Le business fleurissant des blogueuses de mode

Suivies par des dizaines de milliers d’internautes, les blogueuses et youtubeuses marocaines attirent les marques dont elles deviennent le vecteur auprès des consommatrices. Zoom sur un nouveau métier de mieux en mieux rémunéré.

Voyages, maquillage et tenues fashion. Sur les photos qui ornent leurs profils Instagram, leur vie ressemble à un rêve de jeune fille. Loin des selfies sur la plage, ces blogueuses, vlogueuses et youtubeuses donnent le la à de vastes communautés. Zeineb Laouni est l’une de ces influenceuses particulièrement courtisées par les marques de produits cosmétiques. Sur Zei Beauty, sa chaîne YouTube qui cumule plus de 100.000 abonnés, la jeune femme délivre ses conseils sur des produits dans des vidéos qu’elle monte elle-même. “Pour un placement de produit dans une vidéo, les tarifs peuvent aller de 8000 à 15 000 dirhams. Sur Instagram, ça commence à 3000 dirhams. Mais j’évoque aussi de nombreux produits gratuitement”, explique celle qui cumule 300 000 abonnés sur Instagram.

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Fan des youtubeuses américaine et européennes, Zeineb s’est lancée il y a deux ans, “car les youtubeuses connues étaient loin des soucis des Marocaines, ne serait-ce que par leurs produits qui n’étaient pas toujours disponibles ici”, explique-t-elle. À force de persévérance, ce qui n’était alors qu’une passion devient progressivement une source de revenu. “Au départ, je démarchais moi-même auprès des marques pour négocier des partenariats. Aujourd’hui, ce sont elles qui viennent me chercher”, se réjouit-elle. Une notoriété qui lui a valu d’être désignée comme ambassadrice de YouTube en 2016, aux côtés d’une autre youtubeuse beauté, Zaina Aguenaou. Également animatrice sur Hit Radio, la notoriété de Zeineb Laouni n’en reste pas moins liée à ses conseils mode et beauté : “Même si j’ai fait de la radio avant d’être youtubeuse, ma popularité a véritablement bondi avec les vidéos. C’est à ce moment-là que des gens ont commencé à m’arrêter dans la rue pour prendre des selfies avec moi”, assure-t-elle.

La beauté, une affaire de sous

Bien que récents, les partenariats entre influenceuses et grandes enseignes se développent à grands pas. Le mois dernier, la blogueuse Zineb Rachid devenait l’égérie d’Adidas dans la région MENA pour la nouvelle campagne publicitaire de la marque de sport allemande. Devenant ainsi l’un des visages les plus familiers d’Afrique, et invitée VIP lors de l’inauguration du plus grand magasin Adidas du continent à Casablanca, le 5 juin dernier. Celle qui a commencé son travail avec la marque à trois bandes en testant des chaussures est aujourd’hui au cœur d’un partenariat historique. Un contrat dont l’influenceuse refuse de nous communiquer le montant


Parmi les influenceuses marocaines, Yasmina Olfi fait figure de modèle. Alors qu’elle effectue un stage en 2012 auprès du groupe Condé Nast, propriétaire de Vogue, elle découvre le phénomène des influenceuses et lance son blog, Fashion Mintea, “car je m’ennuyais dans mon appartement”, se souvient-elle. Aujourd’hui, celui-ci est classé par Style Arabia parmi les 20 blogs les plus influents du Moyen-Orient, et son compte Instagram se hisse en 6e position des comptes d’Afrique à suivre selon Marie Claire Afrique du Sud.

Yasmina Olfi travaille également pour le magazine Icônes, propriété du groupe Telquel Media, en tant que commerciale. Bvlgari, Cartier, Air France, Samsung, Dior… ses partenariats donnent le vertige. Si la blogueuse n’est pas vraiment bavarde sur ses revenus, elle avoue cependant : “Je gagne beaucoup plus d’argent aujourd’hui que lors de mes anciens contrats en tant salariée.” Et d’ajouter : “Un blogueur n’est pas un média mais plutôt quelqu’un qui va créer un ‘input créatif’ à une marque en se l’accaparant. Il n’y a pas de lien de subordination entre la marque et l’influenceur. Ce dernier réinterprète le produit à sa façon, dans son univers, pour le faire partager à sa communauté.” Entre les grandes enseignes et les influenceuses, beaucoup décrivent ainsi ce contrat “win/win” : les blogueurs et youtubeurs gagnent en notoriété là où les grandes enseignes personnifient leurs produits via des individus considérés comme plus accessibles pour le grand public. Ce dernier s’identifierait plus facilement à des personnalités dont le quotidien défile sur son smartphone, plutôt qu’aux stars hollywoodiennes. “Aujourd’hui, beaucoup de Marocaines font des recherches sur Internet avant d’acquérir un produit. Elles vont directement sur YouTube pour rechercher une femme à leur image qui teste le produit”, explique Dounia, de la chaîne YouTube Your Beauty by Dounia. Un phénomène bien connu des marques, qui leur permet de toucher des cibles spécifiques. “Un blogueur est avant tout choisi pour son univers. S’il est plutôt ‘lifestyle’, il peut être approché par des agences de voyages, si c’est un sportif, certaines marques de sportwear sont susceptibles de le contacter, ainsi de suite…”, résume Fashion Mintea, dont le compte Instagram s’approche des 100 000 followers.

