Qatar : ce que le nouveau statut de résident permanent pourrait changer pour les Marocains

Le Qatar a créé le 2 août un statut de résident permanent pour certains étrangers qui y habitent et y travaillent. Des Marocains de l'émirat témoignent sur ce qui pourrait changer dans leur quotidien.

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Le quartier des étrangers, The Pearl, au Qatar. Crédit : Flickr/Marc Desbordes

La décision a été annoncée en grande pompe. Certains étrangers pourront désormais avoir un statut de « résident permanent » au Qatar, leur faisant bénéficier d’une multitude de privilèges: accès gratuit à la santé et à l’éducation publiques, possibilité de devenir propriétaires de biens immobiliers, d’exercer certaines activités commerciales sans besoin d’un partenaire qatari, ou d’être nommé à des postes dans l’administration et l’armée.

Autant d’avantages qui étaient jusque-là réservés aux seuls Qataris, qui représentent pourtant moins de 15% de la population sur place. Pourtant, le quotidien des quelque 13.000 Marocains qui habitent à Doha ne sera pas radicalement différent. Les critères pour obtenir le précieux sésame risquent d’être stricts. « Pour beaucoup d’expatriés marocains, cela n’est pas révolutionnaire« , lance Sarah*, trentenaire habitant depuis 3 ans et demi à Doha.

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Le sponsor, l’entreprise

Pour vivre et déménager au Qatar, il est obligatoire d’avoir un sponsor local, duquel on devient dépendant notamment pour changer d’employeurs ou quitter le territoire. Zineb, bientôt 27 ans, travaille depuis janvier dans une ONG à Doha après être passée par les États-Unis.

« C’est facile. Mon sponsor est mon employeur« , explique la jeune Marocaine, qui a obtenu une carte de résidente de deux ans. « Mais je suis entrée avec mon passeport canadien, car cela aurait impossible de venir en tant que Marocaine, musulmane et célibataire« , s’amuse la jeune femme qui précise que ce nouveau statut ne changera pas la donne.

Freelance en communication, Sarah, la trentaine, a dû passer par son mari, lui-même sponsorisé par la banque dans laquelle il travaille. « Une fois sponsorisée, il m’a suffi d’acheter une licence à 2.000 riyals qataris (environ 5.100 dirhams) à renouveler tous les ans. Une autorisation uniquement disponible pour certaines professions et qui ne nous donne aucune obligation« , explique-t-elle.

Ce sponsor devrait rester obligatoire au Qatar, mais les termes du contrat régi par le système de la « kafala » ont déjà commencé à changer ces dernières années. Alors qu’il était quasiment impossible de changer d’employeur et qu’il était compliqué de sortir du territoire en demandant un permis de sortie à son entreprise, le Qatar a aménagé la « kafala ».

Depuis 2015, une nouvelle réglementation permet à un travailleur étranger de demander une autorisation de sortie du pays au ministère de l’Intérieur et de changer d’employeur à la fin de son contrat. « Il a été très compliqué pour moi de changer d’employeur il y a deux ans« , témoigne pourtant Zahlé qui habite désormais à Dubaï.

Pour l’immobilier, il vaut mieux acheter au Maroc

« Pour l’instant, les étrangers ne peuvent acheter que dans un seul quartier, le Pearl, qui est une île artificielle. Il est interdit d’acheter dans le reste de la ville« , explique Sarah, qui vit avec son mari. « Mais la plupart des expatriés marocains comme nous ne veulent pas investir au Qatar, on préfère acheter au Maroc ou en France« , précise-t-elle.

Si les loyers sont très chers, une partie est souvent prise en charge par l’entreprise qui emploie les expatriés. « Cette mesure pourrait intéresser les communautés pakistanaises ou libanaises qui sont installées depuis longtemps au Qatar et qui vont y rester« , explique Sarah. Ces populations présentes depuis des années ne peuvent que très rarement obtenir la nationalité, même leurs enfants nés au Qatar.

Et pour les entrepreneurs et investisseurs ?

Au Qatar, il est possible de monter son business à partir du moment où son partenaire qatari – obligatoire – est majoritaire. « Le cadre législatif n’encourage pas à s’associer avec un Qatari qui est, quoiqu’il arrive, protégé par la loi en raison de la préférence nationale« , explique Zahlé qui confie n’avoir rencontré aucun Marocain ayant investi dans l’émirat où elle vit depuis déjà deux ans et demi.

Même son de cloche du côté de Sarah, arrivée en janvier 2014. « Les Marocains que je rencontre sont principalement de hauts cadres dans de grandes entreprises qataries ou internationales, ou des personnes qui travaillent dans la restauration de luxe ou l’hôtellerie« , nous confie-t-elle. Notons aussi que certains Marocains sont aussi allés au Qatar dans le but de travailler à la construction des infrastructures en prévision du Mondial de football de 2022.

« J’ai des amis de nationalité étrangère qui ont investi au Qatar et qui se sont arrangés avec un avocat : le partenaire qatari est majoritaire dans les papiers et sur la licence commerciale, mais au niveau du capital il n’a que 10% par exemple« , témoigne Zahlé. Alors que le Qatar est isolé par ses voisins depuis la crise et le blocus qu’ils subissent depuis juin, ce nouveau statut de résident permanent offrant la possibilité de lancer son business sans parrain qatari pourrait attirer des investisseurs et entrepreneurs étrangers.

La santé et l’éducation, « ce n’est pas si cher »

Concernant la gratuité des soins promise par le nouveau statut de résident permanent au Qatar, Sarah fait remarquer que « le grand hôpital public est déjà gratuit pour tout le monde« , témoigne Sarah. En effet, le système de santé au Qatar est accessible à tous, indépendamment de la résidence et de la nationalité. « Il suffit d’avoir la carte de santé, facile à acquérir« , poursuit Sarah. Zineb, elle, a passé une semaine à l’hôpital public après un petit souci de santé. « Je n’ai payé que l’équivalent de 100 dirhams« , se rappelle-t-elle.

À noter que beaucoup des Marocains qui viennent travailler au Qatar signent un contrat avec de grandes entreprises, qui incluent dans leur contrat une assurance qui prend tout en charge, même une opération médicale à l’étranger si nécessaire.

De même pour l’éducation, les frais de scolarité, assez élevés, sont souvent pris en charge dans le contrat d’expatriation. Mais pour ceux qui ne l’auraient pas, le statut permanent de résident pourrait changer la donne. « L’État qatari paie même les études de ses ressortissants à l’étranger, jusqu’aux États-Unis« , explique Sarah, mère d’une petite fille de trois ans. Reste à savoir combien de personnes pourront réellement acquérir ce fameux statut de « résident permanent ».

*Les prénoms ont été changés par souci d’anonymat

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