La "culture de l’impunité" perdure, malgré une baisse de 51% des fraudes au bac

La triche perdure au Maroc. Crédit : DR

En dépit des chiffres avancés par le ministère, la tricherie au bac perdure et prend de nouvelles formes. Tricheurs violents, culture de l’impunité, laxisme des professeurs et techniques de triche à la pointe… Ce phénomène qui commence dès l’entrée au collège a la peau dure.

« Mes amis étaient formels. Quoi qu’il puisse arriver, ils allaient tricher« . Récent bachelier, Khalil (20 ans) est étonné par les chiffres avancés par le ministère de l’Éducation. Celui-ci évoque une baisse de 51% du nombre de fraudeurs.

Un résultat que le département de Mohamed Hassad explique par « le renforcement des mesures de surveillance et de sécurisation des épreuves, la promulgation de lois très strictes, mais surtout les campagnes de sensibilisation auprès des élèves comme des parents« . Une source au sein du ministère évoque également: le succès de la cellule de vigilance et de suivi qui « a travaillé 24h sur 24 cette année » pour repérer les fuites de sujets sur les réseaux sociaux.

Pas de quoi convaincre notre jeune bachelier. « Je dirais plutôt que le phénomène de la tricherie prend de l’ampleur. Malgré les menaces de sanctions, les élèves n’ont pas peur. C’est complètement banalisé« , confie-t-il. Une « culture de l’impunité » également constatée par certains professeurs qui ont surveillé les épreuves :

« Cette baisse s’explique peut-être par la médiatisation autour des sanctions, mais les élèves n’ont pas peur, et le phénomène perdure. Des professeurs ont même constaté une augmentation de la violence chez les jeunes qui se sont fait prendre« .

Kamel, professeur de français chargé de surveiller les épreuves du bac.

Le laxisme des professeurs pointé du doigt

« Le prof nous disait: faites ce que vous voulez, mais je ne veux pas avoir de problèmes« , se souvient encore Khalil. Parmi les différents témoignages que nous avons recueillis insistent beaucoup sur le laxisme de certains surveillants du bac. « La plupart des professeurs ne veulent pas faire de rapport de fraude. Ils se disent que les conséquences peuvent être terribles pour les élèves« , explique Kamel, un professeur de français qui a surveillé les épreuves de rattrapage.

Le phénomène pénalise les enseignants soucieux d’appliquer la législation, et renforce l’impunité des tricheurs: « Il faut que les sanctions soient appliquées. Nous avons aujourd’hui des élèves qui pensent que c’est leur droit de tricher. Lorsqu’un professeur les sanctionne, ils s’insurgent« , déplore l’enseignant.

Le ministère de l’Éducation se dit « conscient » du phénomène, tout en précisant que la sécurisation des professeurs a été renforcée « afin qu’ils puissent être libres de sanctionner sans se sentir menacés« . « Je n’ai remarqué aucun changement particulier cette année« , rétorque Kamel. 

Lire aussi : Bac 2016 : le ministère déploie un plan anti-triche

Face à ce que beaucoup qualifient de « laxisme généralisé« , il est difficile pour les professeurs d’imposer leur fermeté. Surtout au vu des problèmes que cela génère pour l’élève. Entre la volonté de les voir réussir, et celle d’appliquer le règlement, les enseignants affrontent un choix cornélien. C’est notamment le cas d’Amina, 52 ans. Cette professeure d’anglais a surpris plusieurs tricheurs cette année. Bien que soucieuse du règlement, elle évoque « une crise de conscience« .

« J’ai surpris un élève qui avait collé des leçons sur sa copie. Après avoir retiré la feuille et entamé un rapport, l’élève est venu s’excuser. J’étais indécise. Nous avons contacté le professeur chargé de la matière qui a constaté que la leçon collée n’avait aucun rapport avec l’exercice. Au final, nous l’avons mentionné à la direction, mais je ne pense pas qu’il y aura de suites. Croyez-moi, c’est un choix difficile« .

Amina

Des techniques à la pointe

Si les détecteurs de portables ont récemment fait leur apparition, les tricheurs s’adaptent et développent leurs techniques. Les classiques perdurent : antisèches dans la trousse ou sur la main, échange de brouillons, regards discrets sur la copie du voisin… Certains élèves vont même beaucoup plus loin.

« Alors que j’observais une fille voilée devant sa feuille blanche, elle s’est brusquement mise à remplir sa copie de façon frénétique. En m’approchant, j’ai repéré un objet métallique sur son oreille. Lorsque j’ai enlevé son voile, j’ai pu constater tout un système électronique avec une oreillette reliée à un téléphone« .

Amina, 52 ans.

En perpétuelle évolution, les méthodes de tricherie s’adaptent aux progrès de la technologie. L’un des derniers exemples en date est l’utilisation des montres connectées pour prendre en photo des leçons et les utiliser comme antisèche. Une technique qui s’applique également aux calculatrices programmables. Micros, smartphones et outils high-tech sont désormais monnaie courante.