My happy place ???#FashionMinteaInCuba #islandlife

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Mais loin de la success story de Yasmina Olfi, nombreuses sont les influenceuses en herbe qui découvrent à leurs frais la réalité du milieu. “Certains jeunes ne savent pas comment ça marche”, déplore Zeineb Laouni. “Quand on se lance dans ce domaine, il arrive parfois que les marques tentent de collaborer gratuitement. Aussi, de jeunes blogueurs ne savent pas toujours quel tarif réclamer. Il faut savoir s’imposer”, conseille-t-elle. Elle qui considère cette activité comme un véritable “travail” ne témoigne d’aucune compassion envers les entreprises qui ne rémunèrent pas leurs influenceuses : “Faire des vidéos ou tenir un blog prend du temps. Cela mérite un salaire”, estime-t-elle.

Auto-entrepreneuses

Face à un phénomène qui prend de l’ampleur, nombreuses sont celles qui, à l’instar de Yasmina Olfi, créent leur propre société. C’est notamment le cas des sœurs Afaf et Marwa, originaires de Tétouan. “Nous n’avons toujours pas atteint les cachets des grandes stars, comme la majorité des influenceuses, mais nous sommes contentes de ce que nous avons pour le moment. C’est la passion qui nous anime avant tout. L’argent vient juste compenser les investissements et les charges (matériel, photographe, caméraman, déplacements, etc.)”, expliquent-elles. A 20 et 24 ans, ces influenceuses ont tout de même facturé certains “packs” de partenariat (photos, vidéos, post Instagram…) jusqu’à 50 000 dirhams. “C’est un prix que nous demandions pour des collaborations sur près d’une année, ce que l’on a pu toucher jusqu’à présent reste très modeste”, précisent celles qui ont déjà collaboré avec Nivea et Nike.

 

✨❤ #afafandmarwa

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Depuis 2016, le nombre des Marocains connectés à Internet a augmenté de 26% pour atteindre 18,3 millions. Fort de cette croissance à deux chiffres, le nombre d’influenceuses s’accroît. La youtubeuse Dounia affirme aujourd’hui tirer jusqu’à 10 000 dirhams par mois de ses partenariats avec des marques de cosmétique. “La majorité de mes revenus proviennent de ces partenariats, et non des revenus via YouTube”, précise-t-elle. Si, en France, YouTube peut rémunérer jusqu’à 60 centimes d’euro pour chaque millier de vues, le ratio est bien plus faible au Maroc. De même pour Google AdSense, qui rémunère les influenceurs via les contenus publicitaires de leurs sites.

A l’instar de tous les milieux économiques, celui des influenceuses possède également ses codes, même s’ils ne sont pas explicites. “Selon moi, une youtubeuse ou une blogueuse se doit d’être honnête. Des milliers de personnes écoutent nos conseils. On ne peut pas vanter les mérites d’un produit s’il s’avère décevant, juste pour de l’argent ou des produits gratuits”, assure Zeineb Laouni. Même son de cloche pour la youtubeuse Dounia : “Je ne m’empêche jamais de critiquer quoi que ce soit. Je suis sincère avec les marques. Il arrive parfois qu’elles préfèrent que nous n’évoquions pas leur produit plutôt que d’en parler négativement. J’accepte leurs conditions, tout comme elles acceptent les miennes”, confie-telle. Autre point mal perçu : l’achat de followers pour augmenter la visibilité des comptes Instagram. Un système qui fonctionne également sur le nombre de vues des vidéos YouTube. “Ces comportements se repèrent vite. Il suffit de vérifier si le nombre de likes sur un post est proportionnel au nombre de followers. Pour les vidéos YouTube, une augmentation trop importante sur une petite durée est aussi suspecte”, conclut Zeineb Laouni

 

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