Pourquoi la visite d'Omar El Béchir gêne des membres la société civile marocaine

Le président soudanais, visé par deux mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), est arrivé le 3 août au Maroc pour une "visite privée" à Tanger. Sa troisième visite en un an suscite la colère des défenseurs de droits de l’homme.

Par et

Le président soudanais Omar el Béchir

Omar El Béchir est arrivé hier soir à l’aéroport Ibn Battuta de Tanger. Accompagné d’une délégation de ministres et de hauts responsables, il s’est aussitôt rendu au palais du roi Salmane d’Arabie Saoudite, en villégiature dans la perle du Détroit depuis le 24 juillet.

C’est la troisième fois en une année que le président soudanais foule le sol marocain, après une « visite privée » au même souverain saoudien l’été dernier, et sa participation à la COP22 de Marrakech en novembre 2016.

Alors qu’Omar El Béchir est visé depuis 2010 par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide, sa présence au Maroc fait débat.

Une anecdote lors de la COP22 révèle le caractère encombrant de ce visiteur. Le 15 novembre, Mohammed VI accueillait les chefs d’État à l’entrée du village éphémère de Bab Ighli où le monde s’était donné rendez-vous pour avancer sur les négociations climatiques sous l’égide de l’ONU.

Pour souhaiter la bienvenue à chacun de ses hôtes un par un et prendre une photo souvenir sur le tapis rouge, Mohammed VI était notamment accompagné du secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon et de la secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) Patricia Espinosa.

Mystérieusement, les deux dignitaires onusiens se sont éclipsés quelques minutes lors de l’arrivée d’Omar El Béchir. Calculée ou pas, cette disparition a en tout cas eu pour effet que sur la photo souvenir, seuls Mohammed VI et le président de la COP22, Salaheddine Mezouar, apparaissent aux côtés du président soudanais.

https://youtu.be/5wfykoT40WI?t=41m26s

(Arrivée d’Omar El Béchir à partir de 41m26s)

Ce mardi 1er août, c’est désormais la société civile marocaine qui s’émeut de la visite du président soudanais. Une quarantaine d’activistes marocains, ont signé une pétition pour protester contre la venue de l’homme fort de Khartoum, au pouvoir depuis 1993.

Parmi les signataires figurent Aïcha Elbasri, ancienne porte-parole de la Mission de l’Union africaine et de l’ONU au Darfour, Abderrazak Boughandour, président de la ligue marocaine de défense des droits de l’Homme, mais également Khadija Ryadi, lauréate du prix des droits de l’Homme de l’ONU.

« La visite d’un sanguinaire ne fait pas honneur à notre pays, et ne va pas de soi avec les valeurs principales que le peuple marocain ambitionne d’appliquer, comme que le respect des droits de l’Homme et de sa dignité et le travail au service de la justice et de la démocratie« , écrivent les activistes dans un communiqué adressé au Chef du gouvernement Saad Eddine El Othmani.

Depuis plusieurs décennies, le Maroc est l’un des plus fidèles alliés du régime soudanais. Si les relations économiques sont peu développées, le soutien politique est indéfectible. Khartoum a toujours été clair concernant la souveraineté marocaine sur le Sahara ; réciproquement, Rabat a toujours défendu « l’intégrité territoriale » du Soudan – ce qui n’a pas empêché le Sud de proclamer son indépendance en 2011. Ni à Mohammed VI de se rendre au Soudan du Sud en février 2016, immédiatement après le retour du Maroc à l’UA que le jeune État a soutenu.

Le Soudan a également appuyé le retour du Maroc à l’UA. À l’inverse, le Maroc a soutenu l’adhésion du Soudan à l’Organisation mondiale du Commerce (OMC). Autre sujet de convergence: les liens diplomatiques avec le Qatar. Maroc et Soudan sont les deux seuls membres de la coalition arabe, intervenant au Yémen à l’appel de l’Arabie saoudite, à ne pas avoir rompu les liens avec l’émirat au cours de la crise diplomatique que le Golfe traverse actuellement.

Les voyages du président soudanais (73 ans) font l’objet de récurrentes polémiques, depuis que la Cour pénale internationale (CPI) – dont le Maroc n’a pas ratifié le traité fondateur – a émis deux mandats d’arrêt à son encontre, en 2009 et 2010.

Dix chefs d’inculpation pèsent sur le dirigeant soudanais, parmi lesquels ceux de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. « Des mensonges« , a réagi Omar El Béchir. « Des campagnes trompeuses« , a renchéri l’ancien ministre des Affaires étrangères, Salaheddine Mezouar.

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