« Certains cachent un micro dans leur main pour communiquer avec un ami à l’extérieur, d’autres envoient des photos de l’examen à un tiers pour qu’il renvoie les réponses. Cela n’a rien d’extraordinaire. Il suffit d’attendre que le surveillant ait le dos tourné pour agir« .

Khaled, fraîchement bachelier

Face à ce développement de la triche 2.0, aucune formation n’est dispensée aux surveillants. « On nous jette dans l’arène sans nous préparer« , déplore Kamel l’enseignant de français. C’est à peine si quelques consignes sont données lors de la convocation des professeurs. « Il est juste précisé dans notre convocation de dénoncer tous les cas de triche. Même si cela se fait rarement« , poursuit-il.

« Les seules consignes que j’ai reçues de l’académie sont: pas de cartable, et faites attention aux téléphones« , ajoute Amina. Le ministère de l’Éducation précise quant à lui que « les professeurs sont informés sur ce domaine lors de leur formation pédagogique« . Dans ce jeu du chat et de la souris, difficile de savoir qui s’adapte à qui.

« La tricherie, c’est tout un apprentissage ».

Entre les professeurs laxistes et les fraudeurs ingénieux, la triche est semblable à un cercle vicieux dans lequel chacun se renvoie la balle. Un phénomène dangereux que les élèves affrontent très tôt dans leur scolarité.

« Dès l’entrée au collège, des élèves sont admis dans des conditions de tricherie flagrantes et impardonnables. Comment voulez-vous qu’un jeune qui rentre au collège avec une moyenne de 4 sur 20 rattrape son retard par la suite? Mais ce n’est pas le problème du gouvernement qui cherche juste à remplir les classes au collège« .

Amina

Face aux retards accumulés, la fraude devient dès lors le seul moyen de maintenir sa moyenne. « Comment faire autrement quand tu n’as pas la base?« , s’interroge Khaled. Le phénomène prend des proportions extrêmes lors de l’épreuve au baccalauréat. Pour certains, c’est aussi là que les effets de ce fonctionnement se font ressentir. Un réveil aussi tardif que difficile pour les tricheurs, qui écopent alors de sanctions lourdes.

« La tricherie, c’est tout un apprentissage. Au fil des années, on cumule les retards et les mauvaises habitudes. Des amis ont triché toute l’année pendant 4 ans. Mais au bac beaucoup se sont fait prendre. C’est quitte ou double« .

Khalil

Pour la première fois lors de la rentrée prochaine, le gouvernement a décidé de prendre des mesures contre ce phénomène qu’il juge préoccupant. « Nous sommes conscients que la fraude ne se résume pas au bac. C’est pour cela que d’ici la rentrée prochaine, la campagne de sensibilisation se fera tout au long de l’année et pas juste avant le bac« , promet le ministère de l’Éducation. 

Quelles conséquences sur la société marocaine ?

Selon la loi 02-13 en vigueur depuis le 19 septembre 2016, les sanctions peuvent aller de l’octroi d’une note de zéro, à l’élimination de l’élève durant la session concernée, voire la privation de passer l’examen pendant deux ans.

Lire aussi :Les tricheurs aux examens risquent jusqu’à cinq ans de prison

Cette loi prévoit également des sanctions pénales allant de 6 mois à 5 ans de prison et une amende allant de 5.000 à 100.000 dirhams pour « la production ou l’utilisation de faux documents aux fins de participer à l’examen, l’usurpation d’identité d’un candidat pour passer l’examen, la fuite des sujets de l’examen par tout responsable, intervenant ou participant à la rédaction, au transport ou à la protection des feuilles et des sujets des examens scolaires« . 

Un arsenal législatif qui ne dissuade pas certains élèves pour qui la tricherie est parfois le seul moyen d’avoir son bac. Ceci d’autant plus que « les élèves savent très bien que ces sanctions extrêmes ne sont jamais appliquées« , déplore Kamel. Le ministère de l’Éducation estime de son côté que « c’est l’affaire du tribunal et des juges« .

Les enseignants s’inquiètent des répercussions de ce fléau sur la société marocaine.

 » Nous allons nous retrouver avec un bac qui perd de sa valeur à l’international. Les élèves souhaitant étudier à l’étranger vont être les premières victimes. À l’échelle nationale, le niveau culturel est tiré vers le bas et les élèves qui travaillent dur ne sont pas valorisés« .

Kamel

Pour lutter contre ce fléau, Kamel a choisi de « raisonner » ses élèves plutôt que de leur « faire la morale« .  » Pour l’épreuve de français, je leur explique par exemple qu’il ne sert à rien de tricher. Copier-coller un texte se repère rapidement pour le correcteur« ,explique-t-il.

Du côté du gouvernement, les campagnes de sensibilisation auprès des élèves comme des familles se comprennent comme le meilleur moyen d’endiguer le phénomène. Parier sur la crainte des élèves de se faire attraper ne semble pourtant pas suffisant pour certains professeurs qui préconisent « un travail en amont« . Face à une tare solidement ancrée dans la société marocaine, le chemin est encore long pour supprimer la tricherie du paysage scolaire.

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