« Ambigu”, “dur”, « fort ». Les adjectifs pour qualifier le dernier discours du Trône soulignent surtout que trop de questions restent encore en suspens. Ceux qui applaudissent aujourd’hui les mots de Mohammed VI et son constat – très juste, il est vrai – sont les mêmes qui juraient il y a peu que le Maroc était sur la bonne voie, saluant ses avancées “historiques” et “glorieuses”. Il ne faut donc pas compter sur eux pour engager un débat sérieux. Certains chefs de parti d’habitude mutiques sont sortis du bois pour enfin reconnaître le malaise. Difficile de les croire, car la seule faveur qu’ils pensent devoir à la nation est de courtiser le Palais, jamais soulever les vrais problèmes, jamais prendre le risque de dé- plaire. Pourtant, ce discours mérite d’être posé sur la place publique. Certains reprochent au monarque de ne pas assumer sa part de responsabilité dans l’incurie qu’il dénonce. Réponse d’un proche des hautes sphères : “Faire soi-même un constat d’échec c’est aussi l’assumer, et le roi a bien dit que les projets de développement humain ne nous font pas honneur. Il s’inclut par ce nous.” Dont acte.
Un motif légitime d’inquiétude est le fait que ce discours énumère un ensemble de griefs sans proposer de solution, à ce stade. Le Maroc est engagé dans un déclinisme inquiétant, où l’un des fondements de l’Etat – cette administration tant décriée – est en décomposition. Que compte faire le capitaine du navire pour redresser la barre ? S’il est vrai que tout ne doit pas venir du roi, c’est quand même à lui qu’incombe la mission de définir le cap. Il l’a fait sur le dossier du Sahara et sur la scène internationale, le Maroc en a récolté les fruits. En interne, la trajectoire d’un début de règne ne peut pas être éternelle. S’il le faut, elle peut être ajustée, rectifiée ou encore changée, surtout si elle donne d’aussi faibles résultats en matière de développement humain.
Nous n’attendons ni sanctions ni limogeages de hauts responsables. Pareils châtiments seraient insuffisants et inutiles au vu des enjeux politiques que la monarchie et tout le pays doivent relever ensemble. Seul un changement de mentalité peut nous sauver du dé- sastre annoncé, et le souverain est en position de renverser la tendance. Autour de lui, la citadelle du pouvoir s’est renfermée. Les canaux d’écoute et de transmission ne fonctionnent plus depuis longtemps. Or, il faut laisser entrer de l’oxygène dans les couloirs de la citadelle pour que l’air s’y régénère. Il faut aussi solliciter les anciens, car leur expérience peut être précieuse. Et laisser plus généralement s’exprimer les forces vives de la nation. Accepter la contradiction, l’opposition, sans les menacer de représailles. Leur accorder aussi le droit de se tromper. Bref, retrouver un fonctionnement logique et rationnel pour le bien de notre pays. Et de notre roi.