conseil de la rédaction, le Comité stratégique, l’Ombudsman et le Comité paritaire de gestion concrétisent la gestion participative) rendent obligatoire la veille stratégique et fournissent un interlocuteur aux utilisateurs qui estiment que la MAP n’a pas respecté sa charte déontologique.

L’article 3 du projet de loi dispose que la MAP est habilitée à utiliser la transmission par satellite. Verra-t-on bientôt une MAP TV?

L’article en question habilite la MAP à utiliser le système de transmission satellitaire et non pas à créer une chaîne diffusée par satellite. Ce n’est pas la même chose. La différence est de taille. La MAP est habilitée à offrir un service de transmission par satellite qui est en fait une offre de service public en la matière. Les offres existant sur le marché aujourd’hui sont informelles et sont opérées avec du vieux matériel admis en AT (admission temporaire, NDLR) ou entré illégalement au Maroc.

Les gens qui s’inquiètent du contenu qui sera transmis doivent s’inquiéter de ce qui se passe aujourd’hui alors que le marché est marqué par l’opacité et l’illégalité. L’offre publique quant à elle sera faite dans les règles. Créer une chaîne d’information en continu est une autre paire de manches. C’est un projet qui a l’air de rendre fébrile. C’est un des projets à moyen terme que nous avons proposé au gouvernement dans le cadre de notre plan stratégique 2012-2016.

Or, à ce jour, la décision officielle n’est pas encore prise, en dépit du fait que ce service s’impose de lui-même pour le Maroc. Il y a 5 chaînes d’information en continu en France, dont une publique, une européenne et trois privées. La chaîne publique est venue stratégiquement contrebalancer le poids des chaînes privées (en France, NDLR). Il faut aussi souligner que plusieurs agences de presse dans le monde disposent d’une chaîne d’information contrairement à ce que d’aucuns veulent bien faire croire.

Seule une agence de presse qui maîtrise le contenu peut offrir des solutions de mutualisation avancée des compétences et des investissements. Novosti avec Russia Today a gagné son pari. Les chaînes chinoises régionales également. En Amérique latine aussi. Mais au Maroc, ce n’est pas parce que le pôle public est en faillite que l’on doit se croiser les bras et regarder les trains passer. Il faut de l’audace et de l’intelligence pour mutualiser et trouver des solutions novatrices et complémentaires pour sortir de cette fatalité de l’échec.

Qu’apportera une nouvelle chaîne publique à l’offre télévisuelle nationale actuelle ?

À la demande de notre conseil d’administration, nous avons effectué une étude d’impact du lancement de ce service. Les résultats sont édifiants. Le paysage médiatique national en matière de service audiovisuel d’information en continu souffre d’un vide alarmant. Alors que nous vivons dans un monde de l’information instantanée et de la puissance des « fake news », le téléspectateur marocain est contraint d’attendre des rendez-vous fixes pour disposer d’une information sur son pays. Ceci explique pourquoi 61% de l’audience s’est exilée auprès des chaînes et des programmes d’information étrangers avec le risque d’exposition à la partialité, voire aux manipulations, que l’on connaît.

L’étude a confirmé que le consommateur marocain est devenu exigeant et que le concept proposé par la MAP est a priori attractif et compatible avec l’attente importante dans ce domaine. La chaîne d’information ne viendra pas concurrencer les autres chaînes nationales, bien au contraire. Elle cible les 36 minutes d’audience par jour qu’accaparent les chaînes d’information étrangères sur un total de 54 min. C’est pour cela que nous considérons que le plus important à retenir c’est que ce service sera un outil pour aider à reconquérir la souveraineté médiatique nationale en matière d’information et à faire face à la déferlante satellitaire.

Comment allez-vous financer ces nouveaux projets, notamment pour procéder à d’éventuels recrutements ?

La MAP compte aujourd’hui un peu plus de 300 journalistes et fonctionne avec un budget total de l’ordre de 240 millions de dirhams. La fonction stratégique de la MAP est plus lisible dans sa mission et la mobilisation de ses cadres et ses journalistes que dans son budget. Si nous nous comparons aux agences de la rive nord de la Méditerranée, nous relevons que l’AFP dispose de plus de 1.500 journalistes et d’un budget 3,1 milliards de dirhams, qu’EFE a 1.000 journalistes avec près de 1,1 milliard de dirhams de budget. Le développement de la MAP, abstraction faite du lancement ou pas de la chaîne, nécessite des moyens en corrélation avec les missions qui lui sont confiées et son statut d’établissement public à caractère stratégique. Concurrencer les grandes agences internationales, maîtriser le destin de son information et accompagner l’action de l’État avec efficience ne peut pas s’effectuer avec un budget comparable à celui débloqué par les autorités pour la communication ou l’animation de certains secteurs à basse intensité stratégique. Il faut repenser tout cela!

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